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Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, L.V, § 354. Commentaire philosophique.

Publié le 20/01/2014

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nietzsche

« La conscience n'est en somme qu’un réseau de liens entre les hommes et elle n’aurait pu prendre un autre développement. A vivre isolé telle une bête féroce, l’homme aurait pu fort bien s’en passer. Le fait que nos actes, nos pensées, nos sentiments, nos mouvements mêmes deviennent conscients - tout au moins une partie de ceux-ci n’est que le résultat d’une terrible nécessité qui a longtemps dominé l’homme : il avait besoin, lui, l’animal le plus menacé, d'aide et de protection, il avait besoin de son semblable, il fallait qu’il sût se rendre intelligible pour exprimer sa détresse, et pour cela, il avait tout d'abord besoin de la conscience, donc même pour ‘savoir’ lui-même ce qui lui manquait, pour ‘savoir’ ce qu’il sentait, pour ‘savoir’ ce qu’il pensait. Car comme toute créature vivante, l’homme, je le répète, pense constamment, mais il l’ignore ; la pensée qui devient consciente ne représente que la partie la plus infime, disons la plus superficielle, la plus médiocre, de tout ce qu’il pense, car il n’y a que cette pensée qui s’exprime en paroles, c’est-à-dire en signes de communication, ce qui révèle l'origine même de la conscience. «

 

Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, L.V, § 354.

 

  La tradition philosophique réfléchissant sur l'homme définit la conscience comme la capacité de savoir ce qui se passe en nous et hors de nous. De ce fait, elle institue la conscience, la forme la plus haute de l'activité psychique en tant que manifestation de l'âme, le lieu de la pensée. À ce titre, la pensée se prenant elle-même pour objet serait donc l'apanage exclusif de l'homme. Mais cela est-il certain ? Dans ce texte, Nietzsche ne se contente pas de chercher à savoir ce qu'est la conscience (question de l'essence) mais encore de savoir d'où elle vient (question de la genèse). Quelle est l'origine de la conscience ? Cette question de la généalogie de la conscience est radicale car elle conduit Nietzsche à renverser ainsi toute la tradition philosophique. En ce sens comme il le souligne lui-même dans La généalogie de la morale, toute interprétation généalogique doit être polémique. 

nietzsche

« l’être vivant, si elles accèdent à la conscienc e c’est s ous l’impulsion d’une né cessité de communiquer avec aut rui sur fond d’une pulsion vitale.

Mais comment peut parle sans se contredire de « pensée inconscientes » ? Pourquoi passe -t- il par la négation pour poser sa thèse, à savoir que toutes les pensées sont encrées dans l’in -conscient certaines accèdent à la conscience uniquement dans l’optique d’assurer le besoin de communiquer exigée par l’urgence de la conservatio n de l’individu.

Le statut de la négation entend souligner une thèse radicale : toute pensée n on seulement n’est pas consciente d’elle-même, mais elle s’ori gine dans l’in- conscient.

En effet, la pensée consciente n’est qu’une infime parcelle de la pensée.

Mais comment peut -on parler sans se contredire qu’une « pensée non cons ciente, in -consciente » ? Pour penser encore faut -il le savoir.

Or si l’homme pense, il ne pense pas toujours qu’il pense.

Es gibt Denken, dira Nietzsche, « il y a de la pensée ».

Aussi la pensée en elle -m ême cesse d’êtr e la primauté de l’homme.

Toute créature qui vit au même titre que l’homme pense.

Est -ce dire qu’une plante pense ? Qu’un animal pense ? Nietzsche ne verse- t- il pas dans un abus de langage ? La pla nte croît, elle pousse, elle respire, elle se reproduit.

Elle a ainsi toutes les manifestations d’un être vivant.

Tout en elle vise une fin.

Mais est -ce dire qu’une « pensée » l’anime ? Y a-t- il là un retour à la pensée ar istotélicienne pour laquelle tout ce qui vit est animé, po urvu d’une âme.

S’inscrit -il dans la perspective d’une reprise de l’animisme ? Nietzsche ne reprend pas à sa charge les termes d’ animus et d’ anima.

Si la plante ne se hisse pas à la conscience consciente d’elle- même c’est parce qu’elle n’en éprouve ni le b esoin ni la nécessité.

Il en va de même pour l’animal qui est mû par l’instin ct, instinct perçu comme forme embryonnaire de la pensée.

Qu’est -ce qui conduit l’instinct à devenir conscienc e ? La question est essentielle puisqu’elle porte sur la genèse de la conscience.

Trois motifs éveillent la conscience : l’homme est l’animal ne plus dangereusement menacé, et dès lors il ne peut assurer sa conservation par le seul moyen sa s tructure instinctive et par ses aptitudes naturelles, il est, nous explique Nietzsche, atteint d’une faiblesse originelle et doit donc en ap pel er aux autres hommes par la médiation de l a communication.

Pour surmonter ses peurs et ses désirs, il doit en prendre conscience.

On comprend que l’émergence de la conscience découle de la situati on réelle de tout être vivant, mais qu’à la différence non de nature mais de degré entre l’humanité et l’animalité, il a recours à la co nscience pour combler sa faiblesse.

La primauté d’accéder à la pensée provient d’un « besoin », c’est -à -dire des ex igences du corps.

C’est dire que l’homme est primitivement corps avant d’être conscience.

Ce qui est là un point éminemment critique à l’endroit du cartésianisme.

C’est que Nietzsche tient en considération les conditions dans lesquelles l’homme est par nat ure plongé.

L’homme est un être sociable, du moins social, dans la mesure où il doit former une vie sociétale pour savoir s’identifier, donc le formuler.

Aussi la communication est -elle le passage de l’intériorité à l’extériorité.

L’ex -pression est l’extér iorisation de la vie intérieure, c’est- à-dire avant tout manifest ation de la réalité corporelle.

L’homme est ainsi un organisme qui pour exister, a besoin de savoir.

Si Nietzsche prend la mesure dans la situation de l’homme au monde, il ne se veut ni his torien ni anthropologue ; ce qui signifie que cette remontée à l’ origine de la conscience n’ a pas pour fond une consta tation historique.

Il propose ici une hypothèse de lecture qui fait l’économe de l’observation de faits.

La méthode généalogi que n’a de va lidité qu’en raison de sa cohérence, de son pouvoir d’interprétation.

Mais la cohérence d’une hypothèse est -elle suffisante po ur expliquer ce qu’elle prétend expliquer ? S’agit -il ici d’une hypothèse scientifique ou d’une simple construction intellectuelle ? Cette avancée théorique de la conscience en son origine est -elle objective, scientifiquement solide ? Assurément, Nietzsche use d’une lexie voisine de la biologie, et plus précisément de l’ évolutionnisme darwinien.

Les concepts d’instin ct, de vie, de conservation, aptitude, pour ne pas dire adaptation sont imprégnés de connotations biologisantes .

Mais on s’aperçoit très rapidement que sa démarche n’est pas de l’o rdre de la méthodologie scientifique, que Nietzsche ne se soucie pas de la validité sci entifique.

Faut -il alors penser qu’ il énonce une hypothèse fi ctive ? L’enquête sur la question de l’origine l’éloigne de. »

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