Folie et raison sont-elles philosophiquement incompatibles?
Publié le 09/04/2005
Extrait du document
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Elle désigne, dans le langage courant, un trouble mental.
Mais cette définition n'est pas très satisfaisante.
Aussidevons-nous en construire une autre.
Si nous tenons compte des travaux modernes d'ethnopsychiatrie (psychiatrieportant sur les différentes ethnies, les divers groupes culturels) nous pouvons définir la folie comme ce qu'un grouperessent comme altérité par rapport aux normes de vie d'une société donnée et dont il veut se purifier.
Le fou, c'est,en effet, notre Autre, il représente notre double extériorisé, la part de nous-mêmes que nous voulons nier.
La foliese comprend par rapport à nos processus psychiques de purification et d'exclusion.
En forgeant des boucsémissaires, en transférant sur eux nos angoisses, nous nous purifions d'une partie de nous-mêmes, nous projetonssur l'autre nos propres terreurs.
Ce que je transfère fondamentalement dans l'image de la folie, c'est le symbole dece que je hais en moi-même.La folie représente, d'une manière générale, l'Autre par excellence, l'autre de cette raison qui semble notre propriétéspécifique.
Dès lors, comment la raison pourrait-elle, en son premier mouvement, reconnaître sens et valeur à la foliequ'elle doit précisément maîtriser et dompter pour pouvoir fonctionner ? C'est ce qu'on peut d'ailleurs vérifier sur leplan historique : la folie figure, historiquement, un visage de mort et de ténèbres que la calme raison expulse dumouvement même de la pensée et de la réflexion.
Michel Foucault a bien souligné l'existence et la nature de ceprocessus.
Au XVIIe siècle, à l'époque classique, la raison s'est formée en excluant radicalement la folie, désormaisenexil.
Ceci est vrai du point de vue philosophique (dans les Méditations métaphysiques, Descartes bannit et exclut lafolie : celui qui pense ne peut déraisonner.
Il est impossible que le sujet qui pense soit fou!), mais également dansl'ordre des institutions.
Au XVIIe siècle, l'exclusion de la folie se réalise par l'internement.
On crée, à cette époque,l'Hôpital général, destiné à isoler et enfermer les éléments asociaux, dont le comportement est considéré commedéraisonnable vis-à-vis de la morale et de l'ordre.Ainsi, le triomphe de la raison classique, au XVIIe siècle, est lié historiquement à des gestes de refus et d'exclusion.Quand elle se pose et s'établit, à cette époque, comme puissance souveraine, faculté de distinguer le vrai du faux,elle assujettit en même temps la folie, qu'elle bannit et projette dans le non-être, lui refusant sens, intelligibilité etvaleur.
La victoire de la raison, au XVIIe` siècle, est exclusion et enfermement de la folie, refus de lareconnaissance de l'autre, de notre Autre que contient dans folie.Nous posions initialement le problème : est-il possible à la raison de reconnaître une signification et aussi un mérite àla folie ? En un premier moment, la raison, lors de sa formation, en est incapable puisqu'elle se forge précisément envouant au silence et à la nuit la folie dépossédée d'elle-même et de son sens humain (la folie, à l'époque classique,est conçue comme animalité, existence purement animale).
2.
La reconnaissance partielle : Freud
Apparemment, c'est incontestablement à Freud que revient le mérite d'avoirfait communiquer partiellement raison et folie.
Avec la révolutionpsychanalytique, la raison semble désormais en mesure d'accepter et dereconnaître intelligibilité, sens et, peut-être aussi, valeur, à la folie.
Certes, leconcept de folie se transmute chez Freud, qui appelle névrose ou psychoseles phénomènes psychiques où le désordre semble régner.
Utilisant la culturepsychiatrique de son époque, Freud fait s'évanouir de son champ derecherche la « folie ».
Demeure essentiellement à l'intérieur de l'investigationfreudienne la névrose, affection psychique n'impliquant pas unedésorganisation comparable à celle de la psychose, atteinte profonde du moi.Dès lors, avec Freud, une raison très souple et très relative est à l'écoute dela « folie », maintenant baptisée névrose.
Cette raison, à l'écoute del'inconscient, tente de dévoiler le sens de symptômes névrotiques, quin'apparaissent plus désormais comme des débris tragiques et dépourvus designification, absurdes, grotesques, mais comme dévoilant un sens caché.
Laraison analytique restitue l'ordre, l'intelligibilité et le sens des symptômesapparemment confus.
La névrose cesse d'être incohérence, pur non-sens,pour devenir un texte à traduire, un ensemble de signes à décrypter.Ainsi, la raison commence-t-elle ici à envisager un dialogue avec l'Autred'elle-même, à admettre l'intelligibilité d'une folie intégrée dans l'ordre de lamaladie et de l'objectivité scientifique.
Comme s'il était possible à la puissance de bien juger, la raison, de s'ouvrir àson Autre.S'il est exact que la raison freudienne a tenté de reconnaître et d'accepter la folie, notons cependant que cettedernière prend place dans une nosographie (c'est-à-dire une description et une classification des maladies) de typescientifique et se transmute en névrose ou psychose.
Remarquons, en second lieu, que la raison et le discoursfreudien reconnaissent mieux le sens de la névrose que sa valeur profonde.
Si l'on peut décoder et apportersignification et sens à un symptôme désordonné, il n'est pas certain qu'il soit porteur de valeur (encore que Freudait rigoureusement déconseillé au grand musicien Gustav Mahler une psychanalyse, reconnaissant ainsi explicitementla valeur de la névrose sublimée en art !)..
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