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Faut-il perdre ses illusions ?

Publié le 21/10/2012

Extrait du document

Faut-il perdre ses illusions ? L'interrogation « faut-il « signifie dans ce cas-ci « est-il nécessaire de «, en supposant que nous en soyons capables. Le verbe perdre quant à lui reste un verbe d'action qui sous-entend que la perte de nos illusions dépend de notre volonté, car il faut agir pour perdre quelque chose : par exemple perdre ses clés. Une illusion peut apparaitre sous différentes formes. L'illusion des sens, par exemple l'illusion d'optique, trompe notre système visuel et entraine une perception déformée de la réalité. Les exemples d'illusions d'optiques sont nombreux, comme voir un bâton plongé dans l'eau brisé alors qu'il reste bien droit, ou voir de loin une tour ronde alors qu'elle est carrée, ou encore voir un mirage. Mais l'illusion peut aussi tromper notre esprit et non plus nos sens, elle germe alors à partir d'un désir, d'une volonté. L'illusion se distingue de l'erreur. En effet, même si toutes deux expriment la notion de fausseté contraire à la vérité, à la réalité ; elles appartiennent à deux mondes différents. En effet, l'erreur a une origine intellectuelle, elle est due à un manque de connaissance, et n'est pas volontaire. Ainsi, un élève commet une erreur en répondant « cinq « à la question « combien font deux plus deux ? «, il se trompe mais ce n'est pas volontaire de sa part, il essaye d'atteindre la vérité ; l'erreur est due à son ignorance. De plus, une fois relevée, l'erreur sera tôt ou tard rectifiée et on ne reviendra plus en arrière ; par exemple, l'erreur de croire que le soleil tourne autour de la Terre a mis plusieurs siècles à être réparée mais a fini par l'être. Au contraire, l'illusion est une démarche infructueuse de la pensée, elle provient de nos désirs et reste d'origine affective, « nous nous faisons des illusions « : le sujet est aussi l'objet ; l'illusion est donc volontaire et orientée. De plus, l'illusion est constante, une personne illusionnée est complice de son illusion et la défend même quand on lui démontre qu'elle a tort ; par exemple, le racisme est une illusion car il a été démontré il y a longtemps qu'il n'existe pas de race inférieure parmi les Hommes, mais les racistes continuent pourtant à défendre cette idée, et il en va de même pour les sexistes qui s'entêtent à penser que la femme est inférieure à l'homme. L'illusion et l'erreur font donc partie de deux mondes différents, s'illusionner ce n'est pas seulement se tromper : l'illusion reste beaucoup plus grave que l'erreur, elle est l'apogée de la fausserie, orientée et constante. L'erreur, qui consiste à se tromper, est seconde. Elle procède d'un jugement inconsidéré, alors que l'illusion est immédiate, elle est affaire de perception ou de sentiments. Freud la définit comme « une erreur tintée de désir «. Quant à savoir s'il faut ou non se débarrasser de ses illusions, il faut d'abord se demander si nous sommes capables de nous en délaisser. Mis à part les illusions des sens qui sont impossibles à perdre, par exemple même en sachant que le bâton dans l'eau est droit on le verra tout de même brisé ; le terme du problème « faut-il « présuppose que nous sommes capables de perdre nos illusions. En supposant que nous le pouvons, doit on perdre ces illusions ? Notre esprit se tournera tout d'abord vers l'aspect le plus instinctif de la réponse : il faut se débarrasser de nos illusions car elles nous trompent, altèrent notre jugement et les perdre apporterait un gain de lucidité. Mais on peut penser que les illusions perdues sont...

« autr e s  l ettr e s   :    «   Je  m e  s ui s  q u e l q u e s  foi s  p r o p o sé un d o ut e   : s a v o i r s ’ i l  e st m i e u x  d ’ êtr e  g ai  et c o nt e nt, e n  i m a g i nant l e s  b i e n s   q u’ o n  p o s s èd e   êtr e  plu s  g ran d s  et pl u s  e sti m a bl e s  q u’ i l s  n e  s o nt, o u  i gn o rant et n e  s ’ ar r êtant pa s   à c o n s i d ér e r  c e u x  q u i  m a n q u e nt,   q u e  d ’ a v o i r plu s  d e  c o n s i d érati on  et d e  sa v o i r,  p o ur c o nna îtr e  la j u st e  val e ur d e s  uns  et d e s  autr e s ,  et q u’ o n  d e v i e nn e  plu s   trist e.

