Friedrich Nietzsche, le Gai Savoir
Publié le 31/01/2020
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Friedrich Nietzsche, le Gai Savoir
De l’origine de notre « connaissance ». — L’explication suivante m'a été sug-gérée dans la rue : j’entendais un homme du peuple dire : « il m’a reconnu » — et je me demandais aussitôt : qu’est-ce que le peuple peut bien entendre par la connaissance ? Que veut-il, quand il veut de la « connaissance » ? Rien d’autre que ceci : ramener quelque chose d’étranger à quelque chose de connu. Et nous autres philosophes — aurions-nous entendu davantage par le terme connaissance?
Le connu signifie : ce à quoi nous sommes assez habitués pour ne plus nous en étonner, notre vie quotidienne, une règle quelconque dans laquelle nous serions engagés, toute chose familière enfin : — qu’est-ce à dire ? notre besoin de connais-sance ne serait-il pas justement ce besoin du déjà-connu ? La volonté de trouver parmi tout ce qu’il y a d’étranger, d’extraordinaire, de douteux, quelque chose qui ne soit plus pour nous un sujet d’inquiétude ? Ne serait-ce pas l’instinct de la crainte qui nous incite à connaître? La jubilation de celui qui acquiert une connais-sance ne serait-elle pas la jubilation même du sentiment de sécurité recouvré?
Traduction P. Klossowski, Gallimard, collection « Folio essais », 1982, § 355, P- 255-256.
«
COMMENTAIRE DE TEXTE
C.
Nietzsche pose deux questions successives.
la première porte sur l'usage
du terme à analyser, la seconde sur notre volonté de la connaissance : « Que veut-il,
quand il veut la connaissance? » Comprendre la connaissance, c'est donc com
prendre un besoin humain, celui de« ramener quelque chose d'étranger à quelque
chose de connu».
Quand on reconnaît quelque chose, en effet on identifie un objet
apparemment nouveau à un objet que nous avons en réalité déjà rencontré et que
nous avons conservé en mémoire.
Reconnaître, c'est donc bien ramener l'étranger
au connu.
-2.
La vérité, c'est l'habituel
A la manière dont ce passage est écrit doit être soulignée : Nietzsche utilise
le questionnement pour mettre en question notre analyse traditionnelle de la
connaissance et de la volonté de connaissance.
Nous n'interrogeons jamais la rai
son pour laquelle nous désirons la vérité et donc la connaissance : il nous semble
aller de soi que la vérité doit être recherchée et la fausseté ainsi que le mensonge
condamnés.
Pourquoi est-ce le cas?
B.
le philosophe allemand étend de manière provocatrice cette analyse de la
connaissance telle que la conçoit le sens commun, à l'analyse philosophique.
Si
reconnaître, c'est ramener l'étranger au connu, le connu, c'est ce qui n'est pas étran
ger.
Or qu'est-ce qui n'est pas étranger? C'est ce qui est« habituel>> et« familier»:
ce qui ne nous inquiète pas, ce qui ne nous> pas.
-3.
>: cette constatation psychologi(;}ue est au fondement de l'analyse provoca
trice de la connaissance.
B.
la volonté de connaissance s'enracine dans un instinct.
Cette notion est
extrêmement importante pour Nietzsche : l'instinct désigne une tendance du vJvant
en général que la conscience ne maîtrise pas.
Cela révèle que la descriptiof!iradi
tionnelle de la connaissance comme désir désincarné est profondément trompeuse.
C.
La joie de la connaissance n'est pas une joie pure, mais une« jubilation»
qui provient de la dispa·rition de notre peur face à l'inconnu.
-Discussion
La connaissance est un phénomène qui caractérise de manière essentielle
l'humanité.
Traditionnellement, c'est le signe de la spécificité de celle-ci au sein du
règne animal : alors que les animaux sont soumis à leurs besoins et à leurs ins
tincts, les hommes sont mus par un désir théorique qui les pousse à rechercher de
manière désintéressée la vérité.
Au contraire, Nietzsche montre que la connaissance
a pour origine un instinct particulièrement primaire, la crainte de l'inconn~ et le
besoin de sécurité..
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