« Il est bien peu de monstres qui méritent la peur que nous en avons » (André Gide). Commentez. ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
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Allant plus voir, nous pouvons penser que ces inférences d'ordre philosophique ont été relayées et largementrépandues par une pseudo pensée scientifique qui est celle du médecin suisse Lavater, qui a vécu au XVIIIe siècle.Par Lavaterisme, nous entendons un système prétendument scientifique qui établissait des rapports objectifs entrel'apparence extérieure d'un sujet et ses caractéristiques morales.
C'est ainsi que Lavater faisait d'un front large unsigne d'intelligence, de yeux rapprochés l'indice d'un caractère fuyant… On trouve l'influence de cette pensée dansla littérature du XVIIIe siècle, notamment chez Balzac qui ne décrit en détails l'apparence de ses personnages quepour donner à entendre à son lecteur ce qu'ils sont intimement.
De ceci nous tirerons que si la monstruosité atendance à inspirer notre peur, c'est parce que nous faisons de l'apparence extérieure d'un individu un livre ouvertoù nous prétendons qu'il est possible de deviner ce qu'il est intimement.
Ainsi, la laideur du monstre ne sauraitqu'être un indice de son dérèglement intérieur, de sa monstruosité morale à l'image de sa monstruosité physique.
II.
L'écart à la norme n'est pas suffisant pour justifier la crainte qu'elle peut nous inspirer a.
La monstruosité n'a rien à voir avec l'intériorité du sujet : les exemples de la Littérature
C'est précisément contre ce type d'inférence, pseudo scientifique, pseudo philosophique, que Gide souhaite nousmettre en garde.
En effet, Gide nous dit que la monstruosité n'est pas un critère objectif pour fonder une inférencerelative à l'intériorité du sujet.
Pour le dire autrement, c'est à une forme de dualisme entre l'apparence et la psychéque Gide nous invite : nous ne pouvons rien savoir d'autrui en fondant notre connaissance sur la seule enveloppeextérieure d'un sujet.
La littérature avant Gide a fait de cette idée un motif récurrent : pensons au Quasimodo deVictor Hugo dans Notre Dame de Paris , dont la monstruosité ne fait pas de lui un individu moralement exécrable, comme peut l'être Frollo, l'assassin d'Esméralda à la fin du roman.
Mais c'est aussi la religion catholique qui a illustrécette idée en faisant du diable, dans certaines traditions, un être profondément beau, magnifique, dont l'origineangélique est rappelée par son nom (« Lucifer », celui qui porte la lumière) aussi bien que par son apparenceradieuse et séduisante.
Nous dirons donc avec Gide qu'il n'y a pas lieu de faire de la monstruosité un indicedéfavorable pour la moralité d'un sujet, puisqu'il existe au contraire une dichotomie entre ces deux caractéristiques :le beau peut être mauvais, et inversement.
b.
La norme n'est qu'une moyenne et non un idéal fixant une limite inamovible
Mais c'est pour une raison plus profonde que nous pouvons aller dans le sens de Gide et dire avec lui que « bien peude monstres méritent la peur que nous en avons » : parce que la monstruosité est écart par rapport à une moyennemouvante, non par rapport à une norme immuable.
C'est le philosophe Georges Canguilhem qui permet de fonder unetelle affirmation :
« L'approche quantitative du normal, en définissant le normal et l'anormal par la fréquence statistique, conduit àconsidérer le pathologique comme normal puisqu'une norme parfaite de santé apparaît, du point de vue factuel,comme non existante et en ce sens « anormale ».
Ici, la détermination sociale du pathologique par la fréquencestatistique aboutit à une neutralisation de la charge affective individuelle appréhendant le pathologique commeanormal et elle concourt à une négation de l'altérité du pathologique (…).
L'approche mathématique, arithmétiqueou statistique, permet au physiologiste d'élaborer un concept objectif et scientifique de normal, désigné sous leterme de moyenne ».
Canguilhem et les normes, Guillaume Le Blanc , PUF, p.
66-67.
En effet, la norme n'est jamais que la moyenne établie à partir d'une pluralité de sujets : elle dépend donc d'uncalcul arithmétique et de l'échantillon interrogé.
Pour le dire autrement, la norme n'est pas définie de manièreabsolue et inchangée : elle varie en fonction des époques, des sujets, des circonstances (ainsi la norme de la taillehumaine a variée au cours des siècles : si un mètre quatre vingt était monstrueux comme taille au dixième siècle, oùla nutrition rendait inhabituelle cette taille, celle-ci est au contraire parfaitement normale de nos jours).
Nous dironsdonc que s'il est peu de monstres qui méritent la peur que nous en avons, c'est parce que la monstruosité est écartpar rapport à une norme constituée par une moyenne arithmétique, et non différence par rapport à une normeimmuable.
III. Une incitation à la tolérance qui s'inscrit dans une invitation plus générale au bonheur a.
Gide, continuateur de la démarche Epicurienne de libération de l'homme de ses craintes
Allant plus loin, nous verrons ici que la démarche de Gide, cette invitation à la tolérance, n'est pas sans s'inscrire.
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