Faut il renoncer à être heureux pour faire son devoir?
Publié le 27/02/2005
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Si le bonheur est le but de l'homme et si le devoir est une obligation, ne peut-on être heureux en faisant son devoir ? N'entre-t-il pas dans le devoir d'être heureux (Épicure) ? Ou le devoir, envisagé comme contrainte, empêche-t-il d'être heureux ? Moralement, devoir et bonheur sont-ils incompatibles ? Si le devoir est un choix (reposant sur la liberté), est-ce que ce choix implique le renoncement au bonheur ? L'obligation par principe ne suppose-t-elle pas l'impossibilité de se laisser aller au bonheur qui se présente de manière contingente ? Le devoir n'est-il que pure contrainte ? S'il est choix, il est aussi adhésion à un choix, donc pas aussi antinomique qu'il n'y paraît avec le bonheur. Il peut exister aussi un plaisir de faire son devoir, voire le bonheur du devoir accompli. Le bonheur est-il forcément incompatible avec la modération, la réflexion dans ses choix ? N'existe-t-il pas un bonheur relevant de la raison, de la morale ? Kant refuse tout sentiment dans la définition du devoir, tout plaisir ou satisfaction à avoir face au devoir bien fait, car ensuite on pourrait faire son devoir pour retrouver cette sensation de joie. Pour lui, devoir et bonheur ne peuvent être en rapport, mais exister indépendamment.
«
vie de plaisir revient à développer et à porter à son degré maximal la partie sensitive ne nous distingue en rien desbêtes qui éprouvent comme nous des sensations de plaisir et de peine.
Grossière et partielle, la satisfactionhédoniste ne saurait convenir à un animal raisonnable.
Le plaisir, par ailleurs, n'est jamais la fin dernière de nos activités, mais une fin surajoutée qui les couronnelorsqu'elles sont menées à bien.
Ainsi l'acte de voir, lorsqu'il unit une vue parfaite et un objet parfait, produit unejouissance esthétique.
Mais l'acte pourrait se réaliser sans plaisir, car la but de la vision est la perception de l'objet.Le plaisir n'est donc pas la cause finale de l'acte, mais il résulte d'une bonne adaptation de la faculté à son objet.
Ilapparaît donc comme un luxe, une fin qui s'ajoute à l'acte, qui le perfectionne et le rend plus désirable.
« Le plaisir achève l'acte non pas comme le ferait une disposition immanente au sujet, mais comme une sorte de fin survenuepar surcroît, de même qu'aux hommes dans la force de l'âge vient s'ajouter la fleur de la jeunesse. » Le plaisir est une sorte de surplus gracieux qui parachève le but.
Outre les raisons développées par le stagirite, il faut remarquer que le plaisir ne peut constituer le suprême désirableen vertu de sa nature ponctuelle et éphémère.
L'homme après le coït est un animal triste, disent les théologiens.Sans vouloir réduire comme Pascal la besogne à un éternuement, il faut reconnaître que le chatouillement du plaisirsensuel est locale et fugace...
Il comporte des risques d'aliénation dans la mesure où une partie du corps peutdevenir centre de tout et se développer au détriment des autres.
L'idéal timocratique, en revanche, paraît plus relevé dans la mesure où il convient davantage à cet animal politiquequ'est l'homme.
L'honneur est le nerf de l'activité politique et s'avère le bien prisé par les gens cultivés soucieux desaffaires de la cité.
Néanmoins, Aristote confesse que « l'honneur apparaît une chose trop superficielle pour être recherchée » (I,3) Il est en effet bien fragile et périssable dans la mesure où il met l'homme à la merci de l'opinion inconstante de la foule qui adore aujourd'hui ce qu'elle brûlera demain.
Un bien qui ne dépend pas de nous et quipeut être ravi selon les caprices de la fortune n'est pas un bien véritable.
L'objet véritable du désir serait-il alors théorétique ?
C'est ce que prétendent les amis de la sagesse qui, à l'instar de Platon , voient dans la contemplation des idées du monde intelligible la source d'une félicité sans pareille et sans réserve.
