HEGEL: l'artiste pense à la manière du philosophe ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document


«
d'abord que si l'œuvre d'art se présente comme un objet, offert aux sens, elle vise la pensée et possède uncontenu spirituel de la plus haute importance.
Si:«L'homme s'est toujours servi de l'art comme d'un moyen de prendre conscience des idées et des Intérêtsles plus élevés de son esprit, les peuples ont déposé leurs conceptions les plus hautes dans les productionsde l'art, les ont exprimées et en ont pris conscience par le moyen de l'art.
»
C'est que: « la plus haute destination de l'art est celle qui lui est commune avec la religion et la philosophie».
Il suffirait pour s'en convaincre de se souvenir de ce que furent la tragédie grecque ou l'architecturemédiévale.
Formidable moyen d'éducation, l'art religieux manifeste l'expansion du christianisme comme ilpermet d'apprendre à la population illettrée l'histoire sainte.
La tragédie grecque, véritable institutionpolitique (la totalité des citoyens assistait aux concours tragiques), représente un moyen pour la cité des'interroger sur elle-même, sur ses mythes, sur ses valeurs, sur la place respective des dieux et deshommes, sur la responsabilité humaine, etc.Dans l'art véritable n'apparaît pas seulement l'expression personnelle du génie de l'artiste, mais aussi toutesles interrogations et les conceptions d'une époque qui se donnent une forme objective (celle de l'œuvre);l'œuvre est moyen pour l'esprit de se contempler lui-même.Le génie d'un peuple, « ses idées et ses intérêts les plus hauts » sont extériorisés par le moyen de l'œuvred'art.
Les pensées s'y donnent une forme objective, sensible, qui permet à nos conceptions de devenirlisibles, accessibles.Hegel y voit la source du besoin d'art.
Toutes les sociétés humaines, aussi « primitives » qu'elles paraissent,ont toujours connu une activité artistique, parce que:
« l'œuvre d'art est un moyen à l'aide duquel l'homme extériorise ce qu'il est », c'est-à-dire prend consciencede ce qu'il est.
Ainsi, quelle que soit la part d'apparence et d'emprunt au sensible qui se manifeste dansl'œuvre: « ces formes ou ces sons sensibles, l'art les crée non pour eux-mêmes et tels qu'ils existent dans laréalité immédiate, mais pour la satisfaction d'intérêts spirituels supérieurs ».Si l'on voit alors clairement pourquoi: « l'art occupe le milieu entre le sensible pur et la pensée pure », resteà lever deux objections.
Celle qui fait de l'activité artistique une simple imitation de la nature, ou celle qui nevoit dans l'art qu'un simple jeu d'apparence et d'illusion.Hegel n'a pas de phrases trop dures pour ceux qui font de l'art une simple imitation de la nature.
« Il y a desportraits dont on a dit spirituellement qu'ils sont ressemblants jusqu'à la nausée.
» Si l'œuvre n'était qu'unesimple copie de la nature, elle n'aurait aucune valeur.
En effet, créer se réduirait à une simple routine, à unehabileté, puisque le contenu de l'œuvre et sa matière seraient fournis par le modèle.
L'homme n'y produiraitrien de lui-même.
En ce cas, l'homme pourrait « être fier d'avoir inventé le marteau, le clou, car ce sont desinventions originales et non imitées».De même, voir dans l'œuvre un simple jeu, un simple travail d'illusionniste est méconnaître l'activitéartistique.
En déclarant:« L'art creuse un abîme entre l'apparence et l'illusion de ce monde mauvais et périssable d'une part, et lecontenu vrai des événements de l'autre, pour revêtir ces événements et phénomènes d'une réalité plushaute, celle de l'esprit.
»
Hegel retrouve en partie une leçon d' Aristote; l'art débarrasse les événements réels de leur contingence, deleurs impuretés, d'un fatras de détails, pour en dévoiler l'essence et la vérité.
Ce qu'il y a d'apparence dansl'art n'est pas de l'ordre de l'illusion et du mensonge, mais au contraire, de l'essentiel.
L'art épure le réel(immédiat) pour en dévoiler l'essence.La mise en évidence du caractère hautement spirituel de l'art ne reste pas chez Hegel un simple constatthéorique.
Outre les analyses d'œuvres présentes dans l'Esthétique, des études d'œuvres littérairesponctuent tout le second tome de la « Phénoménologie de l'esprit »: l' « Antigone » de Sophocle, le « Neveude Rameau » de Diderot, « Michel Kohlhaas » de Kleist ou « Les Brigands » de Schiller servent à étudier lesmoments à la fois historiques et logiques qui ont présidé à leur création.
Et Hegel se fait fort de démontrerl'intérêt philosophique majeur de tels écrits.Cependant, la richesse et la présentation sensible qu'offre l'art en constituent aussi les limites.
On a vu que« l'art occupe le milieu entre le sensible pur et la pensée pure », c'est-à-dire que: « le contenu d'une œuvred'art est tel que, tout en étant d'ordre spirituel, il ne peut être représenté que sous une forme naturelle ».Si l'art, en effet, recèle un contenu spirituel, offrant des affinités avec la religion et la philosophie, on a vuqu'il consistait à offrir ce contenu sous une forme sensible, objective, au moyen de formes, de couleurs, etc.L'œuvre présente une « indivision du sensible et de l'intelligible ».On ne peut, pour parler grossièrement, séparer fond et forme, et l'œuvre n'est pas l'illustration sensible dune idée déjà là.
Ce qu'a à nous dire Racine n'est pas dissociable de son écriture; il n'y a pas un messagepréexistant puis un « moyen » de le faire passer.
Les œuvres qui se contentent d'illustrer une thèse sontgénéralement décevantes et plates.Or cette façon de présenter de façon plus immédiate, plus sensible qu'un ouvrage conceptuel (un traité demétaphysique par exemple) un contenu spirituel, marque à la fois l'intérêt majeur de l'art et ses limites.
Eneffet d'une part (on y reviendra), il y a des contenus tels que leur expression sensible est inadéquate,d'autre part :«Ce mode de production peut être comparé à celui d'un homme expérimenté qui, tout en connaissant la vieet ses contingences, ne réussit pas à formuler son expérience en règles, mais a toujours devant ses yeux les.
»
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