Georges Rouault
Publié le 26/02/2010
Extrait du document

Il naquit le 27 mai 1871, 51 rue de la Villette à Belleville, d'une Parisienne et d'un Breton vernisseur de pianos chez Pleyel ; qu'il entra en apprentissage à quatorze ans chez un verrier du nom de Hirsch, et qu'après avoir fréquenté des cours du soir et une école d'arts décoratifs, il fut admis aux Beaux-Arts en 1891 par Elie Delaunay, auquel succéda à la fin de cette même année Gustave Moreau. Il obtient en juillet 1892 un prix d'atelier pour une série d'oeuvres à sujets religieux, en 1894 le prix Chenavard pour l'Enfant Jésus parmi les docteurs, en 1895 le prix Fortin d'Ivry et une récompense au Salon. Mais il se voit refuser, en 1893, le prix de Rome auquel il concourt avec son Samson tournant la meule et, également en 1895, avec son Christ pleuré par les saintes femmes qui avoisine aujourd'hui le Christ de Grünewald au Musée de Colmar. Après ce dernier échec, il quitte, sur le conseil de son maître, le quai Malaquais et dès lors n'a plus guère de vie publique qu'en ses expositions et ses procès. Exclu du Salon, ainsi que la plupart des élèves de Moreau, après la mort de celui-ci (en 1898), il se réfugie aux Indépendants et participe, en 1903, à la fondation du Salon d'automne. Il participa aussi, vers la même époque, à un misérable litige qui opposait un de ses confrères à la Municipalité de Bordeaux et, de la sorte, prit connaissance d'une Magistrature à laquelle il devait recourir pour son compte, de 1943 à 1947, afin de mettre un terme à la singulière affaire qui, pendant trente ans, réserva son oeuvre et jusqu'à sa personne à Ambroise Vollard. Quand on aura ajouté que Rouault s'éloigna rarement de Paris et jamais plus loin que la Suisse, qu'il fit un séjour à Ligugé avec Huysmans, fréquenta Léon Bloy, puis Jacques Maritain, fut conservateur du Musée Gustave-Moreau et qu'il est père de quatre enfants, on aura tracé tout son curriculum vitae. Mais tel quel, celui-ci dissimule un pittoresque que l'intéressé ne répugne pas toujours à dévoiler et, surtout, il laisse ignorer certains drames et certaines grandeurs dont sa peinture n'est que l'image.

«
Torturé alors par des tourments de toute espèce, ce gavroche lâcha soudain sur la toile tous les cauchemars qu'ilapportait du cœur de la misère.
Tout ce que ce timide, ce taciturne, ce patient avait depuis des années refouléd'amertumes, d'espoirs et de colères éclata dans son langage pictural, en violenta tous les éléments et donna à cesolitaire une allure de justicier qui, en l'assimilant à Bloy, lui fit perdre l'admiration de cet ami.
Avant que Picasso nese révoltât, comme nous le voyons aujourd'hui, contre la condition physique de l'homme, Rouault s'insurgeait contrenotre condition morale, s'en prenait au mal le mieux caché, le plus foncier, le plus universel, osait rétablir labouleversante évidence du péché originel.
Mais à l'angoisse qu'inspire l'absurde il devait retrouver, et de la façon lamoins artificielle, la réponse d'une autre folie, la folie de la Croix.
Comme Dostoïevski, c'est en fouillant nos bas fonds qu'il redécouvrit le Dieu de l'Evangile ; le Messie stupéfiantd'Isaïe ; l'homme de douleurs, défiguré par toute iniquité.
Le peintre, ce faisant, ressaisissait la tragédie au terme deson évolution, et d'assomption en assomption, de l'humain au moral, du moral au religieux et du religieux au sacré,allait lui rendre sa forme et sa pureté originelles.
On peut dire qu'après Rembrandt, le tragique s'était profané dans tout l'art plastique de l'Occident, car Goya n'enavait recueilli que très partiellement et très exceptionnellement l'aspect religieux.
On peut même dire qu'aprèsDaumier où il n'allait pas sans quelque bonhomie, il n'arrivait même plus à transparaître dans la fabulation du tableau.Gauguin avait vainement été le rechercher à Tahiti.
Quant à Van Gogh, le type même du "peintre maudit", il n'avaittiré de son drame qu'un baroquisme assez indirect.
Mais dès que Rouault retouche au désordre humain, il en atteintaussitôt le caractère peccamineux.
Les êtres qui remplissent tout d'abord son monde : ses juges, ses prostituées,ses bourgeois, nous inquiètent ainsi par leur anéantissement intérieur, par cette absence d'amour qui fait lesmonstres de Bernanos, et nous inspirent une horreur ou une pitié proprement religieuses.
Toutefois, dès 1905,Rouault manifeste un tragique plus expressément chrétien et qu'il subit d'ailleurs plus qu'il ne le maîtrise.
Si, dans sonChrist mort pleuré par les saintes femmes, il n'avait dépeint qu'une douleur morale, tel Michel-Ange en ses Pietà,dans la Tête du Christ de la collection W.-P.
