« Il faut, disait Voltaire, cultiver votre jardin. » Comment entendriez-vous ce mot et quelles applications en tireriez-vous à l'heure actuelle ?
Publié le 04/04/2009
Extrait du document
Tout Français cultivé a lu Candide. On connaît Voltaire par de multiples extraits. On a entendu parler de lui chaque fois qu'il a été question du XVIIIe siècle, de la tolérance, de l'esprit anticlérical, de la puissance de la presse lorsqu'elle s'appuie sur l'opinion publique; mais c'est par ce petit roman alerte, ironique, exotique et satirique que l'on est entré dans l'intimité du grand écrivain. On se souvient du thème. Candide est un garçon simple et naïf, comme son nom l'indique : « Il avait le jugement assez droit, avec l'esprit le plus simple; c'est, je crois, pour cette raison qu'on le nommait Candide. « Élevé par le docteur Pangloss, il croit que le mal ne peut exister dans l'univers, puisque celui-ci est l'œuvre d'un Créateur omniscient et absolument bon. Candide aime une jeune fille de dix-sept ans, Mademoiselle Gunégonde; il va donc s'abandonner naïvement à l'amour sans se soucier d'aucune contingence, — jusqu'au moment où le baron de Thunder-ten-tronckh, qui ne veut pas marier sa fille à un roturier (du moins, car nous sommes en pleine féerie, à un garçon qui ne peut prouver « que soixante-et-onze quartiers « de noblesse), renvoie le pauvre garçon avec un bon coup de pied dans le derrière.
«
Un jour tout sera bien, voilà notre espérance;Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion.
Dans la mesure de ses possibilités, c'est cela qu'il entendra faire à Ferney.
Il cultivera son jardin.
Il fera défricher lesmarais, fondera une tannerie, des manufactures d'horlogerie et de bas, procurera des ressources aux misérables etpourra se targuer d'avoir fait, d'un « repaire de quarante sauvages », une « petite ville opulente habitée par douzecents personnes utiles ».
Un point noir pourtant : depuis l'attentat de Damiens contre le roi, quatre jours aprèsl'ouverture de l'année 1757, la police procédait à des arrestations en masse; les censeurs avaient reçu l'ordre de nerien laisser imprimer où l'on pût trouver à redire.
Il devenait dangereux de faire de la politique.
Ne fallait-il pas suivrel'exemple du « bon vieillard » qui ne connaissait le nom d'aucun ministre et ignorait que l'on « venait d'étrangler àConstantinople deux vizirs du banc, et le muphti, et qu'on avait empalé plusieurs de leurs amis »? Installons-nousdans notre domaine — château ou atelier — recommande l'auteur de Candide, exploitons-le en utilisant lestechniques les plus nouvelles — il introduira le semoir mécanique à Ferney — développons l'agriculture, le commerce,l'industrie, profitons de nos relations pour vanter à la cour et à l'étranger les produits que nous fabriquons.N'attendons rien de la confrontation des concepts métaphysiques, ces « ballons remplis de vent », ces billevesées;méfions-nous de la politique si nous n'avons pas un pied en France et un pied à l'étranger au bout de notre jardin.Dans ces conditions, la prospérité s'installera et, avec elle, la joie de vivre.Notre point de vue.
Mais un tel idéal n'est-il pas bien étroit? et toute la vie de Voltaire ne nous montre-t-elle pasqu'il ne cessa de philosopher et de se livrer à la bataille politique? Le « travaillons sans raisonner » de Martin nouschoque.
Si l'homme n'avait jamais raisonné en travaillant, il n'aurait pu perfectionner ses outils, ses techniques, etnous en serions toujours à l'âge de la pierre taillée, à supposer même que nous y soyons puisque c'est l'éveil duraisonnement qui fit, de l'animal primitif, un homo faber.
C'est la réflexion sur le travail qui permit l'essor industriel etagricole, qui créa l'économie politique, les modes d'exploitation capitaliste et socialiste, l'organisation financière etstatistique, le « planisme »..., en somme la civilisation; et, à moins de nous ranger avec Rousseau parmi lescontempteurs de la civilisation, nous ne pouvons guère accepter de travailler sans raisonner.
Les plus grandesusines du monde, en Russie comme aux États-Unis, n'invitent-elles pas les travailleurs, en leur offrant des primes, àproposer une amélioration de leur technique de travail?Si nous réduisons le sens du mot de Martin en retenant seulement qu'il ne faut jamais s'occuper de politique, maiss'occuper uniquement de son labeur professionnel, le mot nous choque encore.
Certes, si Socrate n'avait pas fait depolitique, il n'aurait pas bu la ciguë, mais nous n'aurions pas son magnifique exemple de sage qui accepta la pleineresponsabilité de ses opinions.
