Devoir de Philosophie

Faut-il préférer l'injustice au désordre ?

Publié le 22/01/2005

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Avec beaucoup de prudence, car il sait ce que sa réponse peut avoir de ridicule et de scandaleux, Socrate répond qu'une seule réforme est nécessaire à qui veut changer radicalement la société: il suffit que se conjuguent le pouvoir politique et la philosophie. Socrate déclare : « Tant que les philosophes ne seront pas rois dans les cités, ou que ceux qu'on appelle aujourd'hui rois et souverains ne seront pas vraiment et sérieusement philosophes ; tant que la puissance politique et la philosophie ne se rencontreront pas dans le même sujet ; tant que les nombreuses natures qui poursuivent actuellement l'un ou l'autre de ces buts de façon exclusive ne seront pas mises dans l'impossibilité d'agir ainsi, il n'y aura de cesse, mon cher Glaucon, aux maux des cités, ni, ce me semble, à ceux du genre humain, et jamais la cité que nous avons décrite tantôt ne sera réalisée, autant qu'elle peut l'être, et ne verra la lumière du jour.Voilà ce que j'hésitais depuis longtemps à dire, prévoyant combien ces paroles heurteraient l'opinion commune. Il est en effet difficile de concevoir qu'il n'y ait pas de bonheur possible autrement, pour l'Etat et pour les particuliers. »Socrate va s'attacher à justifier une proposition qui, aux yeux de ses interlocuteurs, ne peut être reçue que comme un insoutenable paradoxe.Pour ce faire, il entreprend de construire une définition de la philosophie. En ce sens, la « République » est autant un traité de la philosophie qu'un traité de la politique. Par là même se marque combien, aux yeux de Platon, sont indissociables ces deux dimensions : celle du savoir et celle du pouvoir.Encore faut-il s'entendre sur ce que sont les « vrais philosophes ». Socrate les présente comme « ceux qui aiment le spectacle de la vérité ».

À première vue cette question peut paraître concerner principalement les responsables politiques, auxquels il revient de veiller à la fois au maintien de l'ordre public et à la garantie de la justice. La combinaison des deux est un des enjeux de l'exercice du pouvoir. Nous sommes ici invités à nous demander si l'une des deux valeurs doit avoir la priorité sur l'autre et comment il convient d'arbitrer en cas de conflit. Ici une figure quasi proverbiale s'impose : celle de Ponce Pilate qui, pour éviter des troubles publics, laisse condamner injustement Jésus et « s'en lave les mains «. La paix de tous peut-elle se payer par la mort d'un innocent ? La question concerne également tout citoyen car elle constitue un critère pour juger un régime politique ou une idéologie : tel régime est-il soucieux de justice ou inquiet de l'ordre ?

« En 1845, Marx écrit les « Thèses sur Feuerbach ».

La onzième précise que «Les philosophes n'ont fait qu'interpréter diversement le monde, ce qui importe,c'est de le transformer ».

Contrairement à ce que prétend une interprétationcourante, il ne s'agit pas pour Marx de répudier la philosophie et le travail deréflexion, mais de le redéfinir, et de lui donner une nouvelle place, unenouvelle tâche.

Marx ne récuse pas la pensée, mais sa transformation enidéologie, son éloignement de la pratique.La onzième thèse clôt la série de note rédigées par Marx en 1845 quiconstitueront le point de départ de la rédaction, avec la collaborationd'Engels, de l' « Idéologie allemande » (1846).

Ces thèses, qui ne sont pasinitialement destinées à la publication, paraîtront après la mort de Marx àl'initiative de Engels, qui les présente comme un document d'une valeurinappréciable puisque s'y trouve « déposé le germe génial de la nouvelleconception du mode ».Etape décisive dans la maturation de la pensée de Marx, cet ensembled'aphorismes, en dépit de son apparente limpidité, ne peut être comprisindépendamment de ce qui précède et de ce qui suit le moment de sarédaction.

Nul texte, en ce sens, ne se prête davantage au commentaire,alors même, paradoxalement, que cette onzième thèse semble dénier toutelégitimité à l'activité d'interpréter.Formé à l'école de la philosophie allemande, lecteur de Hegel avant de devenirémule de Feuerbach (qui est un « matérialiste » au sens des Lumières), Marx construit sa propre compréhension du monde en « réglant ses comptes avec sa conception philosophique antérieure».Le terme de « philosophie » désigne ici la représentation théorique dominante à son époque, qui fait de latransformation des idées la condition nécessaire et suffisante de la transformation du monde.

