Gaston Bachelard: Devant le reel le plus complexe
Publié le 29/03/2005
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Bachelard a contribué à donner à l’épistémologie française ses lettres de noblesse, en particulier en déclarant dès les premières pages de « La formation de l’esprit scientifique « (1938) : « C’est en terme d’obstacle qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique. « Bachelard s ‘est battu contre deux idées fausses portant sur les sciences, répandues dans le public. D’une part, celle qui veut que le savant arrive pour ainsi dire l’esprit « vierge « devant les phénomènes à étudier, d’autre part celle qui voit le développement des sciences comme une simple accumulation de connaissance, un progrès linéaire.
«
désirs inconscients.
Il tourne le dos à la connaissance objective.
L'édification de la science exigera que nous «psychanalysions » cette connaissance immédiate qui n'est que notre représentation.
Pour parvenir au savoirscientifique il sera indispensable d'éliminer de la connaissance les projections psychologiques spontanées etinconscientes, d'opérer une psychanalyse de la connaissance.
Devant le monde des choses nous devons « arrêtertoutes les expansions, nous devons brimer notre personne ».
Le monde qui est notre représentation c'est le mondesubjectif du poète, aux antipodes du monde objectif du savant : « Les axes de la poésie et de la science sontinverses ».
Bachelard dans ses ouvrages poétiques Psychanalyse du feu, L'eau et les rêves, etc., explore ce mondesubjectif.
Dans ses ouvrages d'épistémologie, il lui tourne 12 dos.
L'expression : « le monde est notre représentation» qui définit le subjectivisme involontaire de la connaissance immédiate est empruntée, semble t il, au titre ducélèbre ouvrage de Schopenhauer Le monde comme volonté et comme représentation.« ...
Si nous étions livrés tout entiers à la société c'est du côté du général, de l'utile...
que nous chercherions laconnaissance ; le monde serait notre convention...
».Pour Bergson l'intelligence scientifique est celle de l'homo faber et de l'homo politicus.
Elle découpe le monde en vuede l'utilité collective.
Elle est un ensemble de conventions qui réussissent.
Bachelard ne nie pas, loin de là cetaspect social de la recherche scientifique.
Le savant travaille en équipe, c'est un citoyen de la « cité scientifique »,cité qui exige tout à la fois des travailleurs de plus en plus spécialisés, et en même temps la solidarité de tous cesspécialistes qui forment ce que Bachelard nomme magnifiquement « l'union des travailleurs de la preuve ».
Mais ladimension sociale de la science ne nous livre pas la clef du travail scientifique lui même.
« La vérité scientifique est une prédiction, mieux une prédication ».
Voilà une très belle formule, caractéristique dustyle dense et brillant de Bachelard.
La science est prédiction car le moteur de la découverte c'est l'hypothèse,définie par Claude Bernard comme « explication anticipée et rationnelle des phénomènes », Le savant ne répond pasdirectement et définitivement à la question « pourquoi » par une proposition affirmative, Mais il procède par ledétour d'une nouvelle question.
Il demande, selon Bachelard : « Pourquoi pas ? » C'est le savant qui va au devantde la nature, qui risque une explication audacieuse, qui propose une hypothèse imprévue et qui demande à la nature: « Pourquoi pas? » La science est prédication car elle annonce la bonne nouvelle d'une explication rationnelle desphénomènes; elle invite par là disait André Lalande à l' " assimilation des esprits entre eux », tout ce qui estrationnel étant universel, susceptible d'être librement accepté par tous les esprits.
La science, disait le rationalisteAlbert Bayet, est ci principe d'union » : Ma preuve une fois comprise par toi devient ta preuve.
La preuve marque àla fois « la règle d'or de l'intelligence et la forme la plus haute de l'altruisme » puisqu'elle implique « le désir des'accorder avec autrui sur les choses essentielles et le désir que cet accord ne soit pas un accord de surprise maisbien l'expression solide d'une communion réelle.