Et comment imaginer l'évolution idéologique et politique de notre pays, l'évolution del'espèce humaine tout entière, sans les Jacques du moyen âge, sans les Jeanne d'Arc, sans les parlementaires quitinrent tête à Mazarin, sans l'Esprit des lois, le Contrat social et le Capital, sans les girondins et les montagnards,sans Barbes et le député Baudin, sans les Résistants de la dernière guerre...? Arrêtons l'énumération, elle n'auraitpas de fin.
On conçoit que les sujets d'un monarque absolu se contentent d'obéir, même aux ordres injustes, maisdes citoyens? Il faudrait ne leur avoir jamais parlé du concept de liberté pour que les hommes cessent de la vouloiret de chercher les moyens de la rendre effective.
Se mêler de politique est un devoir moral.
Certains États en ontmême fait un devoir positif en sanctionnant les électeurs qui se refusent à voter.Des propos de Candide et de Martin, il reste donc la seule idée que le travail constitue le meilleur moyen de rendreles hommes heureux.
Et il est vrai que le travail éloigne de nous l'ennui, Pascal l'avait remarqué en le plaçant parmiles divertissements les plus efficaces.
Il est vrai qu'il éloigne le vice, un proverbe nous le rappelle en dénonçant laparesse comme « la mère de tous les vices ».
Qu'il éloigne le besoin, n'importe qui en conviendra puisque, danspresque toutes les sociétés, il faut travailler pour obtenir les moyens de vivre.
Mais ne faudrait-il pas s'élever audessus d'une conception étroite, axée sur les Intérêts de l'individu? Ne voyons nous pas que c'est le travail,autrement dit le développement économique, qui a édifié la civilisation? Nous classons les nations selon leur capacitéde production énergétique, Industrielle et agricole, soit, en grande partie — compte tenu de l'apport de la nature —selon leur puissance de travail, leur ingéniosité dans le travail.
Lorsque la France de la fin du XIXe siècle glorifiait satour Eiffel el son viaduc de Garabit, n'était-ce pas son travail qu'elle faisait briller? En répandant l'image de leursbuildings, les États-Unis ont vanté la puissance de leur travail.
La Russie soviétique d'aujourd'hui, en exprimant sajoie d'avoir lancé le premier satellite artificiel, est mue par le même sentiment d'orgueil.
Point de nation modernesans pétrole et sans minerais, certes; mais ne faut-il pas travailler pour découvrir les matières premières, les sortirde terre et les exploiter? En recommandant le travail, alors que l'idée de noblesse demeurait liée à l'idée d'oisiveté,Voltaire préparait le monde moderne.
Mais nous ne devons pas nous en tenir là.
Pour adopter comme maxime de conduite le mot de Candide, nous enétendrons le sens jusqu'à la métaphysique, malgré les sourcils froncés de Voltaire.
Cultiver notre jardin, c'est nonseulement travailler dans le champ, l'atelier, le bureau, le prétoire, la classe, l'engin roulant, l'engin volant, là où lesort nous appela, — mais c'est aussi développer notre intelligence, notre savoir; développer notre goût du beau, dujuste, parallèlement à notre goût du vrai; développer aussi notre désir d'absolu, bien que nous ne puissions atteindreque du relatif.
Cultiver notre jardin, c'est accomplir le vœu de Térence et faire en sorte que rien d'humain ne noussoit étranger; c'est retrouver l'idéal antique du mens sana in corpore sano aussi bien que l'idéal chrétien d'amouruniversel; l'idéal de ceux qui veulent élever les regards vers le droit, la justice, la charité, et l'idéal de ceux quiincitent l'homme à se transcender pour le tenir en haleine.
Conclusion
Réduit à son sens étroit, le mot de Candide n'exprime qu'un pauvre petit idéal d'homme déçu par la vie et qui neveut plus s'occuper de rien, hors le travail quotidien dont il tire ses ressources.
Il conduit à faire sa besogne avec le.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- A un jeune homme qui, à l'exemple de René, dont l'histoire a été récemment publiée, cultive la mélancolie et traîne une existence lamentable et sans but, un homme âgé, survivant du XVIIIe siècle, écrit une lettre pour l'engager à réagir contre sa tristesse en mettant en pratique le précepte formulé par Voltaire à la fin de Candide : « Il faut cultiver son jardin. » Vous composerez cette lettre.
- « Il faut cultiver notre jardin. » : Après avoir expliqué ce que Voltaire entend par là, vous direz si cette règle de conduite vous satisfait et vous paraît convenir.
- Comment entendez-vous cette parole de Voltaire. : Il faut cultiver notre jardin.
- Un jeune homme rend visite au châtelain de Ferney. « Ame sensible », il connaît le tourment des aspirations vagues et des dissolvantes tristesses : il se sent désarmé devant les obligations de la vie. Voltaire, au cours d'une conversation que vous reproduirez, commente le mot de Candide : « Il faut cultiver notre jardin. »
- Il faut cultiver notre jardin Voltaire