Faut-il s'être d'abord trompé pour pouvoir parvenir à la vérité ?
Publié le 16/07/2004
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■ Mots clés • Faut-il : est-il nécessaire, soit d'un point de vue logique, soit d'un point de vue moral ? • se tromper : commettre une erreur, s'égarer, faillir, errer. • parvenir : atteindre, arriver en un point déterminé, accéder à. • vérité : ce qui est réellement, ce à quoi l'esprit peut et doit donner son assentiment par suite d'un rapport de conformité avec l'objet de la pensée. Dans l'ordre moral, la vérité est la coïncidence de l'être et de la parole. Elle s'oppose au mensonge. Dans l'ordre scientifique, logique, la vérité s'oppose à l'erreur.
- 1. La problématique de la vérité repose sur la distinction de l'être et du paraître : la vérité existe. Ce qui déjà nous interroge.
Si la vérité existe, nous n'en prenons conscience qu'au travers d'erreurs, de tâtonnements.
2. L'erreur est-elle alors féconde ? L'erreur est-elle la condition première pour parvenir à la vérité ?
«
Platon est comparable à cet objet, et notre monde, celui qui est offert à nos sens, à celui de la caverne.
En prenantle monde qui nous entoure, que nous voyons, touchons, etc.
(ce que la conscience commune nomme le « concret») pour le monde réel, nous sommes semblables aux prisonniers.Comme l'objet, l'Idée est une réalité (et non un produit de notre esprit) qui est la cause des apparences sensibles.Cette cause est unique, immuable (elle reste identique alors que les reflets changent).
Une Idée est donc uneréalité unique, éternelle, immuable qui est la cause et le modèle des «objets» offerts aux sens.Le peu de réalité de l'ombre lui vient de sa cause, le peu de réalité de notre monde sensible provient du mondeintelligible (le monde des Idées) qui le cause et l'explique.Resterait à ajouter que l'Idée n'est pas une réalité matérielle, sensible, mais qu'elle n'est accessible « qu'aux yeux del'âme».L'activité du philosophe consiste donc à convertir son regard, à passer de l'immersion dans le sensible, dans lamatière, dans les occupations vaines, à la contemplation du seul monde vrai et réel.
« Les yeux de l'âme »contemplent alors les Idées, et, parmi elles, la plus grande, la cause des causes, l'Idée de Bien (symbolisée dansl'allégorie par le soleil).
Ainsi l'on passe de la compétition des prisonniers pour la reconnaissance du passage, dudevenir des ombres, à la contemplation des réalités immuables.
Il faut s'élever du sensible à l'intelligible.Ce qui peut sembler étrange à un lecteur d'aujourd'hui n'est pas tant de dénoncer le caractère illusoire de ce quenous disent les sens (la physique moderne nous l'a appris on ne peut mieux) que de faire de ce qui est réel unmonde séparé.
Il faut comprendre pourquoi Platon a été amené à poser, à côté de notre monde, celui de la caverne,un autre monde, séparé du premier, monde des réalités éternelles et immuables, des formes, des essences.
Car lesIdées sont les essences et le modèle des choses sensibles.Platon hérite des questions posées antérieurement par les philosophes.Héraclite avait fait remarquer que « Le même homme ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.
» Notremonde est un monde en perpétuel devenir (comme l'eau du fleuve qui toujours s'écoule), un monde où constammentles choses changent, se transforment.
C'est-à-dire un monde où les choses ne sont jamais identiques à elles-mêmes; au contraire elles sont toujours mouvantes et autres qu'elles-mêmes.
Ce monde, Aristote le décrira plus tardcomme celui de « la génération et la corruption»: celui où les choses apparaissent, naissent, se développent, setransforment et meurent, où tout est pris dans un flux.Or comment peut-on comprendre une chose qui n'est jamais égale à elle-même? Que peut-on dire de vrai d'un objetqui sans cesse change ? Le savoir porte toujours sur des essences, des choses ou des relations nécessaires oustables, il est régi par le principe de non-contradiction.