  »  No u s  all o n s  d o n c  r éfléc h i r  à c e s  d e u x  p o s s i bi lit és. L’ illus i o n  p e ut s e  r és u m e r  par c ette  e x p r e s s i o n   : «   Pr e n dr e  s e s  r êv e s  p o ur d e s  r éalit és   » .

 No s  d és i rs  et n o s  r êv e s  pr e nn e nt   d o n c  l e  d e s s u s  s ur n otr e  c l air v o y an c e ,  p r o v o q uant ains i un e  a b s e n c e  d e  lu c i dit é, o n  n e  s ’ a p e r ço it d e  ri e n  et c et av e u g l e m e nt e st   c o n da m na bl e .

  En ef f et l ’ illus i o n  p e ut pl o n g e r  l e  s uj et dan s  un e  ut o pi e  (au s e n s  p éj o ratif )  q u i  n e  p e ut pa s  c h an g e r  la r éalit é c ar l ’ i d éal   r êvé n e  ti e nt pa s  c o m pt e  d e  c ett e  r éalit é. No u s  p o u v o n s  dir e  q u e  toute  illus i o n  n e  tenant pa s  c o m pt e  d e  la r éalit é e st m a u vai s e .

  A i n s i  s e l o n  Mar x,  la «   r e li g i o n  e st l ’ o p i u m  du  p e u pl e   »   ; il c o n s i d èr e  la r e li gi o n  c o m m e  un e  illu si o n  dan s  la q u e l l e  l e s  c r o y a nts s e   r éfu gi e nt. Mai s  s e l o n  lui, m êm e  s i  l ’ i m a g i nair e  dans  l e q u e l  il s  s e  r éfu g i e nt l e s  r éc o nf ort e, il n e  p e r m et pa s  d e  c h an g e r  la r éalit é   c o n c r èt e m e nt et la s u p e r stiti on p e ut  êtr e  utili s ée  p o ur  tro m p e r  l e  p e u pl e ,  «   Q u i c o n q u e  n' e st pa s  m a îtr e  d e  s o i , e st fait p o ur  êtr e   e s c l a v e  d e s  autr e s  » .

 D e  m êm e ,  Fr e u d  dit dans   L’A v e nir d ’ un e  illus i o n  ( 1 9 27 )  q u e  «   L e s  r e pr és e ntati on s  r e li gi e u s e s ,  q u i  s e  f ont   pa s s e r  p o ur d e s  d o g m e s ,  n e  s o nt pa s  d e s  r et o m b ée s  d e  l ’ e x p ér i e n c e  ni l e s  r és ultats ulti m e s  d e  la p e n s ée ,  m a i s  d e s  illusi o n s ,   l ’a c c o m p l i s s e m e nt d e s  d és i rs  l e s  pl us  an c i e n s , l e s  plu s  p ui s s ants, l e s  plu s  ur g e nts d e  l ’ hu m anit é   ; l e  s e c r et d e  l e ur fo r c e  r és i d e   dans  la f o r c e  d e  c e s  v œ u x   » .

 D e  pl us,  un e  illusi o n  p e ut a m e n e r   à la fru strati on du  m o n d e  m e i l l e ur q u e  l ’ o n  d és ir et q u i  n’ arri v e   pa s. D on c  dan s  un p r e m i e r  te m p s  m êm e  s i  la v ér it é déran g e ,  la c o nna îtr e  p e ut p e r m ettr e  d e  la c han g e r.

  D e  pl us,  s i  o n  c o n s i d èr e  l ’ i llus i o n  c o m m e  un d éfaut d e  l ’ e s pr it q u i  p e ut c o n d uir e   à d e s  c o m p o rt e m e nts irrati onn e l s  q u e   l ’ o n  p e ut r e g r ette r, al o r s  il faudrait la s u p pr i m e r.

