Faut il vivre avec son temps ?
Publié le 12/09/2005
Extrait du document
Analyse du sujet :
q Il s’agit dans ce sujet de s’interroger sur une injonction communément employée : « il faut vivre avec son temps « et éventuellement de la remettre en cause. Le « faut-il « exprime un questionnement d’ordre moral.
q L’essentiel est tout d’abord de parvenir à cerner ce que désigne notre temps dans cette expression. Il s’agit d’une époque, l’époque dans laquelle on vit et on est « contraint « de vivre. En effet, on ne choisit pas son temps. La formule est par ailleurs souvent utilisée, dans son contexte habituel, pour exprimer une résignation. Il faut accepter l’évidence, il faut accepter ce qui s’impose à nous, même si le temps présent est difficile.
q Un autre usage « positif « peut être constaté. Il faut « vivre avec son temps « peut signifier qu’il faut agir dans l’époque, ne pas seulement se résigner mais accepter l’époque dans laquelle on vit. De nos jours, cela pourrait sous-entendre qu’il faut être à la pointe du progrès, « se renouveler «.
q On vit toujours dans une époque mais pas toujours « avec « une époque. Le « avec « suggère la possibilité pour l’homme de s’arracher à son propre temps.
q Mais afin de mener une réflexion intéressante, il convient de ne pas se limiter à ces usages familiers. Vivre avec son temps c’est accepter les valeurs, les buts, l’ethos de son époque. En un mot c’est vivre dans l’esprit de l’époque.
Problématisation :
Nous sommes contraints de vivre une époque plus ou moins déterminée, avec ses tendances, ses idées communément partagées, voire son idéologie, mais nous pouvons en refuser l’esprit. Vivre avec son temps c’est dans un premier sens accepter cette époque, se résigner. Mais en réalité l’expression désigne souvent l’importance d’accepter les changements, de suivre une évolution des mentalités. Dans un cas comme dans l’autre il s’agit malgré tout de se laisser conduire par les temps présents, de ne pas résister, de ne pas s’opposer au mode de vie présent. Mais doit-on se contenter de suivre l’Esprit du temps ? Qui conduit l’histoire si tout le monde suit cette injonction ? Vivre avec son temps est-ce agir ou se laisser aller ?
«
L'expression « il faut vivre avec son temps » semble exprimer une sorte de sagesse populaire.
Souvent affirméecomme un rappel à l'ordre, elle vise à ramener les récalcitrants dans le droit chemin de leur époque.
En tant que filset filles de notre temps, nous nous devons, en quelque sorte, de l'assumer.
Avons-nous seulement le choix ? Mais sil'obligation d'être de son temps est affirmée, c'est bien qu'elle ne s'impose pas immédiatement.
Nous pourrions doncfaire autrement.
L'injonction morale sous-jacente condamne l'infidélité temporelle.
Bon gré, mal gré, nous devonsvivre avec notre temps, faire corps avec lui.Refuser le présent jugé insatisfaisant pour trouver refuge dans le passé ou se projeter dans les rêves d'un avenirmeilleur, est une manière de s'absenter du monde.
Dans tous les cas, l'éloignement du présent isole.
Ces escapadessont tolérées tant qu'elles restent marginales, mais prises en mauvaise part dès qu'elles commencent à devenirsystématiques.
La fuite hors du présent est renoncement à la temporalité commune, et d'une certaine manière, à lacollectivité.
Nous comprenons pourquoi un tel comportement est si souvent stigmatisé.
La communauté peut, à tortou à raison, le comprendre comme la manifestation d'une volonté d'opposition poursuivant des objectifs uniquementindividuels.
Autrement dit, cette attitude peut paraître « antisociale ».
Retranchés volontaires du monde, nousdevons pourtant y revenir car il se rappelle à nous.
Le temps commun et la sagesse politiqueLa politique semble adopter pour maxime l'obligation de vivre avec son temps.
Son rôle principal est de fonder ladécision.
Il s'agit de montrer à quel point tel projet, telle réforme répond à une impérieuse nécessité ressortissantd'une inévitable adhésion au temps présent.
