Hobbes: Le Léviathan, chapitre 13.
Publié le 02/03/2020
                             
                        
Extrait du document
 
                                
\"Aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun. Car la guerre ne consiste pas seulement dans la bataille et dans les combats effectifs, mais dans un espace de temps où la volonté de s'affronter en des batailles est suffisamment avérée: on doit par conséquent tenir compte, relativement à la nature de la guerre, de la notion de durée, comme on en tient compte relativement à la nature du temps qu'il fait. De même en effet que la nature du mauvais temps ne réside pas dans une ou deux averses, mais dans une tendance qui va dans ce sens, pendant un grand nombre de jours consécutifs, de même la nature de la guerre ne réside pas dans un combat effectif, mais dans une disposition avérée, allant dans ce sens, aussi longtemps qu'il n'y a pas assurance du contraire. Tout autre temps se nomme Paix.
(...) Il peut sembler étrange à celui qui n'a pas bien pesé ces choses que la nature puisse ainsi dissocier les hommes et les rendre enclins à s'attaquer et à se détruire les uns les autres: c'est pourquoi peut-être, incrédule à l'égard de cette inférence tirée des passions, cet homme désirera la voir confirmée par l'expérience. Aussi, faisant un retour sur lui-même, alors que partant en voyage il s'arme et cherche à être bien accompagné, qu'allant se coucher il verrouille ses portes, que dans sa maison même il ferme ses coffres à clef, et tout cela sachant qu'il existe des lois et des fonctionnaires publics armés pour venger tous les torts qui peuvent lui être faits: qu'il se demande quelle opinion il a de ses compatriotes quand il voyage armé, de ses concitoyens quand il verrouille ses portes, de ses enfants et de ses domestiques quand il ferme ses coffres à clef. N'incrimine-t-il pas l'humanité par ses actes autant que je le fais par mes paroles? Mais ni lui, ni moi n'incriminons la nature humaine en cela. Les désirs et les autres passions de l'homme ne sont pas en eux-mêmes des péchés. Pas davantage ne le sont les actions qui procèdent de ces passions tant que les hommes ne connaissent pas de loi qui les interdise; et il ne peuvent connaître de loi tant qu'il n'en a pas été fait; or aucune loi ne peut être faite tant que les hommes ne se sont pas entendus sur la personne qui doit la faire\".
Hobbes: Le Léviathan, chapitre 13.
L'aliénation du travail mécanisé, la société de consommation, la dégradation des milieux écologiques, l'égoïsme et la vanité liés aux valeurs de l'argent et du prestige social, l'exploitation de l'homme par l'homme : tous ces thèmes inspirent souvent une certaine nostalgie de la nature, c'est-à-dire le regret vague d'un état où l'homme vivait heureux, en harmonie tant avec la nature qu'avec ses semblables. Pourtant est-il bien sûr que l'état de nature soit aussi bénéfique pour l'homme ? Ne sommes-nous pas ici victimes, après tant d'autres, comme Bougainville, qui voyait dans la Polynésie la \"Nouvelle Cythère\", du mythe du bon sauvage ? Hobbes, quant à lui, affirme dans ce texte extrait du Léviathan (1651) que l'état de nature est un état de guerre perpétuelle, et que seule l'autorité politique établie à l'état social permet aux hommes de vivre ensemble, et même tout simplement de survivre. On voit que la réflexion politique, chez Hobbes, s'articule sur une certaine anthropologie : c'est la conception que l'on se fait de la nature humaine qui commande finalement le type de gouvernement que l'on veut promouvoir. A un homme naturellement pacifique on sera tenté d'attribuer un Etat libéral et respectueux des droits individuels, à un homme belliqueux on voudra imposer un Etat tout-puissant - un Léviathan - qui assure la paix et l'ordre par la force et la crainte. C'est dans le cadre de cette alternative que nous devons étudier le texte de Hobbes qui nous est proposé ici.
 
                                «
                                                                                                                            Hobbes  s'efforce  tout  d'abord  d'élaborer  une  définition  complète  et  rigoureuse  de  la 	
guerre,  en  montrant  que  cette  dernière  carac	térise  justement  l'état  de  nature  :  on  peut  résumer  cette 	
définition  en  disant  que,  pour  Hobbes,  la  guerre  est  une  disposition  naturelle  durable  au  combat.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Voyons le détail de cette thèse: dans une première phrase très riche, Hobbes établit les rapports en	tre 	
trois  termes:  l'état  de  nature,  la  guerre  et  le  pouvoir  politique  :  "aussi  longtemps  que  les  hommes 
vivent  sans  un  pouvoir  commun  qui  les  tienne  tous  en  respect,  ils  sont  dans  cette  condition  qui  se 
nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun co	ntre chacun".
                                                            
                                                                                
                                                                    Le terme de nature n'est pas cité 	
ici,  mais  il  est  sous	-entendu  :  Hobbes  définit  en  effet  l'état  de  nature  comme  étant  antérieur  à  l'état 	
social, c'est	-à-dire à cet acte par lequel les hommes se donnent un souverain qui fait des lois, impose 	
ainsi  un  certain  ordre  collectif  et  instaure  l'état  social.
                                                            
                                                                                
                                                                     C'est  donc  bien  l'état  de  nature  qui  est 
caractérisé  comme  un  état  de  guerre  perpétuelle  de  chacun  contre  chacun.
                                                            
                                                                                
                                                                     On  pourrait  d'ailleurs 
remarquer ici que Hobbes donne de l'état de nature une défi	nition purement négative, par abstraction 	
de  tout  ce qui,  en  l'homme,  relève  de  la  société.
                                                            
