« Il se faut prêter à autrui et ne se donner qu'à soi-même ». Vous expliquerez et vous discuterez ce précepte de Montaigne ?
Publié le 29/03/2004
Extrait du document
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l'on songe à J.-J.
Rousseau, à Amiel surtout.
Il risque enfin de perdre tout sentiment de la place exacte qu'il occupe dans le monde : qui ne connaît dans son entourage quelqu'un de ces êtresinsupportables, incapables de parler d'autre chose que d'eux-mêmes ? Tousles grands poètes romantiques ont senti le danger, et sont passés del'effusion lyrique à l'expression de souffrances plus générales.
Lamartine, danssa lettre à Félix Guillemardet, donne à cette évolution des raisons morales.N'oublions pas enfin qu'une vie consacrée par l'homme à lui-même ne reçoitguère de sens dans la mort.
En dehors de toute conception religieuse,l'octogénaire de La Fontaine « se donne des soins pour le plaisir d'autrui ».Quel autre but donner à une existence ?
III.
UNE SAGESSE RÉALISTE
Beaucoup de moralistes, depuis La Rochefoucauld, ont pensé que ledévouement total était impossible à l'homme.
Maurice Barrés s'insurge lui aussicontre les lieux communs de l'éthique traditionnelle : « Le mieux où l'on peutprétendre, c'est à combiner les intérêts des hommes de telle façon quel'intérêt particulier et l'intérêt général soient dans une commune direction.
»Se prêter à autrui Dès lors, l'attitude de Montaigne devient plus « normale ».S'il se garde en fait du monde extérieur, c'est surtout pour éviter laprésomption et le fanatisme — ces maux qui ont ensanglanté la fin du xviesiècle.
Le goût de la réflexion préalable à toute action pourrait constituer uneleçon salutaire dans notre monde qui semble avoir oublié certains conseils des Essais : « Cette âpreté de violence et de désir empêche plus qu'elle ne sert à la conduite de ce qu'on entreprend ».Sa morale du «juste milieu », celle que prêche Molière, manque d'élévation, mais non de réalisme.Ne se donner qu'à soi-même Dans ces perspectives, le « culte du moi » peut avoir une efficacité remarquable.
Lestrois volumes de Maurice Barrés retracent les étapes significatives d'une évolution : au premier stade, le jeune hérosconquiert sa personnalité propre, mais au troisième il s'insère dans la vie active et l'auteur s'adresse en ces termes àses jeunes lecteurs : « Quand ils se sentiront assez forts et possesseurs de leur âme, qu'ils regardent alorsl'humanité et cherchent une voie commune où s'harmoniser ».Nous rejoignons, à ce niveau, la grande tradition socratique : l'oracle de Delphes proclamait à juste titre l'importancede la connaissance de soi.
L'on insiste, aujourd'hui, sur la nécessité où se trouvent les jeunes rééducateurs de seconnaître profondément et lucidement avant de se lancer dans une vie de dévouement.
Tout métier de ce genresuppose pour celui qui l'exerce la possibilité de se consacrer à soi-même durant une certaine fraction de son temps ;s'il ne se ménage pas cette détente, il risque de ne pas conserver son équilibre.
CONCLUSION
A coup sûr, cette morale n'est pas celle du héros, mais peut-être est-elle une étape nécessaire à la conquête del'héroïsme.
Elle est sans panache, réaliste, fondée sur cette conception de l'amour-propre dont La Rochefoucauldfera, en un sens tout différent, un système pessimiste ; mais Sénèque, acceptant cette nécessité psychologique,écrivait déjà : « Sache que, quand on est ami de soi-même, on est ami de tout le monde »..
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