 D e  m êm e  o n  p e ut v o i r  l ’ illu si o n  c o m m e   étant dan g e r e u s e ,  p o u vant par e x e m p l e   p o u s s e r  au fanatis m e  r e l i g i e u x  o u  p o l iti qu e  ( X X èm e  s i èc l e )  o u  e n c o r e  au c r i m e  pas s i o nn e l.

 L’ illus i o n  e st e n  s o m m e  l ’a p o g ée  d e  la   faus s et é, il s e rait d o n c  n éc e s s air e  d e  n ou s  e n  s épar e r  et d e  s e  r etr o u v e r  e n  p has e  av e c  l e  r ée l . L’ h o m m e  d o it r efus e r  l e  d él i r e  p r o p r e   au x  illu si o n s . La d és i llu si o n  e st d o n c  b i e n  un e   étap e  n éc e s s air e ,  un e  avan c ée  v e r s  la v ér it é, et un g a i n d e  lu c i dit é. La d és i llus i o n   p e ut  êtr e  d o ul o ur e u s e ,  d ur e  et c o ntrai g nant e, m a i s  e l l e  d e m e u r e  un m a l  p o ur  b i e n.  Plat on s o uti e nt c ett e  i d ée  à trav e r s  l e  m yt h e  d e  la c a v e r n e ,  dan s   La R ép u b li q u e .

  Dans  c e  m yt h e  o n  trou v e  d e s   pr i s o nni e rs  attac h és  dans  un e  c a v e r n e  d e p ui s  l e ur e nfan c e .

 Ils s o nt atta c h és  tel q u e  l e ur t êt e  r e st e  touj o u rs  fi x ée  v e r s  l e  m u r  e n   fa c e  d ’ e u x.

 Ils n e  p e u v e nt pa s  v o i r  d e r ri èr e  e u x  l e  c h e m i n  q ui  m èn e   à la lu m i èr e ,   à l ’ e xt éri e ur. G r âc e  au f e u  dans  la c a v e r n e ,  l e s   o m b r e s  d e  c e  q ui  s e  pa s s e   à l ’ e xt éri e ur ap parai s s e nt s ur l e  m u r.

 A i n s i  l e s  pr i s o nni e r s  n e  v o i e nt q u e  d e s  o m b r e s  et n’ e nt e n d e nt q u e   d e s   éc h o s  m a i s  n e  c o n nai s sant q u e  c e l a d e p ui s  l e ur e nfan c e ,  p e n s e nt q u e  la r éalit é e st tell e  q u’ i l s  la v o i e nt et q u’ i l s  l ’ e nt e n d e nt.

  C e p e n dant, un j o ur un d e s  pr i s o nni e r s  r éu s s it  à s e  li b ér e r  et va  e x p l o r e r  l e  m o n d e  r ée l  pui s  r e vi e nt p o ur ra c o nt er  à s e s  c a m a ra d e s   et tent er d e  l e s  li b ér e r   à l e ur tour. C e p e n dant, l e s  autr e s  n e  l e  c r o i e nt pas  et r e st e nt p e r s ua d és  d e  l e ur illusi o n.

  L e s  pr i s o nni e r s  in c arn e nt l e s  H o m m e s  q ui  d ès  l e ur nai s s an c e  f or g e nt l e urs  p r o pr e s  illu si o n s   à partir d e  pr éj u g és .

 L e  pr i s o nni e r   q ui  s e  li b èr e  r e pr és e nt e  l e  p hi l o s o p h e  q ui  r éu s s it  à v o i r  la v ér it é, la r éalit é tell e  q u’ e l l e  e x i st e  v rai m e nt. L e  p hil o s o p h e  d ’ a pr ès   Pa s c al a p o ur b ut d e  m o ntr e r l e  c h e m i n  v e r s  la s o rti e  d e  la c a v e r n e ,  v e r s  la r éalit é. Mai s   à c a u s e  d e  la natur e  parti c uli èr e  d e   l ’ illu si o n  il e st diffi c i l e  d e  r e c o nna îtr e  q u’ o n  s u bit un e  illus i o n  et d ’ autant plu s  dur d e  s ’ e n  s épar e r.. »

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