Chrysler, de New-York, il passe de cet art psychologique à unpathétique analogue à celui de Grünewald, n'était cette différence que le peintre allemand traite le Crucifié avec lemême style que la Vierge de son Annonciation, dans une sorte de surréalisme qui respecte le métier de Memling,tandis qu'en Rouault, fond et forme s'épousent si intimement que celle-ci est dans toute sa structure révulsée parcelui-là.
Les coups de pinceaux ont la véhémence, la brutalité qu'on imagine dans les coups de poing qui meurtrirentla Sainte Face, comme si l'artiste revivait la Passion jusqu'à s'identifier au bourreau.
Mais cette compassion quasiphysique, qui succédait elle-même à une horreur dont il s'étonne aujourd'hui quand il en revoit les figures, avait dequoi se dépasser, et c'est en la plus grave et en la plus ferme et en la plus durable des joies que nous la voyonsprésentement s'achever avec ce hiératisme triomphal qui caractérise la production actuelle de Rouault comme cellede toutes les hautes époques, et marque une pleine domination de la tragédie.
La dernière Crucifixion de l'auteur duMiserere est à cet égard fort significative.
Jésus reprend ici tout naturellement cette majesté royale, cette attitudede Juge et de Sauveur qu'il avait dans l'imagerie byzantine et romane.
La forme s'est fondamentalement calmée,redressée.
L'ordonnance du tableau est aussi statique qu'elle était dynamique autrefois.
La mise en scène s'estsimplifiée au point qu'elle redevient symbolique, comme en témoigne la figuration du soleil réduit à une espèced'hostie jaune.
Le signe est réinventé.
La chose à signifier a été à ce point transmuée qu'une tête n'est plus qu'unovale, et que le nez et les yeux sont tout entiers résumés dans un T, mais en un trait qui a évité les dessèchementset la gratuité de certaines abstractions, et n'est le fait que d'une condensation du sentiment.
Car si le lyrisme estmonté des entrailles au cœur et du cœur à l'esprit, il n'a certes rien perdu de son intensité.
C'est déjà dire que, toute logique qu'apparaisse ici la pensée plastique, elle n'offre rien que de spontané.
Il est àpeine besoin d'ajouter qu'elle dépasse immensément la conscience de son sujet.
Ce dernier a même quelquesdifficultés spéciales à en admettre la nécessaire évolution et à en reconnaître l'importance historique.
Chose étrange! le plus métaphysique de nos peintres a comme leitmotiv ces trois mots : "Formes, couleurs, harmonie", et déclareque son art n'est ni moral ni amoral et n'est qu'involontairement une confession.
C'est une preuve de plus qu'on nesaurait séparer qu'artificiellement comme nous devons le faire pour les besoins de la critique le contenu de sonœuvre du contenant et que les métamorphoses de ce dernier sont on ne peut plus organiques.
Le graphisme de Rouault va ainsi d'une conflagration de lignes fougueuses, multiples, fruits d'un emportementinstinctif et de reprises non moins nerveuses, à la recherche de longues et essentielles arabesques aussifrémissantes, aussi sûres, mais plus réfléchies et d'une grandeur plus monumentale.
Le trait est économisé, maisdevient ce cerne qui fait penser au plomb des vitraux, mais n'est, comme chez Van Gogh, comme chez Matisse,comme chez Picasso, qu'un moyen d'étreindre la forme, de la recondenser après les éclatements, les allongements,les grossissements antérieurs.
La couleur obéit à la même discipline, passe de la valeur au ton les deux pôles de lapeinture, comme l'a précisé André Lhote , prend un rôle de plus en plus architectural.
Assez sombre à l'origine, ellegagne peu à peu d'éclat, de somptuosité, sans rien perdre de sa finesse, de sa distinction.
Les sourdes harmoniesbleuâtres ou verdâtres du début, traversées de rouges farouches ou de carmins virulents, s'enrichissent de blancslumineux, de roses et de violacés de la plus rare plénitude, de gris éthérés qui font évoquer Corot.
Parfois même desverts d'eau, des jeux d'opale, d'émeraude et de cendres rappellent la subtilité de Watteau.
Puis tout s'exalte ets'élargit comme dans les Van Gogh de Provence, aboutit à des fraîcheurs de verre et des rutilances d'émail.
Mais àl'inverse, la matière ne cesse de croître en complexité.
Primitivement très légère, quoique déjà profonde, ellesemblait le fait d'une coulée d'aquarelle, un coup d'éclat plus qu'un dépôt.
Elle ne s'empâta que lentement, comme siRouault voulait renouveler pour son compte et dans son ordre historique toute l'expérience qu'elle avait suscitéedepuis les Van Eyck.
Sans rien perdre de sa spontanéité, avec cette vigueur et cette santé qui l'ont fait rangerparmi les Fauves, l'artiste épaissit peu à peu la couche de couleurs, couvrit de glacis et de frottis contrastants des.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Rouault Georges Peintre français
- Rouault Georges
- Rouault, Georges Henri - vie et oeuvre du peintre.
- Rouault Georges, 1871-1958, né à Paris, peintre français.
- ROUAULT, Georges (1871-1958) Peintre et graveur, il célèbre avec un dessin cursif, rehaussé de couleurs profondes, le monde tragique du cirque, de la prostitution et du prétoire.