HEGEL: L'art ne donne plus cette satisfaction des besoins spirituels
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
«
Dans des notes de cours qui ont reçu le titre d' « Esthétique » (posthume), Hegel (1770-1831) écrit: « L'art occupe le milieu entre le sensible pur et la pensée pure. » Une formule plus rigoureuse précise: « Le contenu d'une œuvre d'art est tel que, tout en étant d'ordre spirituel, il ne peut être représenté que sous une forme naturelle. »
Il s'agit, pour l'auteur de la « Phénoménologie de l'esprit » et de la « Logique », de montrer la haute valeur spirituelle de l'art, de souligner ses affinités avec la religion et la philosophie, mais aussi d'en assigner les limites: «L'art reste pour nous, quant à sa suprême destination, une chose du passé. »
Contre tous ceux qui font de l'art une activité opposée à la pensée et au concept, que ce soit au nom del'enthousiasme, du génie, de l'inspiration, Hegel réaffirme la valeur spirituelle de l'art.
L'art ne s'oppose pas à la philosophie, à la science, à la religion.
Il ne se réduit pas à l'exaltation du sentiment, au jeu, à l'expressionpersonnelle.
Si l'œuvre d'art s'offre aux sens, agit sur notre sensibilité, elle n'en présente pas moins, bien aucontraire, une valeur intellectuelle.
« L'art occupe le milieu entre le sensible pur et la pensée pure » signifie d'abord que si l'œuvre d'art se présente comme un objet, offert aux sens, elle vise la pensée et possède un contenu spirituelde la plus haute importance.
Si:
«L'homme s'est toujours servi de l'art comme d'un moyen de prendre conscience des idées et des intérêts les plusélevés de son esprit, les peuples ont déposé leurs conceptions les plus hautes dans les productions de l'art, les ontexprimées et en ont pris conscience par le moyen de l'art. »
C'est que: « la plus haute destination de l'art est celle qui lui est commune avec la religion et la philosophie ».
Il suffirait pour s'en convaincre de se souvenir de ce que furent la tragédie grecque ou l'architecture médiévale.
Formidable moyen d'éducation, l'art religieux manifeste l'expansion du christianisme comme il permet d'apprendre à lapopulation illettrée l'histoire sainte.
La tragédie grecque, véritable institution politique (la totalité des citoyensassistait aux concours tragiques), représente un moyen pour la cité de s'interroger sur elle-même, sur ses mythes,sur ses valeurs, sur la place respective des dieux et des hommes, sur la responsabilité humaine, etc.
Dans l'art véritable n'apparaît pas seulement l'expression personnelle du génie de l'artiste, mais aussi toutes lesinterrogations et les conceptions d'une époque qui se donnent une forme objective (celle de l'œuvre); l'œuvre estmoyen pour l'esprit de se contempler lui-même.
Le génie d'un peuple, « ses idées et ses intérêts les plus hauts » sont extériorisés par le moyen de l'œuvre d'art.
Les pensées s'y donnent une forme objective, sensible, qui permet à nos conceptions de devenir lisibles,accessibles.
Hegel y voit la source du besoin d'art.
Toutes les sociétés humaines, aussi « primitives » qu'elles paraissent, ont toujours connu une activité artistique, parce que:
« l'œuvre d'art est un moyen à l'aide duquel l'homme extériorise ce qu'il est », c'est-à-dire prend conscience de ce qu'il est.
Ainsi, quelle que soit la part d'apparence et d'emprunt au sensible qui se manifeste dans l'œuvre: « ces formes ou ces sons sensibles, l'art les crée non pour eux-mêmes et tels qu'ils existent dans la réalité immédiate,mais pour la satisfaction d'intérêts spirituels supérieurs ».
Si l'on voit alors clairement pourquoi: « l'art occupe le milieu entre le sensible pur et la pensée pure », reste à lever deux objections.
Celle qui fait de l'activité artistique une simple imitation de la nature, ou celle qui ne voit dans l'artqu'un simple jeu d'apparence et d'illusion.
Hegel n'a pas de phrases trop dures pour ceux qui font de l'art une simple imitation de la nature.
« Il y a des portraits dont on a dit spirituellement qu'ils sont ressemblants jusqu'à la nausée. » Si l'œuvre n'était qu'une simple copie de la nature, elle n'aurait aucune valeur.
En effet, créer se réduirait à une simple routine, à une habileté,puisque le contenu de l'œuvre et sa matière seraient fournis par le modèle.
L'homme n'y produirait rien de lui-même.
En ce cas, l'homme pourrait « être fier d'avoir inventé le marteau, le clou, car ce sont des inventions originales et non imitées ».
De même, voir dans l'œuvre un simple jeu, un simple travail d'illusionniste est méconnaître l'activité artistique.
Endéclarant:
« L'art creuse un abîme entre l'apparence et l'illusion de ce monde mauvais et périssable d'une part, et le contenuvrai des événements de l'autre, pour revêtir ces événements et phénomènes d'une réalité plus haute, celle del'esprit. »
Hegel retrouve en partie une leçon d' Aristote ; l'art débarrasse les événements réels de leur contingence, de leurs impuretés, d'un fatras de détails, pour en dévoiler l'essence et la vérité.
Ce qu'il y a d'apparence dans l'art n'est pas.
»
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