« Il n'existe pas de peuples non civilisés. Il n'existe que des peuples de civilisations différentes. » Marcel MAUSS, « L'enseignement de l'histoire des religions des peuples non civilisés à l'École des hautes études », Revue de l'histoire des religions, tome 2. ?
Publié le 27/02/2008
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Cette citation peut paraître, de prime abord, évidente. Pourtant cette idée a mis très longtemps avant de s'imposer dans nos esprits. En effet, lorsque Mauss, éminent sociologue français, écrit ces mots (1902), une véritable polémique fait alors rage. Celle-ci a pour origine la question du statut culturel (religieux, moral, intellectuel, social...) que l'on doit accorder aux peuples dits « primitifs «. Cette polémique est d'ailleurs intensifiée, alimentée par toute l'entreprise occidentale de colonisation des peuples africains qui sévit encore à ce moment là, ainsi que le poids du dogme religieux qui s'illustre par les nombreuses « missions « à vocation « éducative «...
D'un point de vue philosophique, au cœur du débat ethnologique, se joue la problématique générale du rapport à l'altérité (désigne ce qui est autre en général). C'est ce qu'a bien vu Mauss qui, soucieux de son approche scientifique rigoureuse (à l'image de son oncle Durkheim), n'eut de cesse de combattre les préjugés et les opinions fausses en vue d'une analyse sociologique toujours plus impartiale et exacte des civilisations étrangères.
Pour effectuer un commentaire rigoureux de cette citation de Mauss, il s'agira d'apporter une réponse à ces deux questions :
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Dans quel contexte Mauss affirme l'inexistence des peuples non-civilisés ?
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L'affirmation des « civilisations «, des différences significatives entre les groupes humains, ne conduit-elle pas à ruiner la notion unitaire et universelle de « culture « ?
«
pas, c'est justement parce que tout peuple est toujours déjà l'indice, la marque manifeste d'une civilisation ! Toutevie collective est fondée sur le partage de valeurs juridiques, religieuses, éthiques, esthétiques.
Ces valeurs sontcelles-là mêmes qui définissent toute civilisation.
Mauss recherche, pour chaque société dite « primitive », lesfondements sociaux (présents également dans les sociétés dites civilisées) des grandes catégories intellectuelles(exemple : le Mana , puissance magique, culte présent en Mélanésie, Polynésie, Amérique du Nord).
Ces fondements, que Mauss retrouve présent dans tous les peuples étudiés sous diverses formes, apparaissent comme le pointd'articulation de l'individuel avec le social.
En tant que « fait social total » ce fondement exprime une intégralité desfaits sociaux (juridique, religieux, économique, politique...).
Mauss en conclut que tout peuple manifeste et exprime,par son existence, une orientation culturelle spécifique, un mana particulier qui détermine une « valeur des choses et des gens » (cf. Esquisse d'une théorie générale de la magie ).
L'idée de peuple non-civilisé est donc un contresens selon Mauss.
Bien que de nature et de complexité différente,les « fonctions sociales » sont présentes chez tous les peuples.
Faut-il alors affirmer la différence culturelle commeprincipe, et donc affirmer « les civilisations » ? La question qui se pose alors, est de savoir quel poids a cette affirmation sur le ou les domaines de connaissance dans lesquels elle agit.
Affirmer que tout peuple est en mêmetemps une civilisation unique, spécifique, n'est-ce pas ruiner d'avance toute prétention scientifique d'unité et toutdésir d'universalité ? N'est-ce pas non plus favoriser l'affirmation d'un malentendu inévitable entre cultures ? Enoutre, Mauss n'outrepasse-t-il pas les obligations et les limites de la sociologie telles que Durkheim les a présenté ?
Nous comprenons bien, en effet, que l'affirmation de Mauss dépasse le cadre stricte de la sociologie comme sciencepositive des faits sociaux.
C'est justement à cet égard que Mauss fonde l'ethnologie française (anthropologie) etprend ses distances avec les sociologues.
L'ethnologie est justement l'étude de l'espèce humaine dans la diversitéde ses composantes culturelles.
Elle cherche à théoriser en utilisant les matériaux descriptifs des ethnographes.
Enaffirmant les différences propres à chaque civilisation, Mauss ne fait pourtant que confirmer leur ressemblance selonles critères ethnologiques utilisés.
Mauss voit, au-delà des différences formelles (morphologiques, structurelles,physiologiques) qui distinguent chaque culture, les fondements sociaux présents universellement dans chaquecivilisation.
N'oublions pas que Mauss a préparé les thèses structuralistes de Lévi-Strauss.
Non seulement il ne ruinepas les espoirs d'unité de l'approche scientifique, ce dernier permet au contraire de remobiliser les différentessciences humaines pour qu'elles collaborent entre elles.
Cette collaboration doit permettre à Mauss d'aborder lesfaits sociaux de toute culture comme exprimant une totalité organique, chaque aspect de ce fait étant étudié parune discipline spécifique.
Mauss donne l'image de l' « homme total » dont parle l'ethnologie, c'est-à-dire des diversaspects (psychologiques, économiques, religieux, etc.) qui composent une unité concrète et individuelle.
Mauss révèle également une compréhension nouvelle de la notion de civilisation.
C'est l' « usage » qui est, seloncette compréhension « fonctionnaliste », déterminant pour le fait social.
Ainsi Mauss parle-t-il de « techniques ducorps », de « don » et d' « échange », de « mana », d' « usage », comme autant d'indices de présence de civilisation.
Ces critères sont eux-mêmes universels.
Conclusion
- Longtemps l'ignorance, les préjugés renforcés par le culte religieux et les instances philosophiques et politiques ontparticipé à l'idée d'un écart incommensurable entre les sociétés civilisées et les peuples dits primitifs ou non-civilisés.
- Tout peuple est donc la manifestation d'une civilisation, certes spécifique, qui s'est lentement construite,organisée, systématisée.
Mauss développe là des thèses qui auront de riches applications dans les étudesethnologiques et sociologiques actuelles..
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