Faut-il limiter ou accroître nos besoins ?
Publié le 24/05/2012
Extrait du document
Tel homme qui, il y a deux cents ans, n'aurait pas même appris
à lire, et qui n'est parvenu à un âge avancé que par les progrès de
la médecine, profite des vitres de ses fenêtres, du chauffage central
de son appartement et des 300.000 exemplaires du journal où il écrit
pour faire savoir à l'humanité qu'elle est parvenue au dernier stade de
la barbarie. (...)
Sans doute dira-t-on que si le bilan de l'économiste est largement
favorable, ceux du moraliste et du sociologue ne le sont pas. Il est
vrai que la civilisation court maintenant de grands risques (...).
Il faut comprendre que (...) progrès scientifique et progrès technique
n'impliquent pas nécessairement progrès humain (je veux dire
progrès de l'homme total). C'est une erreur aussi dangereuse de dénigrer
le progrès technique en dénonçant la stagnation de la morale
de l'humanité, que d'attendre de ce même progrès technique la
solution de tous les problèmes humains.
«
130
Bien des moralistes, il est vrai, principalement dans l'anti
quité, plaçaient le but de la vie dans le bonheur.
Or on ne
saurait être heureux tant que les besoins ne sont pas satis
faits.
Mais, ainsi que nous l'avons marqué, il ne saurait jamais
obtenir complète satisfaction : ce qu'on a obtenu suscite l'idée
et le désir de quelque bien meilleur; et ainsi on court sans fin
à la poursuite d'un bonheur qui s'éloigne à mesure qu'on fait
un pas vers lui.
C'est pourquoi, tout comme les moralistes qui
mettent le but de la vie dans la perfection morale ou dans la
vertu, ceux qui n'envisagent que
le bonheur préconisent, eux
aussi, la restriction des besoins.
Qu'il suffise d'évoquer la doc trine d'Epicure.
B.
Les économistes et les sociologues.
Au contraire, celui qui vise
à l'amélioration quantitative et
qualitative de la production se montre satisfait de voir les
besoins s'accroître.
En effet, cet accroissement entraînera celui
de
la demande des produits du travail et de la consommation ;
pour répondre aux appels du consommateur, il faudra produire
davantage
et améliorer les techniques de la production ...
Ainsi
la multiplication des besoins devient, dans le domaine écono
mique, le ressort du progrès.
Le sociologue ne contribue pas à ce progrès, comme le fait
l'économiste.
Du moins il l'observe et, autant qu'il le peut, le
mesure pour
en faire état.
Sans doute, il s'intéresse surtout
aux mœurs, aux idées, aux modalités des rapports humains ...
Mais les besoins font partie du psychisme des peuples qu'il
étudie et par leur multiplication même, révèlent une transfor
mation profonde: des idées nouvelles se sont répandues, l'exis
tence traditionnelle ne satisfait plus et on aspire à mieux ...
Pour
le sociologue, ces besoins manifestent une civilisation avancée :
le
civilisé a une masse de besoins dont le primitif n'a pas la
moindre notion.
Ainsi le sociologue et l'économiste ont à l'égard des
besoins que le progrès technique
multiplie une attitude qui
semble
diamétralement opposée à celle du moraliste : ils s'en
félicitent au lieu que celui-ci la regrette.
Il.
- Y A-T-IL CONFLIT IRRÉDUCTIBLE?
Le moraliste ne se place évidemment pas au même point
de vue que le sociologue et l'économiste.
Mais de cela même
peut résulter que leurs jugements sont moins opposés que
complémentaires..
»
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