Henri Rousseau, dit le Douanier

Henri Rousseau commence à peindre vers 1880, à l'âge d'environ trente-six ans ; ses premières toiles exposées au Salon des Indépendants lui valent un succès fait de curiosité et de ridicule : tout le monde y court et la salle d'exposition retentit de rires. Si quelqu'un à cette époque avait dit un mot de louange devant, par exemple, le tableau les Souverains, l'audacieux aurait couru le risque d'être pris immédiatement pour un échappé de Charenton. On a pu remarquer cependant à l'exposition quelques jeunes peintres arrêtés longuement devant ses toiles. Quelques années plus tard, Rousseau obtenait une place d'honneur au Salon d'automne : son paysage fantastique de forêt vierge, un souvenir du Mexique où il s'était rendu comme participant à l'expédition militaire française de 1862-67, voisinait avec une remarquable statue de Maillol. Ce grand tableau, d'un effet décoratif au charme prenant, fit alors naître l'idée que pour les sujets de ses tapisseries, la manufacture des Gobelins pourrait copier de telles oeuvres de Rousseau. Il reçoit des commandes, il gagne l'amitié de Gauguin, Redon, Picasso qui organisent des banquets en son honneur. Rousseau devient une espèce d'enfant prodige. C'était en effet un grand enfant. Mais le prodige était que Rousseau, le douanier en retraite de l'octroi parisien, avait été jusqu'alors complètement à l'écart de l'art. Il commença à peindre au moment précis et exactement de la manière qui s'imposèrent à lui selon le développement spirituel de la peinture européenne. Durant près de quatre siècles, les arts s'étaient projetés en arc immense de la Renaissance au rococo ; un siècle suivit alors pendant lequel la peinture, enrichie par l'expérience et la tradition transmises de génération en génération, s'éleva d'Ingres à Cézanne au plus haut point.