Gisèle FREUND écrit que "l'image est facile à comprendre et accessible à tout le monde". Pensez-vous que cette affirmation soit toujours vraie ?

« parce qu'ils n'ont pas les codes culturels permettant de les goûter.

Les hiéroglyphes, certaines photographiesd'objets quotidiens exigent tout autant quelques notions préalables, un savoir ou des connaissances permettantd'en saisir toute la portée et le sens.

De plus, nous pouvons difficilement accepter certaines images, lescomprendre, elles et l'utilisation qui en est faite, dans certaines circonstances : la vue d'une petite fille enlisée dansla boue a suscité de nombreuses réactions il y a quelques années.

Le spectateur a assisté, en direct, et duranttoute son agonie, à la lente disparition de l'enfant.

Beaucoup se sont insurgés contre cet emploi de l'image, le choixdu spectaculaire, de l'inédit et du « scoop » n'aurait-il pas conduit à négliger l'aide à lui apporter ? Commentcomprendre la valeur d'unetelle image, son intérêt et son utilité ? Cela exige quelque réflexion.3.

Enfin, le message délivré peut être obscur.

Il peut ne pas être visible ou ne pas atteindre son but : la publicitéd'une voiture, il y a quelques années, montrait le véhicule comme une poire, l'assimilait au fruit.

Au lieu de pousserles clients potentiels à vouloir se la procurer, cette affiche les conduisit, au contraire, à la rejeter.

Le produit futvictime de l'image qu'elle projetait sur son acheteur et ce fut un échec commercial retentissant.

Certaines peuventêtre mal comprises et choquer : une affiche publicitaire représentant un mannequin noir battu par une autre femme,mais blanche, fit scandale et dévalorisa la marque de vêtements qui la présentait et fut alors associée au racisme,au colonialisme, à la violence.

Certaines peuvent avoir des résultats opposés à ceux qu'elles désiraient ; le filmOrange mécanique, conçu pour montrer les horreurs de la violence, n'atteignit pas son but et l'on vit des jeunesgens reproduire dans la réalité la scène fictive de la mise à mort gratuite d'un clochard...

Une image publicitaire jouesur ces deux niveaux : certaines sont conçues pour faire rire le destinataire, mais, en fait, cette « cible », pourutiliser le langage approprié, en est ainsi mieux manipulée, puisqu'elle associera toujours le produit vanté à ladétente, à la joie et on l'achètera donc plus facilement.

La manipulation, dans quelque domaine que ce soit, estsimple : l'image parle, impose, enlève toute envie de contester le message transmis (que l'on songe aussi auxaffiches de propagande de toutes sortes).Si l'image est toujours aisée à regarder, sa valeur, sa signification et sa portée peuvent demeurer obscures.

Ellen'est pas limpide pour tous, elle peut même conduire à des erreurs ou provoquer des réactions contraires à celles quiétaient initialement recherchées. ConclusionAinsi, si l'on peut admettre, avec Gisèle Freund, que l'image est en effet accessible à tous et, dans de nombreuxcas, aisément compréhensible pour beaucoup, il faut toutefois reconnaître qu'elle n'en demeure pas moins difficile àinterpréter parfois.

Pour en saisir le sens et la saveur, il faut généralement avoir des références culturelles précises,pouvoir en goûter la valeur et l'importance.

Il me semble donc pouvoir dire que l'image est, en fait, très souventfacile à décrypter par un grand nombre de personnes.

Toutefois, parce qu'elle dépend essentiellement des intentionsde ceux qui la produisent et l'emploient, ne peut-on craindre que sa généralisation et son omniprésence actuelles nenous-conduisent un jour au seul règne de l'image, de l'immédiateté, de l'affectivité et à la disparition de tout recul,de toute réflexion ? L'image reine à tout prix nous laissera-t-elle encore quelques possibilités de raisonnement,d'action indépendante et autonome ?. »