Comment pourrait-on appréhender ce monde du mouvant, dudevenir autre ?Un autre problème se pose tout aussi bien.
Quand je dis «tel homme est beau », «telle action est belle », «telle fleurest belle », «telle marmite est belle », où réside l'essence de la beauté, son unité ? Car j'attribue bien lamême qualité (la beauté) à des choses radicalement différentes (cet homme, cette marmite) : comment saisir cetteunité, cette permanence au sein de cette diversité ? De plus, si la «qualité» de la beauté demeure, les chosesbelles, elles, se transforment et disparaissent.
Tel homme est beau, puis il vieillit et devient laid.
Mais la beauté a-t-elle pour autant disparu ? La question revient : quelle est l'essence et la permanence de la beauté qui se dit demultiples choses, qui, elles, se transforment et meurent ?Ces deux questions : comment rendre raison d'un monde en devenir, comment ressaisir l'unité d'une essence sereflétant de façons multiples, ont conduit Platon à élaborer la théorie des Idées.
A partir de la dualité de la matièreet du monde intelligible des formes pures et immuables, on peut rendre raison du monde sensible.
On peut leconcevoir comme recevant son peu de réalité de sa cause et de son modèle : le monde des Idées.La théorie de Platon (qui évoluera) consiste à tenter de surmonter les difficultés énoncées par ses prédécesseurs.Parménide déclarait que le non-être n'est pas et que seul l'Etre est.
Son disciple Zénon d'Elée (avec les paradoxesde la flèche qui n'atteindra jamais son but et d'Achille qui ne rattrapera jamais la tortue) montrait que le mouvementest incompréhensible.
Mais dire que le devenir et le mouvement sont incompréhensibles, c'est ne pas avoir lesmoyens de «sauver les phénomènes », de rendre compte de notre monde, de notre langage.
Et la leçon d'Héracliterevient toujours : «Le même homme ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.
»La dialectique de Platon, adossée à la théorie des Idées, consiste donc en un effort pour penser le devenir et sesparticularités, un effort pour remonter de la diversitésensible (de l'homme, de la marmite, etc.) à l'unité d'une essence, d'une permanence.
Ce faisant, Platon pose uneaffinité de l'âme avec le monde des Idées, et dévalorise le corps «tombeau de l'âme», qui nous enchaîne au devenir,à la matière.
- L'allégorie de la Caverne permet donc de représenter de façon imagée la dualité du monde sensible et du mondedes Idées.
La philosophie se donne comme une conversion progressive de l'un à l'autre.
Si la position d'un mondeséparé des formes immuables appartient à l'histoire de la philosophie, le goût de la compétition, des honneursdérisoires n'est sans doute pas passé de mode.
Voir aujourd'hui (ou hier) quelques « nouveaux philosophes»descendre dans l'arène médiatique prête à rire.
Si les rapports du philosophe et de la cité sont depuis toujourstendus, résout-on cette tension en pactisant avec le monde de la caverne ? S'il faut y redescendre (et il le faut),comment ne pas faire violence à ses compagnons ? Ne pas se faire malmener ?Quand le sens commun se rit des philosophes perdus dans les nuages et qui se prennent les pieds dans le tapis, iloublie beaucoup trop de choses.
Que cette attitude est librement choisie, que le philosophe sait qu'il prête à rirealors que les rieurs ne se savent pas dans l'illusion, et qu'enfin beaucoup ont appris à leurs dépens que le rire setransforme vite en une condamnation, qui est loin d'être allégorique, celle-là.
«Être dans le vrai, dit Aristote, c'est penser que ce qui est séparé est séparé ».
Être dans le faux, «c'est pensercontrairement à la nature des objets ».
Nous avons ainsi besoin de la raison critique pour atteindre la vérité..
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