Histoire de l'éthocentrisme et du racisme
Publié le 27/05/2022
Extrait du document
«
ETHNOCENTRISME ET RACISME
LE BARBARE C'EST CELUI QUI CROIT À LA BARBARIE.
« On sait, en effet, que la notion d'humanité, englobant, sans distinction de race ou de civilisation,
toutes les formes de l'espèce humaine, est d'apparition fort tardive et d'expansion limitée.
Là même
où elle semble avoir atteint son plus haut développement, il n’est nullement certain - l'histoire
récente le prouve - qu'elle soit établie à l'abri des équivoques ou des régressions.
Mais, pour de
vastes fractions de l'espèce humaine et pendant des dizaines de millénaires, cette notion apparaît
totalement absente.
L'humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois
même du village ; à tel point qu'un grand nombre de populations dites primitives se désignent d'un
nom qui signifie les "hommes" (ou parfois - dirons- nous avec plus de discrétion "les bons", "les
excellents", "les complets), impliquant ainsi que les autres tribus groupes ou villages ne participent
pas des vertus - ou même de la nature humaine, mais sont tout au plus composés de "mauvais", de
"méchants", de "singes de terre" ou "d'œufs de pou" [....].
Dans les Grandes Antilles, après la
découverte de l'Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d'enquête pour
rechercher si les indigènes possédaient ou non une âme, ces derniers s'employaient à immerger des
blancs prisonniers afin de vérifier par une surveillance prolongée si leur cadavre était ou non, sujet
à la putréfaction.
Cette anecdote à la fois baroque et tragique illustre bien le paradoxe du relativisme culturel (que
nous retrouverons ailleurs sous d'autres formes) : c'est dans la mesure même où l'on prétend établir
une discrimination entre les cultures et les coutumes que l'on s'identifie le plus complètement avec
celles qu'on essaye de nier.
En refusant l'humanité à ceux qui apparaissent comme les plus
"sauvages" ou les plus "barbares" de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leur
attitude typique.
Le barbare c'est celui qui croit à la barbarie.
»
CLAUDE LÉVI-STRAUSS, RACE ET HISTOIRE (1952).
CULTURE ET ETHNOCENTRISME
« De même qu'à l'idée de nature s'oppose celle de culture comme s'oppose au produit brut l'objet
manufacturé ou bien à la terre vierge la terre domestiquée, à l'idée de “civilisation” s'est longtemps
opposée — et s'oppose encore maintenant dans l'esprit de la plupart des Occidentaux — l'idée de
“sauvagerie”.
Jusqu'à une époque récente l'homme d'Occident […] s'est imaginé que la Civilisation
se confondait avec sa civilisation, la Culture avec la sienne propre […] et n'a cessé de regarder les
peuples exotiques […] soit comme des “sauvages” incultes et abandonnés à leurs instincts soit
comme des “barbares” […].
L'homme à l'état de nature est, en vérité, une pure vue de l'esprit, car il
se distingue de l'animal précisément en tant qu'il possède une culture, dont même les espèces que
nous considérons comme les plus proches de la nôtre sont privées […].
S'il n'est pas suffisant de dire
de l'homme qu'il est un animal social (car des espèces très variées d'animaux vivent elles aussi en
société) il peut être défini comme un être doué de culture, car, […] chez l'homme, […] il y a pour
l'expérience […] possibilité de s'ériger en « culture », héritage social distinct de l'héritage biologique
comme de l'acquis individuel […].
Loin d'être limitée à ce qu'on entend dans la conversation courante quand on dit d'une personne
qu'elle est — ou qu'elle n'est guère — “cultivée” […], loin de s'identifier à cette “Culture” de prestige
[…], la culture doit donc être conçue comme comprenant, en vérité, tout cet ensemble plus ou
moins cohérent d'idées, de mécanismes, d'institutions et d'objets qui orientent — explicitement ou
implicitement — la conduite des membres d'un groupe donné.
[…] Variable selon le groupe, le sousgroupe et, dans une certaine mesure, la famille, douée d'une rigidité plus ou moins stricte et
s'imposant de manière plus ou moins coercitive […], la culture représente, à l'échelon individuel, un
facteur capital dans la constitution de la personnalité.
[…] La culture intervient […] à tous les niveaux
1.
»
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