L'époque exige.
Cette idée se trouve sans cesse mise en avant dans lesdiscours politiques.
Elle aboutit à un relatif dédouanement des individus.
Si la décision est dictée par lescirconstances, si aucun autre choix « raisonnable » n'est possible, le politique sert plus qu'il ne commande.
Il sesoumet au cours des choses en les accompagnant de son mieux.
Il y a là une forme de résignation qui peut choqueren regard des espérances placées dans le politique.
L'époque est-elle la forme moderne du destin ?La décision s'inscrit nécessairement dans un contexte mais elle peut prendre le contre-pied des tendancesdominantes du moment.
Parfois, cela relève même du devoir.
Les défaites annoncées ne sont pas toujoursinévitables et certains combats méritent d'être menés malgré un pronostic très défavorable.
Si la situationcommandait tout de manière impérieuse, y aurait-il eu des hommes et des femmes pour résister aux premièresheures de la seconde guerre mondiale ? Vivre avec son temps, c'est parfois aller contre lui.
Que le politique ait àcomposer avec la configuration propre à son époque, personne ne songe à le contester.
Mais ôter à la décisionpolitique sa force de résistance intrigue et pose question.
N'est-ce pas décourager par avance toute forme de lutte,la stigmatiser comme étant, par essence, « réactionnaire » ou vaine ? Il est bien difficile de se satisfaire d'une telleabdication, loin, a priori, des objectifs mêmes de l'action politique.
Faire de la politique, c'est aussi vouloir déterminerl'avenir.
La notion de moment opportun mise au jour par Platon mérite ici d'être rappelée.
Le kairos (1) est l'instantqu'il faut saisir afin que l'action soit réussie.
Le savoir propre au bon politique est celui d'une adaptation à lasingularité des cas et des moments historiques (2) mais n'implique nullement la résignation.
L'art de gouverner exigeune attention au présent, une capacité à le prendre en compte dans les décisions.
Le kairos affirme la puissancecréatrice de la politique et sa capacité d'anticipation.
Il témoigne du fait que rien n'est joué d'avance.Prendre en compte le moment présent ne signifie pas s'enfermer en lui.
Le politique soucieux du bien commun jugedes situations actuelles et prévoit.
Il n'adhère pas mécaniquement à toutes les pratiques et valeurs de son temps.Pas davantage il ne cherche à être à la mode.
S'il l'est par choix délibéré, et non par correspondance intime avecson temps, il révèle sa démagogie.
Quand l'inscription dans son époque relève de la pose, il y a matière à s'inquiéterpour la conduite des affaires publiques.
Simultanéité ou contretemps philosophique ?Si le politique vit avec son temps, c'est qu'il se situe sur le plan de l'action.
Il saisit les forces en présence,comprend, voire précède l'esprit de son époque.
Il veut transformer le monde au point parfois d'être saisi par levertigineux désir de gloire qui le pousse à vouloir laisser sa marque.
On a souvent opposé la politique à laphilosophie, celle-ci étant associée à une entreprise plus contemplative.
Il faut évaluer la pertinence d'une telleopposition et nous demander si elle voue le philosophe à être l'homme du contretemps.Qu'il le veuille ou non, le philosophe est, au même titre que les autres hommes, d'une époque particulière.
Parfois, ilva jusqu'à en épouser les idées les plus communes, d'aucuns diraient l'idéologie dominante.
Les propos d'Aristote surl'esclavage « par nature » choquent bon nombre de lecteurs contemporains.
Néanmoins, attendre de cet auteur unecondamnation pure et simple de l'esclavage, n'est-ce pas demander beaucoup ? Si une telle condamnation,éminemment souhaitable, avait été effective, il y aurait eu lieu de saluer l'extraordinaire capacité de ce philosophe à« sauter » par-dessus son temps (3).
L'esclavage participe de la société grecque antique.
Il la structure.
Dans laCritique de la raison dialectique, Sartre brise l'idée d'une philosophie au contenu valable pour tous les temps.
Ne pasle reconnaître, c'est faire de cette discipline une science absolument autonome.
La philosophie évolue notamment.
»
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