Faut-il se méfier de la pluralité des interprétations ?
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
l'entendement, d'une manière identique pour tous les hommes, et par lequel nous percevons les choses dans leurscauses premières.
Et de là nous pouvons concevoir avec clarté pourquoi l'âme passe instantanément de la penséed'une certaine chose à celle d'une autre qui n'a aucune ressemblance avec la première : par exemple, un Romain, dela pensée du mot pomum, passe incontinent à celle d'un fruit qui ne ressemble nullement à ce son articulé et n'a avec lui aucune analogie, si ce n'est que le corps de cet homme a été souvent affecté de ces deux choses, le fruitet le son, c'est-à-dire que l'homme dont je parlé a souvent entendu le mot pomum pendant qu'il voyait le fruit que ce mot désigne ; et c'est ainsi que chacun va d'une pensée à une autre, suivant que l'habitude a arrangé dans soncorps les images des choses.
Un soldat, par exemple, à l'aspect des traces qu'un cheval a laissées sur le sable, irade la pensée du cheval à celle du cavalier, de celle-ci à la pensée de la guerre, etc.
; tandis qu'un laboureur ira dela pensée du cheval à celles de la charrue, des champs, etc.
; et chacun de nous de la sorte, suivant qu'il al'habitude de joindre et d'enchaîner de telle façon les images des choses, aura telle ou telle suite de pensées ».L'interprétation n'est alors que le fruit d'un habitude perceptive.b) Or comme le dit Lévi-Strauss dans Sociologie et Anthropologie , il est nécessaire de bien faire la distinction entre la connaissance c'est-à-dire cette recherche de la vérité et l'interprétation : « La parole donne un sens.Interpréter, est-ce la même chose que connaître ? En s'appuyant sur la linguistique, l'anthropologie fixe un momentdécisif de l'histoire : celui où, désormais parlante, l'humanité s'est d'un seul coup mise à trouver le monde significatif.La connaissance est cependant une démarche seconde, progressive et lente, jamais achevée, d'exploration de cesens globalement attribué ».
En effet, il semble possible de dire que l'interprétation et la diversité qu'elle entraînen'est qu'une première connaissance de la chose qui nous pousse à la considérer sous divers angle.
Mais il n'en restepas moins que l'interprétation ne satisfait pas paradigme de la vérité seule et unique c'est-à-dire qu'il fautquestionner et mettre en perspective cette diversité des interprétations.
La suspicion est alors de mise.c) Bien plus, on peut se demander si cette multiplicité des interprétations n'est pas le fruit qu'une volonté de faire sens ou de nous rassurer.
L'herméneutique serait alors le moyen métaphysique pour l'homme de dépasser sa peur de l'inconnu en fixer un sens sur un objet sans que cela soit vraie ou nécessaire.
Et c'est bien ce que l'on peut voiravec Nietzsche dans le Livre du philosophe puisque « les illusions nous rassurent » ; et c'est bien ce que l'on peut voir dans les grandes interprétations téléologiques de l'histoire chez Kant ou Hegel .
Elles nous permettent de masquer la fluidité du monde et sa mouvance en nous donnant un point d'appui sur le monde.
Il est alors connudonc rassurant.
De ce point de vue, on peut dire que nous sommes quasiment dans le cas du superstitieux ou duparanoïaque dans la mesure où tout doit faire sens comme le dit Freud dans Psychopathologie de la vie quotidienne : « Un univers où tout ferait signe ne serait-il pas profondément inquiétant ? Ces deux personnages se rejoignent dans la conviction que tout doit être interprété.
A la différence de l'homme rationnel, ils confondent lemonde extérieur avec le monde intérieur ».
Transition : Ainsi la multiplicité des interprétations correspond à l'absence de vérité établie et rend compte d'un besoin voired'une quête de sens afin de nous rassurer face à un monde qui ne cesse de se mouvoir.
Pourtant, si l'on renverse ceparadigme de vérité, l'interprétation n'a-t-elle pas tout son sens ? III – La multiplicité comme renouvellement du sens a) S'il n'est pas entièrement nécessaire de se méfier de la diversité des interprétations c'est bien parce qu'il fautabolir ce paradigme de l'existence d'une et une seule vérité : LA Vérité.
Un texte, un écrit, est justement ouvert à ladiversité des sens et des interprétations même s'il ne s'agit pas de trahir le texte et son sens profond.
Mais il n'endemeure pas moins que l'interprétation dépasse le « sens unique » pour laisser place à la vie du texte.
C'est bienjustement cette diversité qui rend encore le texte intéressant et souvent d'actualité et c'est bien ce que l'on peutvoir avec Ricœur dans Du texte à l'action : essai d'herméneutique : « Qu'est-ce qu'un texte, qu'est-ce que lire ? Une parole n'a qu'une permanence réduite et reste captive des circonstances où elle a été prononcée.
L'Ecrit, lui, selibère de ces deux contraires.
Dès lors, il devient disponible pour une lecture nécessairement ouverte et plurielle.
Ceque l'auteur a voulu dire n'est pas plus figé que ce que le lecteur voudra dire.
Il n'y a donc pas de sens unique ».b) En effet, c'est bien ce que l'on peut percevoir avec Aron dans les Etapes de la pensée sociologique lorsqu'il nous dit : « Interpréter les faits humains pour les comprendre.
Qu'est-ce exactement comprendre ? On ne peut pasexpliquer directement un phénomène naturel : toute une construction abstraite est d'abord nécessaire.
Si l'on peuten revanche saisir du premier coup par intuition les faits de la vie humaine, un autre niveau de compréhension estpossible, celle du sociologue ou de l'historien ».
C'est ce qu'explique Aron pour expliquer la méthode Max Weber.
Eneffet, la diversité de l'interprétation rend compte d'un mode de connaissance pluriel c'est-à-dire s'attachant àconsidérer l'objet sous différent angles de vue et grilles de lecture.
La diversité de l'interprétation n'est pas alors lesigne d'un défaut de connaissance ou de compréhension mais bien celui de la richesse du phénomène observé.
Ils'agit alors bien de cette connaissance qui établit un lien entre moi et l'objet.c) Et c'est pleinement en ce sens que l'on peut dire alors que l'art est l'objet même de cette interprétation en tantqu'il laisse libre cours à ce que Alain appelle dans son Système des beaux-arts ce dialogue entre moi-même et l'œuvre d'art.
Et c'est bien là tout le jeu de contemplation artistique puisque l'œuvre, relativement à son objet,semble du point de vue du sens inépuisable.
Autrement dit, il y a une interaction entre le spectateur et l'œuvre d'artet ce dialogue sans parole est bien la contemplation esthétique.
En ce sens, il y a rencontre entre mon histoire etl'histoire du tableau créant ce dialogue créateur se développant sur une double ligne de fond esthétique etcréatrice ; d'où la véhémence de la contemplation permettant le plaisir esthétique.
Cette confidence est sans findans la mesure où l'apparence exprime tout.
Ce tout est une totalité de signification car elle exprime l'âme avectoute son histoire et l'histoire de son temps.
L'interprétation est personnelle et sa richesse décline le « voir » deDidi-Hubermann suivant toutes ses modalités.
L'interprétation est plus un vécu, un voir, un ressenti qu'un savoir.
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