FREUD: Science, Bonheur et Désillusion
Publié le 09/04/2005
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Lorsque Freud écrit Malaise dans la culture (Das Unbehagen in der Kultur, 1929), c'est moins le pionnier de la théorie de l'inconscient que l'observateur âgé de l'élan de la civilisation humaine qui s'exprime. C'est une hypothèse « spéculative « (sans preuve directe) - dont le style magnifique de l'auteur fera le plaidoyer - qui est le fil conducteur du Malaise. Malgré le degré atteint dans l'effort de civilisation de l'espèce humaine, un malaise social est constaté par Freud. Ce malaise s'exprime par diverses désillusions, déceptions, désespoirs que nombres d'individus ressentent au sein de la société. L'Allemand y voit l'action d'un dualisme pulsionnel (Éros, symbole de la pulsion sexuelle de vie/Thanatos, symbole de la pulsion de mort). C'est cependant l' agressivité (alliage de ces deux pulsions) qui est citée, sans mention explicite de Thanatos dans le texte.
Cet extrait se situe au commencement de l'oeuvre, après la critique freudienne de l'illusion religieuse (et du soi-disant « sentiment océanique «). Il aborde ici le thème du désir de bonheur inscrit dans la volonté civilisatrice humaine. Sa thèse est que cette volonté est illusoire et que le malaise dont il est question dans tout le texte est une preuve de cette impuissance « eudémonique « (recherche du bonheur). Comment Freud parvient-il à expliciter sa thèse dans l'extrait proposé ?
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Freud dresse premièrement (lignes 1 à 5) le constat effectif du progrès de la civilisation humaine de son aube jusqu'à l'époque contemporaine de l'auteur.
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Il insiste ensuite (lignes 5 à 8) sur le fait que ce progrès n'a pas eu les effets escomptés. L'homme moderne ne semble pas plus heureux dans ces conditions.
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Enfin (lignes 8 à fin) l'auteur conclue sur la nature de l'illusion engendrée par le processus de civilisation en quête du bonheur.
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Freud dresse premièrement (lignes 1 à 5) le constat effectif du progrès de la civilisation humaine de son aubejusqu'à l'époque contemporaine de l'auteur.
Il insiste ensuite (lignes 5 à 8) sur le fait que ce progrès n'a pas eu les effets escomptés.
L'homme moderne nesemble pas plus heureux dans ces conditions.
Enfin (lignes 8 à fin) l'auteur conclue sur la nature de l'illusion engendrée par le processus de civilisation enquête du bonheur.
I.
La culture comme réalisation des souhaits ancestraux (lignes 1 à 5)
Freud aborde ici « une autre cause de désillusion ».
Une nouvelle désillusion concernant l'humaine recherche debonheur dans le cadre de l'histoire de la civilisation.
C'est une approche historique de cette civilisation dont il estquestion.
Celle-ci est considérée du point de vue contemporain de Freud, ce dernier réfléchissant sur la nature desprogrès accomplis, jusqu'à lui, de l'effort de civilisation.
Freud s'intéresse plus particulièrement aux progrès technico-scientifiques réalisés jusque là.
Il constate l'accélération de ce processus particulier au « cours des dernièresgénérations ».
Nous savons en effet que le dix-neuvième siècle fut la scène de grands progrès effectuésparallèlement sur les transports, les outils de communication, la médecine...
Un tel progrès des sciences trouve doncsa portée dans ses « applications techniques » (le téléphone, le bateau, l'avion, l'appareillage médical...).
Freudreconnaît à sa manière que le projet cartésien de maîtrise et de possession de la nature se réalise efficacement :« [l'humanité] a assuré sa domination sur la nature d'une manière jusqu'ici inconcevable ».
Ces progrès sont mêmeincessants, précise-t-il, ce qui ne facilite pas la tâche d'un listing exhaustif de ceux-ci.
Freud reconnaît ensuite queles hommes peuvent légitimement être fiers de ce processus que Descartes appelait de ses vœux.
C'est un constatpositif et presque fasciné de l'évolution culturelle que dresse Freud dans ces cinq premières lignes.
II.
La désillusion culturelle
Mais ce constat n'est fait qu'en fonction du but poursuivi par Freud : savoir si cet état de fait satisfait ou non lesexigences humaines de bonheur.
La portée de cette question est donc éthique et pratique puisqu'il s'agît de mesurerle degré de satisfaction obtenu par cet effort de civilisation.
Comment ne pas s'émerveiller du progrès technique etde ce qu'il rend possible ? Nous somme devenus, aux yeux d'un Grec de l'antiquité qui pourrait nous observeraujourd'hui, des quasi dieux.
De par notre maîtrise exponentielle de « l'espace et du temps » d'abord, cette capacitéà aller toujours plus vite et plus loin, mais aussi et de surcroît cette possibilité – rêve ancestral – de pouvoir voler !
Malgré cela, l'homme ne se sent pas plus heureux, nous dit Freud.
C'est sans doute là le praticien de lapsychanalyse qui parle, observant et traitant toujours plus de cas de névrose, de dépression, de pulsion de mort(suicide, agressivité).
Les hommes « croient », malgré « cette récente maîtrise [...] » qu'ils « n'ont aucunementélevé la somme de jouissances qu'ils attendent de la vie.
Ils n'ont pas le sentiment d'être pour cela devenus plusheureux.
».
Ce que Freud ne dit pas encore à ce moment du texte, c'est que la civilisation porte en elle les « germes » dumalaise.
Les interdits sociaux contraignent nos désirs pulsionnels (sexuels nous dit Freud) inassouvis, causant unefrustration.
La civilisation propose alors de transposer ce désir sur un autre objet (processus de la « sublimation »).Cependant les hommes continuent de ressentir cette sublimation comme une contrainte qui ne remplace pas lepremier bonheur perdu : la jouissance dans l'aventure et le danger que connaissaient nos ancêtres.
III.
L'économie du bonheur : civiliser la jouissance
L'homme n'est pas heureux parce qu'il n'est pas pleinement atteint dans ses racines, dans sa sphère pulsionnelle etinconsciente, dirait Freud.
Le mot juste serait-il de parler de « plaisir » ou de « jouissance » ? Freud ne revient passur cet aspect de sa pensée dont il a déjà largement traité auparavant.
Il préfère insister sur cette lutte qui s'estdessinée au fur et à mesure de cette enquête sur l'hypothétique bonheur culturel.
Dominer la nature, ce vieux projet cartésien, doit somme toute recevoir sa sanction, puisque nous sommes, avecFreud, à une époque déjà avancée des progrès fulgurants de la science appliquée.
Freud remet finalement enquestion la valeur du sens attribué au « bonheur » par ces hommes qui se disent insatisfaits.
Il ne semble certes pasêtre en accord avec les attentes humaines, la civilisation semble plus à même de tendre vers une réalité négativede bonheur.
Les hommes aspirent en effet à plus qu'une simple sécurité et un simple confort, c'est-à-dire à unbonheur compris simplement et négativement comme absence de souffrance.
C'est en ce sens que Freud parle de« l'économie » de notre bonheur, sens plus pratique qui s'accorde avec la volonté culturelle de mesure et de maîtrisedes forces individuelles.
C'est ainsi aussi que Freud comprend le sens de cet effort de civilisation qui, à travers cesprogrès techniques, s'efforce de parvenir à un équilibre pour se maintenir, moyennant certaines illusions deréalisation qu'elle engendre.
C'est bien un sens économique qui gouverne le phénomène de civilisation, sens qui nesaurait s'accommoder de tous les désirs pulsionnels de l'individu conduisant à l'excès et à la jouissance..
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