                                                                                
                                                                     C'est  ainsi,  par  exemple,  que  Rousseau  opère  dans 
son	 Discours  sur  l'origine  et  les  fondements  de  l'inégalité  parmi  les  hommes 	:  il  faut,  écrit	-il  dans  sa 	
préface,	 examiner l'homme par la pensée et ainsi "démêler ce qu'il tient de son propre fonds d'avec ce 	
que les circonstances et ses progrès ont ajouté ou changé à son état primitif".	 	
 L'état  de  nature  est  donc  un  état  de  guerre  générale  et  permanente  :  qu'est	-ce 	qui 	
permet  à  Hobbes  de  formuler  ce  jugement  ?  Nous  devons  ici  nous  reporter  au  début  du  chapitre  XIII 
du 	Léviathan	, où sont contenues des idées anthropologiques qui vont nous éclairer.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il y a, dit Hobbes 	
dans ce passage, deux types de facultés humaines, ce	lles du corps et celles de l'esprit; or la nature a 	
établi une relative égalité de ces facultés chez les hommes : la force physique est toujours à peu près 
la  même,  l'intelligence  aussi.
                                                            
                                                                                
                                                                     L'inégalité  quant  à  la  force  physique  peut  exister,  mais  elle  n'est  j	amais 	
si  grande  qu'un  faible ne puisse  vaincre  un  fort, soit par la  ruse, soit par l'union  avec  d'autres faibles.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Pour ce qui est des forces de l'esprit, Hobbes a recours à deux arguments, dont le premier est inspiré 
par  son  empirisme  :  l'intelligence  repo	se  sur  l'expérience,  qui  est  dans  son  ensemble  la  même  pour 	
tous  les  hommes.
                                                            
                                                                        
                                                                     Par  ailleurs  ce  qui,  selon  Hobbes,  prouve  l'égalité  relative  des  facultés  de  l'esprit, 
c'est que personne n'a coutume de réclamer plus d'intelligence qu'il n'en a : "en effet il n	'y a d'ordinaire 	
pas de meilleure preuve d'une distribution égale en toutes choses que lorsque chacun est satisfait de 
la  part  qui  lui  est  attribuée".
                                                            
                                                                                
                                                                     Cet  argument,  Hobbes  l'a  sans  doute  trouvé  chez  Descartes,  qui  l'avait 
effectivement utilisé au début de 	son 	Discours de la Méthode	: "le bon sens est la chose du monde la 	
mieux partagée, car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à 
contenter  en  toute  autre  chose  n'ont  point  coutume  d'en  désirer  plus  qu'ils  en  ont".
                                                            
                                                                                
                                                                     Noto	ns  enfin  que 	
Descartes parle ici de la raison (le "bon sens"), et non de l'intelligence (les "dons de l'esprit") ; à cette 
nuance près l'argument est le même.	 	
 La  conséquence  de  cette  égalité  naturelle  entre  les  hommes  est  une  rivalité 	
généralisée, car, d	u fait de cette égalité, chacun peut légitimement prétendre à tout ce que les autres 	
désirent  aussi  (objet  ou  terre),  cette  légitimité  étant  bien  sûr  seulement  celle  de  la  loi  de  la  nature.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Hobbes le dit au début du chapitre XIII : "la Nature a fait les ho	mmes si égaux en ce qui concerne les 	
facultés  du  corps  et  de  l'esprit  que,  bien  que  l'on  puisse  trouver  parfois  un  homme  manifestement 
d'une  force  physique  supérieure  ou  d'un  esprit  plus  rapide  qu'un  autre,  tout  bien  considéré  la 
différence d'un homme à un	 autre n'est toutefois pas si considérable qu'un homme puisse à cet égard 	
réclamer pour lui	-même un avantage auquel un autre ne puisse prétendre aussi bien que lui".
                                                            
                                                                                
                                                                    On voit 	
donc  que  ce  n'est  paradoxalement  pas,  pour  Hobbes,  l'inégalité  qui  provoque  entre 	les  hommes  la 	
rivalité et la guerre, après avoir fait éclore en eux les passions de l'envie, de la jalousie et de la haine ; 
c'est au contraire l'égalité qui est source d'affrontement.	 	
 Précisons encore: l'égalité produit, toujours selon Hobbes, trois pas	sions qui vont inciter 	
l'homme  au  conflit  :  "nous  trouvons  dans  la  nature  de  l'homme  trois  causes  principales  de  querelle: 
premièrement le désir de compétition, deuxièmement la méfiance, troisièmement l'orgueil".
                                                            
                                                                                
                                                                    Tout, dans 
la  nature  de  l'homme  est  donc  so	urce  de  désaccord,  de  discorde,  d'affrontement,  et  on  comprend 	
alors  que  l'état  de  nature  soit  un  état  de  guerre  et  qu'un  pouvoir  commun  soit  nécessaire  pour  tirer 
l'homme  de  cet  état  misérable  à  tous  points  de  vue.
                                                            
                                                                                
                                                                     A  l'état  de  nature  l'homme  est  perpétuel	lement 	
menacé de mort violente et la vie, dans ces conditions, est "solitaire, besogneuse, pénible, bestiale et 
courte".
                                                            
                                                                                
                                                                     Heureusement  l'homme  a  aussi  des  passions  qui  sont  l'expression	  de  son  instinct  de 	
conservation  et  qui  le  poussent  à  aimer  la  vie,  don	c  à  vouloir  établir  la  paix.
                                                            
                                                                                
                                                                     Hobbes  évoque  cet.
                                                                                                                    »
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