La vision de l'idée du bien comble l'âme dansla mesure où l'homme atteint le principe de toute chose et ne saurait par définition aspirer à un au-delà.
Quoiqu'ilrécuse l'existence d'un monde intelligible dont la monde sensible serait la copie dégradée, Aristote souscrit à l'idée platonicienne selon laquelle la contemplation est la fin suprême de l'existence humaine.
Les hommes désirent lasagesse, car elle constitue ce qu'il y a de plus excellent.
C'est pourquoi seule la philosophie est à même de satisfaireles désirs humains et de procurer la vie heureuse.
L'objet de nos voeux demeure néanmoins énigmatique, car quefaut-il entendre par « sagesse » ? Aristote la définit plus précisément au chapitre VII de l' « Ethique à Nicomaque » : « La sagesse sera la plus achevée des formes du savoir.
Le sage doit donc non seulement connaître les conclusions découlant des principes, mais encore posséder la vérité sur les principes eux-mêmes.
La sagessesera ainsi à la fois raison intuitive et science, science munie en quelque sorte d'une tête et portant sur les réalitésles plus hautes ».
La sagesse ne s'identifie pas à la science qui, au fond, manque de tête.
En effet, la science pour Aristote est un ensemble de connaissances destinées à expliquer les phénomènes en les rattachant à leurs causeset fondées sur des démonstrations.
Or, une démonstration consiste à tirer des conclusions à partir de principesadmis et indémontrables.
Elle est imparfaite, car elle repose sur des principes dont on ne rend pas raison.
La philosophie, elle, s'attache aux fondements des principes et s'efforce de contempler les causes premières.
Ellesera donc science, car elle s'appuie elle aussi sur des démonstrations, et raison intuitive, car elle les asseoit surl'intuition des principes.
Elle ne se contente pas de l'hypothétique, mais veut l'anhypothétique.
Les autres sciencessont des corps sans tête, car les fondements ne sont pas solidement posés, mais présupposé.
La philosophie est lascience maîtresse, car sur le corps qu'est la démonstration, elle posera la tête qui est l'intuition des principes.
Ens'interrogeant sur les fondements, elle découvre que ce qui premier et commun à toutes les choses, c'est l'être.Avant d'être ceci ou cela et de se spécifier, elles ont l'être.
C'est pourquoi la philosophie s'identifiera à lamétaphysique, définie comme « science de l'être en tant qu'être ».
Contrairement aux autres sciences qui n'étudient jamais l'être en tant qu'être, mais qui en prélèvent et en délimitent un aspect ou une partie pour en faire l'objet deleurs travaux, la philosophie s'intéresse à l'être en tant qu'être, à la nature de ses causes et de ses propriétés.
Elleest aussi appelée à déterminer l'existence d'un principe suprême, cause de l'être et de son mouvement.
Sa tâcheessentielle consiste alors à élever l'intellect vers des objets d'une réalité supérieure à l'homme, à savoir les astresdont les révolutions constantes et régulières offrent un modèle de nécessité, pour le tourner enfin vers lacontemplation du « premier moteur », Dieu, substance première.
Il devient loisible à présent de comprendre pourquoi la sagesse est l'ultime objet de nos voeux.
La contemplationcomble l'homme, car elle combine l'excellence du sujet et celle de l'objet connu.
Elle est la vertu de l'intellect,faculté la plus haute de l'homme, et s'attache à un objet parfait, Dieu, substance première.
Le premier moteurremplit toutes les exigences pour être un bien absolu.
Nul ne peut en être dépossédé, ni par un coup du sort, car ilest éternel et nécessaire, ni par un mauvais coup d'autrui, car il est partageable et communicable sans dommage.La satisfaction est totale, à la mesure de son objet.
Ainsi s'éclaire l'étonnante affirmation de la « Métaphysique » : « tous les hommes désirent naturellement savoir ».
Toutefois des obscurités demeurent.
Si la sagesse était l'objet du désir humain, tous les « bipèdes sans plumes » que nous sommes devraient être philosophes et mépriser les biens volatils.
Comment se fait-il que, le plus souvent,les hommes dédaignent le suprême désirable ou lui tournent le dos avec indifférence ? Doit-on en conclure qu'ils.
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