François Mauriac nous livre cette réflexion, à propos du roman : « Nous devons donner raison à ceux qui prétendent que le roman est le premier des arts. Il l'est, en effet, par son objet qui est l'homme. Mais nous ne pouvons donner tort à ceux qui en parlent avec dédain, puisque, dans presque tous les cas, il détruit son objet en falsifiant la vie. » Si tout roman comporte en effet une part de vérité et une part d'imagination, quel est l'aspect qui vous touche le plus ? Peut-on condamn
Publié le 03/04/2009
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Dans son ouvrage intitulé Le romancier et ses personnages, le célèbre romancier contemporain François Mauriac s'est livré à des réflexions sur « cet art si vanté et si banni « qu'est le roman, « et dont on pourrait dire, s'il atteignait son noble but, qu'il est incontestablement ce qu'il y a de plus divin au monde«. «Le noble but« est pour François Mauriac la peinture des mille détails d'une vie humaine dans toute leur complexité, et celle de la « symphonie humaine « dans tout son grouillement, son foisonnement. Mais cet écrivain aboutit à l'idée que l'art du romancier est un échec, car «dans l'individu il isole et immobilise une passion et dans le groupe il isole et immobilise un individu «. C'est pourquoi il conclut : « Nous devons donner raison à ceux qui prétendent que le roman est le premier des arts. Il l'est, en effet, par son objet qui est l'homme. Mais nous ne pouvons donner tort à ceux qui en parlent avec dédain, puisque, dans presque tous les cas, il détruit son objet (en décomposant l'homme, dit-il également) en falsifiant la vie. « Certes, il est vrai que le romancier ne peut atteindre le réalisme absolu, et que tout roman comporte une part de vérité et une part d'imagination. Mais n'est-ce pas justement grâce à l'invention que l'écrivain parvient à ce que Marcel Proust appelle « la stylisation du réel, qui caractérise l'œuvre d'art « ?
«
une « tranche de vie ».
Ils ont passé des mois entiers dans des hôpitaux, détaillant le cadre extérieur et observantles événements qui s'y déroulaient, avant d'écrire Sœur Philomène, l'histoire d'une infirmière.
C'est également nourrisde détails précis et de documents variés qu'ils ont reproduit le monde misérable de Germinie Lacerteux.Et Proust ? n'a-t-il pas atteint le summum du réalisme ? Proust a eu en effet le génie de doter ses personnagesd'une psychologie non statique, mais évolutive, car il a découvert que l'homme est soumis à l'instabilité.
L'hommen'est que changement, « la permanence et la durée ne sont promises à rien, pas même à la douleur ».
Et il est undes rares romanciers qui ait su traduire cette évolution, en particulier dans Un amour de Swann, où le héros est unêtre changeant, selon les milieux qui l'entourent, les époques, les mœurs.
Le grand mérite de son art est égalementd'être non linéaire, mais prismatique : sa phrase elle-même rend compte en même temps de mille détails variés, etelle traduit ainsi le foisonnement de la vie, son grouillement.François Mauriac le reconnaissait également lui-même, il semble que Marcel Proust soit l'écrivain qui ait le mieuxréussi à s'approcher de la vérité, malgré les tentatives heureuses d'un Joyce ou d'une Virginia Woolf.
Mais Guy de Maupassant le reconnaissait lui-même : « Le réaliste, s'il est un artiste, cherchera, non pas à nousmontrer une photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus ravissante, plusprobante que la réalité même.
» L'écrivain ne peut adhérer à un réalisme absolu, sans cesse l'imagination vientarrêter ses efforts.
Baudelaireécrivait au sujet de Balzac : «J'ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour unobservateur ; j'ai toujours été convaincu que son principal mérite était d'être visionnaire, et visionnaire passionné.
»En effet, l'observation ne suffit pas à expliquer le génie de Balzac, celui-ci était également doué d'une imaginationextrêmement vive : elle intervient lorsqu'il s'agit de mener à bien des intrigues multiples et compliquées et de créerle caractère et les passions du personnage selon son apparence physique : « L'observation était devenue intuitive,disait Balzac ; elle pénétrait l'âme sans négliger le corps, ou plutôt elle saisissait si bien les détails extérieurs qu'elleallait sur-le-champ au-delà ; elle me permettait de vivre de la vie de l'individu sur laquelle elle s'exerçait...
Quitterses habitudes, devenir un autre que soi par l'ivresse des facultés morales, telle était mon application.
» Et ThéophileGautier continuait : « Balzac possédait le don de s'incarner dans des personnages différents...
Balzac fut un voyant.» C'est pour cette raison que les personnages de Balzac, sans cesser d'être vrais, sont plus grands que nature :grâce à son imagination, l'écrivain peut camper divers types humains, selon la traditionclassique : Madame de Mortsauf représente la vertu, Vautrin le crime, le Père Grandet l'avarice, le parfumeurBirotteau l'honnêteté commerciale, tandis que le Père Goriot est « Le Christ de la Paternité».
En chacun d'eux «secache toute une philosophie », ce qui peut sembler peu compatible avec le réel,mais on ne peut nier que cet aspect donne une autre dimension à l'œuvre, et que ces analyses psychologiques nousenrichissent nous-mêmes.
Ainsi, il faut prendre conscience «de la limite infranchissable qui sépare le réalisme selonla nature du réalisme selon l'art », disait Victor Hugo.
L'écrivain, s'il est artiste, ne doit pas tomber dans le vérisme,ou « chosisme », qui est la représentation pure et simple du réel, mais il doit le styliser, lui donner un visagedifférent, car «faire vrai consiste à donner l'illusion du vrai, selon la logique ordinaire des faits, et non à rendre lepêle-mêle de leur succession » (Guy de Maupassant).
Ainsi s'explique la réaction symboliste qui suivit le naturalisme : le réel n'offre pas à l'esprit des perspectivessuffisamment larges.
Toujours viennent s'opposer aux efforts du réaliste les élans de sa propre imagination.
«L'homme est fabrication de rêves », sa sensibilité et son imagination, si exaltées par les romantiques, l'inclinenttoujours à la rêverie : ainsi Flaubert, qui semblait être si tourmenté par l'observation méticuleuse du réel, libéra sonimagination longtemps contenue dans Salammbô, où elle prit sa revanche : le cadre de ce roman est l'Afrique, paysmerveilleux et mystérieux, par son exotisme, les actions qui s'y déroulent...
Stendhal donne libre cours à sonimagination vive et impétueuse dans des aventures romanesques comme l'évasion de Fabrice, les visites de JulienSorel chez Madame de Rénal, et en situant l'action en Italie...
A mon sens, cette part d'imagination estindispensable au roman.
Sans cette part, le roman tourne au document, au reportage, il ennuie le lecteur etdétourne son attention.
Avec elle, il le tient toujours en haleine et satisfait ses aspirations.
Quoi de plus ennuyeuxen effet que la description interminable d'un paysage, qu'un portrait trop minutieux, trop détaillé, comme les aimentles réalistes, et qui ne laissent aucune part à l'imagination du lecteur ?
Ainsi, si je me sens attirée par la littérature réaliste, qui me semble plus profitable — malgré l'aspect enrichissant desœuvres de science-fiction et de toutes celles qui laissent une place prépondérante à l'imagination, et que je leurconcède volontiers — parce qu'elle concourt plus activement et plus profondément à notre épanouissement culturelet intellectuel, il me paraît nécessaire sinon indispensable qu'un roman comporte une part d'imagination.
Car enfin,Vigny ne déclarait-il pas :« L'art est la vérité choisie et expressive »..
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