Faut-il opposer le travail et le bonheur ?
Publié le 27/02/2008
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On en a fait maintes fois la remarque : l'apparition du mot « travail » est relativement récente.
Cela ne signifiecertes pas que la réalité désignée par ce mot le soit également, ni qu'il existât jamais de sociétés se livrant à lacomplète oisiveté.
Il n'est pas jusqu'aux économies de cueillette, cas limite, où l'on ne puisse déjà, selon certainspoints de vue, commencer à parler de travail.
Mais à aucun moment, là même où l'action sur la nature est la plusmanifeste et la division du travail la plus élaborée, une société ne s'est aussi délibérément qu'aujourd'hui perçuecomme orientée par le travail.
Adam chassé de l'état innocent et bienheureux du Jardin d'Eden est condamné parDieu à se procurer son pain à la sueur de son front ? Par ailleurs, l'origine latine du terme travail évoque uninstrument de torture.
Mais opposer le travail au bonheur, cela reviendrait à ne trouver aucun bien-être durabledans la transformation de la Nature, et de soi-même.
L'homme, pour être heureux, doit-il se réduire à l'inaction et àla satisfaction de ses désirs immédiats ? Les enjeux de la question relèvent tant de l'éthique que du politique :quelles sont les conditions pour que le travail devienne non plus une nécessité mais aussi un acted'épanouissement ? Comment penser une communauté viable sans travail ?
1) La poursuite du bonheur exclut le travail des conditions de vie.
L'exemple de la Grèce antique, remarquablement analysé par Jean-Pierre Vernant, nous montre ce qui fitlongtemps défaut pour que le travail acquît une place aussi centrale.
L'artisan, a fortiori l'esclave ne pouvaient eneffet se concevoir comme producteurs de valeur sociale : leur situation relevait du rapport de service, leurproduction n'était évaluée que sous son seul aspect de valeur d'usage, valeur immédiate, de celui auquel elle étaitdirectement destinée.
Rien par conséquent, dans des rapports aussi personnalisés, n'incitait à ce que fussentcomparés entre eux les divers métiers, à ce qu'une commune mesure s'en dégageât d'où pût naître l'idée de ce queMarx appellera le travail abstrait.
Aussi n'est-ce pas en raison de leur rapport de travail que les artisans sontcitoyens, mais par-delà et malgré cela.
Les manufactures sont à l'origine de la distinction tranchée entre travail etnon- travail.
Cette distinction n'est pas mineure, ni fortuit le lieu où elle s'est opérée : c'est le capitalisme industrielqui a donné naissance à la conception moderne du travail.
Avec le marché et le salariat, tous les travaux effectuésdans une société doivent être comparés, mis en relation les uns avec les autres ; le travail n'est plus perçuseulement sous son aspect concret, comme valeur d'usage, mais, et cela, en lui donnant une commune mesure enrévèle l'unité, comme valeur d'échange.
C'est désormais par son apport de travail que chacun participe à la société,conçue elle-même comme essentiellement défini par le travail.
Dans la vision prométhéenne de la société,prévalente depuis un siècle, la conception du travail comme création, liberté (n'est-il pas, selon Marx, l'activité parlaquelle l'homme, en transformant la nature hors de lui, transforme aussi sa propre nature ?) contrastesingulièrement avec cette autre évidence : le travail est nécessité, discipline.
En réalité, cet aspect de contraintene se réfère nullement à l'effort qu'il importerait de déployer pour domestiquer la nature.
Il renvoie au moded'organisation sociale pour y parvenir, c'est-à-dire à la division sociale et technique du travail ; n'est travail quel'activité productrice d'utilité, effectuée comme une obligation par l'individu dans la place précise qui lui estassignée.
C'est justement le propre de ceux qui imposent une division du travail que de toujours la présenter commenécessité naturelle ou technique, masquant par là ce qu'elle comporte aussi de modalité de domination sociale.L'histoire de l'organisation scientifique du travail est à cet égard exemplaire.
Alors que la division du travail semontre là plus consciente et volontariste qu'elle ne fut jamais, elle est construite, justifiée et présentée commeordre rationnel s'imposant de soi.
Il est remarquable à l'inverse que les procédés et utopies se préoccupant de« satisfaction » ou de « joie au travail », contraints de se tourner du côté du travail comme création, aboutissentd'abord et toujours, de quelque manière, à une mise en cause de la division du travail, quand ce ne serait que parl'élargissement des tâches
H.
Arendt souligne dans La Condition de l'Homme Moderne que le mode de vie considéré comme le plus évolué sous l'Antiquité consistait en la contemplation des belles choses, en la poursuite des belles actions.
Seuls lesesclaves, englués dans la vita activa , travaillaient, s'occupant de répondre aux besoins de leurs Maîtres.
Il faut opposer travail et bonheur si l'on considère que le travail est un obstacle à une vie consacré à la recherche dubeau, à la contemplation.
Jusqu'au XVIIe siècle, le travail était perçu comme une besogne servile, qu'il fallait bieneffectuer pour produire, mais que son caractère pénible et dégradant réservait aux pauvres et aux esclaves quin'avaient pas le choix.
L'homme important, noble ou prêtre, se faisait honneur de ne pas travailler.
Mais, avec l'essordes relations marchandes, la révolution industrielle et les bouleversements économiques et sociaux qui s'ensuivent,la place - et le revenu - de chacun devient moins fixée par la règle sociale et la tradition, et davantage par lesefforts fournis et les initiatives prises par l'individu.
Du coup, le travail est devenu un acte de création productive,engendrant revenus et richesse.
Karl Marx (1818-1883) y a même vu, à la suite de David Ricardo (1772-1823), la.
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