» La dimension sociologique de la science change ici radicalementd'aspect.
Ce n'est pas parce que la science traduit les exigences de la collectivité qu'elle est vraie.
C'est aucontraire parce qu'elle est vraie qu'elle a le pouvoir d'assurer la «convergence » des esprits.
« ...
Le monde scientifique est notre vérification...
La science se fonde sur le projet ...
».
Au niveau de l'hypothèsela science donne raison à l'idéalisme puisque l'esprit, proposant une idée explicatrice se porte au devant du réel.
Auniveau de la vérification la science rejoint le réalisme puisque là, la théorie est soumise au contrôle du réel.L'hypothèse elle même n'est qu'un projet de vérification.
La théorie proposée est inséparable des instruments delaboratoires qui la soumettront à vérification.
La vraie philosophie scientifique n'est ni exclusivement idéaliste niexclusivement réaliste.
Elle est dialectique.
L'hypothèse est proposée pour résoudre une contradiction entre telleancienne théorie et les faits qui la démentent.
A son tour l'hypothèse vérifiée pourra être mise en cause par ladécouverte de faits inédits qui entrent à titre de problème dans la dialectique expérimentale qui se poursuit sans fin.Comme dit Husserl : « C'est l'essence propre de la science, c'est a pison mode d'être, d'être hypothèse à l'infini etvérification à l'infini »« ...
L'observation scientifique est toujours une observation polémique, elle confirme ou infirme une thèseantérieure...
»Il n'est pas tout à fait vrai de dire que la science part des faits.
Si foin qu'on recule dans l'histoire de l'humanité onretrouve autour des faits des mythes qui prétendent les expliquer.
Il n'y a pas dit Bachelard « des vérités premières,il n'y a que des erreurs premières ».
La science se constitue non pas en accumulant paisiblement des connaissancespar des observations répétées mais en réfutant les premières interprétations mythiques : « En revenant sur unpassé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel.
En fait, on connaît contre une connaissanceantérieure, en détruisant des connaissances mai faites.
» Le point de départ de la recherche n'est jamais le faitempirique considéré à part, mais le problème posé par le fait, la contradiction entre le fait découvert et lesconceptions théoriques antérieures.
Lorsqu'en 1643 les fontainiers de Florence, tirant l'eau d'une citerne avec unepompe aspirante, constatent qu'au delà de « 18 brasses » (10,33 m) l'eau ne monte plus dans la pompe vide, nousavons là une observation typiquement polémique puisqu'elle contredit la théorie admise à l'époque : la nature ahorreur du vide.
Ce n'est pas le fait lui même, mais la contradiction, le problème posé par le fait qui va susciter lesrecherches de Galilée, Torricelli et Pascal.
De même lorsque Lavoisier constate en octobre 1772 qu'un morceau deplomb brûlé pèse plus lourd que le plomb initial, c'est encore un fait polémique puisque d'après la théorie de l'époqueun métal qui se consume libère son « phlogistique » et que la chaux résiduelle devrait alors peser moins lourd! Ilappartiendra à Lavoisier de rétablir un système intelligible en montrant que la combustion n'est pas unedécomposition chimique mais tout au contraire une combinaison.
La combustion d'un corps implique non le départd'un « phlogistique » mais tout au contraire la fixation de l'oxygène de l'air.
Dans tous les cas, le fait ne tire sonsens que d'un contexte d'idées.
Le fait polémique a le sens d'une contradiction.
C'est ce qu'on peut appeler le faitquestion ; le fait expérimental qui confirme une hypothèse nouvelle c'est le fait solution, le fait réponse.
Le fait tiretoujours son sens d'un système d'idées.
Il est toujours question ou réponse, il n'est jamais expérience nue etpassive, indépendamment de l'activité de l'esprit.« ...
Les instruments ne sont que des théories matérialisées...
»..
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