(Ce qui constitue unevision « idéaliste » de l'histoire et des rapports de la théorie à la pratique.)Brocardant ceux qui possèdent « la croyance en la domination des idées », Marx leur oppose l'affirmation que « lesreprésentations, la pensée, le commerce intellectuel des hommes apparaissent [...] comme l'émanation directe deleur comportement matériel ».Là gît le fond du désaccord avec Feuerbach : si celui-ci affirme bien la nécessité de faire commencer la philosophieavec et dans la « non-philosophie », dans la vie réelle, il réduit celle-ci à l'existence individuelle d'un homme penséde manière abstraite, coupé des rapports sociaux (et par suite restreint à sa dimension sensible).L'opération critique effectuée ici par Marx consiste à redéfinir la réalité humaine.

Il s'agit de rejeter la thèse del'existence d'une nature humaine et de lui substituer l'analyse d'une réalité sociale complexe et structurée, où leshommes édifient historiquement leur individualité en « produisant leurs conditions d'existence ».Il s'agit donc de récuser une vue abstraite et éloignée du réel pour s'attacher à ce que sont les hommes concrets etleur évolution historique.La sixième thèse énonce que « L'essence humaine n'est pas une abstraction inhérente à l'individu pris à part, danssa réalité, c'est l'ensemble des rapports sociaux.

» Il ne s'agit aucunement, contrairement à ce que maintes lectureshâtives ou prévenues affirment, de réduire l'individu aux rapports sociaux, mais d'affirmer que l'essence humaine n'apas la forme du sujet pensé par la psychologie.Autrement dit, que la clé de la compréhension de la personnalité concrète ne se trouve pas dans la conscienceindividuelle.

Mais, à l'inverse, celle-ci ne se détermine singulièrement que dans le cadre de rapports sociaux qui luipréexistent et qui constituent de ce fait ses « présuppositions réelles », base de sa formation effective et point dedépart de son intelligence véritable.On ne peut donc pas comprendre l'individu en l'isolant de la société dans laquelle il s'insère, travaille, etc.

Il faut aucontraire, pour saisir l'individu dans sa singularité, ne pas prendre pour base les illusions qu'il peut se faire sur lui-même, en ce sens qu'il est victime des préjugés de son temps et que « les idées dominantes sont les idées de laclasse dominante ».Par suite, l'activité individuelle est essentiellement, constitutivement, sociale et ne peut en aucun cas être réduite àl'ensemble des perceptions sensibles de l'individu isolé et des représentations qui en dérivent : « La véritablerichesse des individus réside dans la richesse de leurs rapports réels.

»Par suite encore, les formes de conscience, que Marx désigne du terme d'idéologie, n'ont pas d'autonomie mais bienune spécificité.

Car, si « ce n'est pas la conscience qui détermine la vie mais la vie qui détermine la conscience », ilreste à expliquer historiquement l'apparente séparation et opposition entre la réalité matérielle et les représentationsque l'on s'en fait.Le problème n'est donc pas tant de récuser une philosophie qui s'invente un monde séparé et dédaigne les hommesréels, que de mettre au jour les conditions de possibilité d'une telle méprise, que de dégager les prémissesmatérielles d'une telle conclusion.

La réponse proposée dans « L'idéologie allemande » est la notion de division dutravail, plus précisément la division entre travail intellectuel et travail manuel.

Celle-ci permet aux « penseurs »d'oublier ou de méconnaître les conditions réelles de leur propre activité.

Il s tendent à justifier ce qui est, et àentraver le processus d'une véritable transformation du monde, tout en croyant à l'autonomie de leur pensée.L'idéologie, monde à l'envers, « camera obscura », est donc le résultat d'un processus historique.Il s'agit donc de partir, véritablement cette fois, du « monde réel », et de fonder la science de l'histoire : « Autrement dit, on ne part pas de ce que les hommes disent, s'imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu'ilssont dans les paroles, la pensée, l'imagination et la représentation d'autrui, pour aboutir ensuite aux hommes en. »

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