Freud: Malaise, religion et civilisation
Publié le 16/01/2004
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« Ces idées (les croyances religieuses), qui professent d'être des dogmes, ne sont pas le résidu de l'expérience ou lerésultat final de la réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les pluspressants de l'humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs.
Nous le savons déjà : l'impressionterrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d'être protégé – protégé en étant aimé – besoin auquel lepère a satisfait ; la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l'homme s'est cramponnéà un père, à un père cette fois plus puissant.
[…] Une illusion n'est pas la même chose qu'une erreur, une illusionn'est pas non plus nécessairement une erreur.
L'opinion d'Aristote, d'après laquelle la vermine serait engendrée parl'ordure – opinion qui est encore celle du peuple ignorant -, était une erreur ; de même l'opinion qu'avait unegénération antérieure de médecins, et d'après laquelle le tabès aurait été la conséquence d'excès sexuels.
Il seraitimpropre d'appeler ces erreurs des illusions, alors que c'était une illusion de la part de Christophe Colomb, quand ilcroyait avoir trouvé une nouvelle route maritime des Indes.
La part de désir que comportait cette erreur estmanifeste.
On peut qualifier d'illusion l'assertion de certains nationalistes, assertion d'après laquelle les races indo-germaniques seraient les seules races humaines susceptibles de culture, ou bien encore la croyance d'après laquellel'enfant serait un être dénué de sexualité, croyance détruite pour la première fois par la psychanalyse.
Ce quicaractérise l'illusion, c'est d'être dérivée des désirs humains ; elle se rapproche par là de l'idée délirante enpsychiatrie, mais se sépare aussi de celle-ci, même si l'on ne tient pas compte de la structure compliquée de l'idéedélirante.L'idée délirante est essentiellement – nous soulignons ce caractère – en contradiction avec la réalité ; l'illusion n'estpas nécessairement fausse, cad irréalisable ou en contradiction avec la réalité.
Une jeune fille de condition modestepeut par exemple se créer l'illusion qu'un prince va venir la chercher pour l'épouser.
Or ceci est possible ; quelquescas de ce genre se sont réellement présentés.
Que le Messie vienne et fonde un âge d'or, voilà qui est beaucoupmoins vraisemblable : suivant l'attitude personnelle de celui qui est appelé à juger de cette croyance, il la classeraparmi les illusions ou parmi les équivalents d'une idée délirante.
Des exemples d'illusions authentiques ne sont pas,d'ordinaire, faciles à découvrir ; mais l'illusion des alchimistes de pouvoir transmuter tous les métaux en or est peut-être l'une d'elles.
ainsi nous appelons illusion une croyance quand, dans la motivation de celle-ci, la réalisation d'undésir est prévalante, et nous ne tenons pas compte, ce faisant, des rapports de cette croyance à la réalité, toutcomme l'illusion elle-même renonce à être confirmée par le réel.
»
FREUD, « L'avenir d'une illusion » (1927).
« (...) Les doctrines religieuses sont soustraites aux exigences de la raison ; elles sont au-dessus de la raison.
Ilfaut sentir intérieurement leur vérité ; point n'est nécessaire de la comprendre.
Seulement ce Credo n'estintéressant qu'à titre de confession individuelle ; en tant que décret, il ne lie personne.
Puis-je être contraint decroire à toutes les absurdités ? Et si tel n'est pas le cas, pourquoi justement à celle-ci ? Il n'est pas d'instance au-dessus de la raison.
Si la vérité des doctrines religieuses dépend d'un événement intérieur qui témoigne de cettevérité, que faire de tous les hommes à qui ce rare événement n'arrive pas ? On peut réclamer de tous leligioeshommes qu'ils se servent du don qu'ils possèdent, de la raison, mais on ne peut établir pour tous une obligationfondée sur un facteur qui n'existe que chez un très petit nombre d'entre eux.
En quoi cela peut-il importer auxautres que vous ayez, au cours d'une extase qui s'est emparée de tout votre être, acquis l'inébranlable convictionde la vérité réelle des doctrines religieuses ? »
FREUD.« (...) Les doctrines religieuses sont soustraites aux exigences de la raison ; elles sont au-dessus de la raison.
Ilfaut sentir intérieurement leur vérité ; point n'est nécessaire de la comprendre.
Seulement ce Credo n'estintéressant qu'à titre de confession individuelle ; en tant que décret, il ne lie personne.
Puis-je être contraint decroire à toutes les absurdités ? Et si tel n'est pas le cas, pourquoi justement à celle-ci ? Il n'est pas d'instance au-dessus de la raison.
Si la vérité des doctrines religieuses dépend d'un événement intérieur qui témoigne de cettevérité, que faire de tous les hommes à qui ce rare événement n'arrive pas ? On peut réclamer de tous les hommesqu'ils se servent du don qu'ils possèdent, de la raison, mais on ne peut établir pour tous une obligation fondée sur unfacteur qui n'existe que chez un très petit nombre d'entre eux.
En quoi cela peut-il importer aux autres que vousayez, au cours d'une extase qui s'est emparée de tout votre être, acquis l'inébranlable conviction de la vérité réelledes doctrines religieuses ? »
« Il y a peu à craindre pour la civilisation de la part des hommes cultivés et des travailleurs intellectuels.
Les mobilesd'ordre religieux commandant un comportement culturel seraient chez eux remplacés sans bruit par d'autres mobilesd'ordre temporel ; de plus, ils sont, pour la plupart, eux-mêmes porteurs de la culture.
Mais il en va autrement de lagrande foule des illettrés, des opprimés, qui ont de bonnes raisons d'être des ennemis de la civilisation.
Tant qu'ilsn'apprennent pas que l'on ne croit plus en dieu, tout va bien.
Mais ils l'apprennent, infailliblement, même si cet écritn'est pas publié.
Et ils sont prêts à admettre les résultats de la réflexion scientifique, sans qu'en échange se soitproduite en eux l'évolution que le penser scientifique a en l'esprit humain.
Le danger n'existe-t-il pas alors que cesfoules, dans leur hostilité contre la culture, n'attaquent le point faible qu'ils ont découvert en leur despote ? Iln'était pas permis de tuer son prochain pour la seule raison que le bon Dieu avait défendu et devait vengerdurement le meurtre en cette vie ou dans l'autre ; on apprend maintenant qu'il n'y a pas de bon Dieu, qu'on n'a pasà redouter sa vengeance ; alors, on tue son prochain sans aucun scrupule et l'on n'en peut être empêché que par laforce temporelle.
Ainsi, ou bien il faut contenir par la force ces foules redoutables et soigneusement les priver detoute occasion d'éveil intellectuel, ou bien il faut réviser de fond en comble les rapports de la civilisation à lareligion.
».
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