Faut-il toujours vouloir avoir raison ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
«
raison contre quelqu'un d'autre (qui a tort).Mais alors, dès qu'on s'inscrit dans la perspective de la discussion contradictoire, la volonté d'avoir raison peutrevêtir une tout autre signification.
Elle n'est souvent que le désir d'avoir le dernier mot, ce qui est bien différent ! Ilne s'agit plus de vérité, mais de victoire.
Le débat n'est plus considéré comme le lieu où l'on cherche, ensemble, àapprocher au plus près de la vérité, mais comme un affrontement où l'on s'efforce de terrasser l'adversaire.
Dans levrai dialogue, on met ses forces en commun pour servir, ensemble, la connaissance du vrai ; dans l'affrontementverbal, on confronte ses forces à celles de l'interlocuteur.
D'un côté la recherche, de l'autre le combat.Les enjeux de la partie peuvent varier.
Le désir de « river son clou » à l'adversaire manifeste en général un soucid'amour-propre ou un esprit de parti : laisser à l'autre le dernier mot, c'est avouer sa défaite, repartir vaincu.
Çapeut n'être qu'un jeu : la discussion est un exercice intellectuel au même titre que le jeu d'échecs.
Les pièces sontles mots, les règles du jeu sont celles de la logique, les coups sont les procédés rhétoriques, l'échiquier est le champimmense des problèmes humains.Il n'est plus question d'avoir raison (au sens propre : dire vrai), mais d'avoir raison de l'autre.
Avoir raison de quelquechose ou de quelqu'un, c'est en triompher dans une lutte où l'on a eu le dessus.
Les pompiers ont raison del'incendie, le médecin de la maladie (ou la maladie, quelquefois, du médecin !), l'équipe sportive de l'équipe adverse,les difficultés ou les dangers peuvent avoir raison de mon courage, le froid de mon désir de sortir.
Mais avoir raisonet avoir raison de, n'ont rien à voir.
Je peux avoir raison dans un débat, défendre le point de vue juste, et ne pasavoir le dernier mot.
Pour peu que mon interlocuteur soit plus habile discoureur, qu'il soit plus que moi rompu auxjoutes oratoires, et j'irai au tapis ! Ce qui veut dire que je ne saurai plus quoi répondre, ou bien que l'assistance - s'ily en a une - me donnera tort.
Et dans ce cas, c'est celui qui a tort qui réduit l'adversaire à sa merci.
Platon nedonnait pas cher du médecin face au confiseur devant un tribunal d'enfants !
[2.
Ou accepter de voir son point de vue réfuté ?]
Notons en passant que dans le dialogue authentique, celui où l'on cherche ensemble à trouver la vérité (dialoguedont le modèle reste le dialogue socratique), le véritable vainqueur est celui dont le point de vue a été réfuté.
Si jerepars battu, c'est que je me trompais, et que la discussion m'a ouvert les yeux.
J'y ai obtenu quelque chose :d'être maintenant plus près de la vérité.
Vaincu, je suis gagnant.
Quand je discute, je ne peux rien souhaiter demieux - pour moi - que d'avoir tort ! Au début du Ménon, Socrate annonce ne désirer rien tant que d'être réfuté. Concluons : le désir d'avoir raison, c'est-à-dire de connaître la vérité plutôtque d'être dans l'erreur, n'a rien à voir avec l'acharnement à avoir raison del'autre dans la discussion.
Le premier est légitime, le second n'est le plussouvent qu'une preuve de mauvaise volonté.
[Transition]
Reste une question : ne serait-il pas finalement plus simple de renoncer àl'idée d'une vérité unique, qu'un seul peut détenir ? Enterrer cette prétention,cela ne permettrait-il pas d'en finir avec l'intolérance et le fanatisme ?
[ll.
La vérité ne se discute pas, elle s'impose à nous]
La réponse est non.
Qu'est-ce que la vérité ? L'adéquation à la réalité.
En cesens, la vérité est un objet de connaissance, et non une question d'avispersonnel.
Vouloir avoir raison, c'est alors rendre compte de ce qui est malgrénous, qu'on le veuille ou non.
[1.
La conviction n'est pas nécessairement porteuse de vérité]
« La Terre est plate », ce n'est pas vrai ; « La Terre est en mouvementautour du Soleil », cela est vrai.
J'ai raison en l'affirmant.
Comment le savons-nous (que c'est vrai) ? Nous le savons parce que nous avons pu, par une multitude de méthodes différentes, levérifier, le prouver.
Mais remarquons qu'avant que le mouvement de la Terre ne fût prouvé, quand la quasi-totalitédes hommes se représentait une Terre immobile au centre de l'Univers, la proposition « La Terre est en mouvementautour du Soleil » était déjà vraie.
C'est leur croyance qui était fausse.
Cette croyance ne contenait aucuneconnaissance.
Ici, personne n'est « libre » de penser ce qui lui plaît.
Auguste Comte faisait remarquer qu'il n'y a pasde liberté de conscience en astronomie ! Ce n'est donc pas moi qui fais la vérité d'une proposition quand je la penseou quand je la prononce.
On dit d'ailleurs très bien : «faire une erreur ».
Mais on ne dit jamais : « faire une vérité ».La vérité, je ne la fais pas, je la sais, ou je l'ignore.
[2.
Et pourtant, la croyance d'hier ne peut-elle devenir la vérité de demain ?]
On répondra qu'il y a des domaines où chacun est bien libre de penser ce qui lui chante, car rien n'a jamais étéprouvé.
L'existence de Dieu, la vie après la mort : voilà bien des questions où je suis libre de choisir.
Certes ! Maisce que je choisirai, dans la mesure où personne ne sait rien de sûr dans ces domaines, ne sera jamais qu'unecroyance ! Cette croyance, MA croyance sera peut-être une vérité.
Mais si j'ai raison en affirmant qu'il y a un Dieuet une vie après la mort, mon voisin qui affirme le contraire, lui, a nécessairement tort.
À lui, ou à moi, la vérité ;mais pas à chacun des deux.
De l'existence de Dieu, de la vie après la mort, personne n'a aucune connaissance.
Iln'empêche que les propositions « Dieu existe », « Il y a une vie après la mort » sont chacune vraie OU fausse.
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