Hannah Arendt : archéologue politique à la recherche des vestiges de l'autorité
Publié le 26/11/2023
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«
Hannah Arendt : archéologue politique à la
recherche des vestiges l’autorité.
ARENDT Hannah, « Qu’est-ce que l’autorité ? », La crise de la culture, Gallimard.
Le monde moderne est hyper-changeant, malléable, et tout se
passe comme si nous n’avions aucun modèle politique solide guidant le
comportement de notre société.
C’est comme si l’humanité, à mesure que
progresse la modernité, manquait d’une figure paternelle pavant son
chemin.
Et ainsi, se retrouvant confrontée à un héritage précédé d’aucun
testament (pour reprendre les mots, chers à Arendt, de René Char), elle
doit réinventer en permanence son rapport à elle-même, c’est à dire ses
modèles politiques.
Le monde moderne est malléable parce que le siège dans lequel il était
jadis solidement installé et fermement tenu, l’autorité, n’est plus.
Voici la thèse soutenue par Hannah Arendt, politologue, philosophe
et journaliste allemande dans Qu’est-ce que l’autorité ?, texte que l’on
trouve dans l’assemblage d’essais La crise de la culture, paru en 1961.
Arendt a passé sa vie intellectuelle à essayer de penser son époque, le
XXe siècle, et le titre original de l’œuvre dont nous parlons, Between past
and future, résume bien la pensée générale de l’autrice.
En effet, nous
nous situons, selon elle, dans une brèche entre deux mondes, l’un connu,
stable et durable mais perdu, et l’autre inconnu, où nous sommes en
situation de table rase, confrontés à un devenir incertain dans un monde
protéen.
La cause de cette crise de la modernité, comme une crise
d’adolescence de l’humanité, est que l’autorité a disparu de notre monde,
à tel point que nous sommes incapables de comprendre ce qu’elle est, ou
plutôt, comme le rectifie l’autrice dès la première phrase du texte, ce
qu’elle fut.
Car l’autorité, en quittant toutes les sphères de la vie, ne nous
a laissé aucune base conceptuelle sur laquelle fonder notre
compréhension de ce qu’elle fut, et le fil de la tradition qui nous relia au
passé étant définitivement rompu, il semble inespéré de parvenir à
embrasser dans sa grandeur, ce concept passé.
Hannah Arendt, ne se
satisfaisant pas de cette disparition définitive, tenta malgré tout une
percée à travers cette amnésie de l’humanité, une recherche, presque
une enquête, visant dans un premier temps à comprendre quelle est cette
notion lointaine, souvent à tort décriée par notre époque, et par quelle
chaîne de causalité la notion d'autorité a fini par tomber complètement en
défaveur.
S'amorce alors, avec cette recherche, fruit du refus de l’oubli,
une généalogie de la conception occidentale de l'autorité, consubstantielle
à celles de tradition et de religion instituée.
Pour tenter d’approcher ce que put être l’autorité, il faut d’abord
comprendre ce qu’elle ne fut pas, et une chose nous freine dans cette
entreprise, il s’agit de la fonctionnalisation conceptuelle.
La
fonctionnalisation conceptuelle, explique Arendt, veut que nous
considérions égales toutes les choses remplissant une même fonction,
autrement dit, « tout ce qui remplit la même fonction peut, dans cette
perspective, recevoir le même nom ».
En l’occurrence, comme l’autorité
produit l’obéissance, nous prenons à tort ce qui fait obéir pour l’autorité,
et ainsi certains prennent la violence ou la persuasion pour des formes
d’autorité.
Or, écrit l’autrice, « là où la force est employée, l’autorité
proprement dite a échoué » et l’autorité « est incompatible avec la
persuasion qui présuppose l’égalité ».
En effet, là où le parent cogne
et/ou négocie avec sa progéniture, il est clair que l’autorité n’est pas.
Le premier à avoir compris que l’autorité représente une alternative
politiquement intéressante aux formes de pouvoir que sont la coercition
et la persuasion fut Platon, et c’est pour cette raison qu’il chercha à
travers tout son projet politique à introduire l’autorité dans la vie
publique, aussi bien théoriquement, ce qui échoua, que pratiquement, ce
qui échoua aussi.
Le problème auquel il fut confronté, et qu’il ne parvint
pas pleinement à surmonter, fut que l’autorité présuppose une hiérarchie
fondée sur un principe transcendant, or, comment, dans une société
d’égaux comme l’Athènes de Platon, introduire une hiérarchie et sur quels
principes fonder cette distinction entre gouvernants et gouvernés ? En
d’autres termes, comment introduire de la verticalité dans une société
horizontale ? Platon, ne parvenant pas, malgré ses tentatives, à fonder
l’autorité, fit usage d’une solution de fortune qu’il nomma « théologie »
mais qui n’est pas la théologie au sens religieux du terme.
La théologie
dont il est question ici est uniquement politique, elle est l’établissement
de normes transcendantes selon lesquelles « on peut fonder des cités et
établir des règles de conduite pour la multitude » selon les mots de
Arendt.
Ainsi, la théologie platonicienne, qui eut une longue et importante
postérité, fut le récit d’un jugement dernier et d’un au-delà pourvu de
châtiments et de récompenses.
Ce récit, bien que n’introduisant pas
d’autorité au sens strict dans la cité, permit au petit nombre de conserver
un contrôle moral et politique de la multitude, et de la faire se comporter
selon des normes transcendantes, des vérités, accessibles seulement au
petit nombre selon la pensée politique platonicienne.
Étymologiquement, « autorité » vient de auctoritas qui dérive du
verbe augere qui signifie « augmenter ».
Mais quel est le lien entre «
augmenter » et le concept d'autorité ?
Pour le comprendre, et comprendre ce que signifie l'autorité dans son
sens le plus abouti, il nous faut chercher, nous dit Arendt, dans le monde
romain, car c'est là que naquit l'autorité dans son sens aujourd’hui
disparu.
L'autorité politique romaine naquit concomitamment à la
sacralisation....
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