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Faut-il éviter les querelles de mots ?

Publié le 07/09/2004

Extrait du document

[Le langage est un instrument dangereux, car les mots désignent des choses différentes selon les individus; ils peuvent donc porter à confusion et être à l'origine de disputes et de querelles.]
Les mots nous trompent Nous avons parlé durant une bonne heure, puis nous avons fini par nous fâcher, uniquement parce que nous n'avons pas trouvé les mots justes pour nous comprendre. Dès Platon, l'examen du langage se transforme en méfiance. Car le langage est du domaine de l'opinion, il n'est pas une science exacte, il n'est pas le reflet de la vérité. Du point de vue philosophique, il faut s'interroger sur la valeur de l'instrument que nous utilisons. Les mots peuvent ne pas dire les choses que l'on voulait dire. Le langage, c'est à la fois un instrument indispensable et un instrument dangereux, car il n'est pas clair. C'est pour cette raison qu'il faut éviter de se disputer pour des mots, des malentendus, des lapsus ou des quiproquos qui ne recouvrent rien de réel. Relisons Montaigne, car il a tout dit : que le langage ne compte pas, et qu'il n'est rien qui compte davantage. Si, d'une de ces affirmations à l'autre, il y a simplement contradiction nous pouvons passer & n'en retenir aucune.
Il peut arriver que deux personnes se querellent en raison d'un mot mal compris ou d'une expression interprétée de travers. Une fois réconciliées, elles affirmeront volontiers que ça n'en valait pas la peine. Est-ce si sûr? 
  • I. Raisons des querelles
  • II. Leurs enjeux implicites
 
  • III. Les mots ou la violence?
 


« préalable de la chose », écrit Heidegger dans Etre et Temps.

C'est un discours qui ne dit rien dans la mesureoù il ne fait rien voir ; bien plus, il envahit l'espace public au point de rendre inaudible toute paroleauthentique, forcément singulière « le bavardage réprime tout questionnement et tout débat nouveau ».

Il nedit rien, et empêche que soit dit quelque chose.

Il faut donc éviter de se quereller pour ce rien.

Nous avons tous fait l'expérience de relire à tête reposée undiscours qui nous avait enthousiasmé et d'être déçu de ne plus y retrouver ce qui avait motivé notreadhésion.

Quelle aurait été l'utilité d'une dispute autour de tels mots ? Fallait-il se battre pour des idées quin'étaient que des phrases ? Le discours énonce et transcrit sur le plan des mots une réalité qui n'appartientpas au domaine des mots. [La querelle de mots démasque les faux savoirs, les mots qui ne veulent rien dire et qui rivent les hommes à leurs préjugés et à leur ignorance.] Pas de langage sans penséeL'interrogation sur le langage est inéluctablement interrogation sur la pensée, car penser et parler sedéfinissent l'un par l'autre.

La pensée ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot.

Inversement, le mot n'estjamais forme vide parce qu'il véhicule toujours du sens ou du non-sens. Hegel écrit : « C'est dans les mots que nous pensons ».

Dire que nouspensons en mots, comme on paye en francs ou en dollars, c'est définirle mot comme l'unité de la pensée.

Loin d'être deux mondesradicalement extérieurs, « incommensurables » comme le disait Bergson,le langage et la pensée apparaissent ici comme absolumentconsubstantiels.Que reproche Hegel à l'ineffable ? Il lui reproche de n'offrir, en fait depensée, qu'une matière de pensée sans la forme que seule laformulation par le langage pourrait lui conférer.

L'ineffable en effet,c'est la pensée informe, c'est-à-dire une pensée usurpée, une penséequi n'en est pas vraiment une.

Pour mériter ce nom, pour être vraimentla pensée, celle-ci doit en passer par l'épreuve de l'explicitation.Il y a ici un malentendu possible contre lequel il faut mettre en garde lelecteur de Hegel : c'est le malentendu de l'énonciation.

Le problème deHegel n'est pas de savoir s'il faut se taire ou parler, ni de savoir si lesvérités sont ou non bonnes à dire : l'enjeu de l'exigeante conception deHegel est de savoir à partir de quoi, à partir de quel critère on peutréellement considérer qu'on a affaire à de la pensée, à partir de quelcritère la pensée mérite le nom de pensée.

Ce critère, c'est la « formeobjective » (le mot) qui rend ma pensée publiable, identifiable même parmoi seul (tant encore une fois il ne s'agit pas ici de rapport à autrui).Pourquoi faire un brouillon avant une dissertation ? Justement pour expliciter le flux d'abord confus de l'inspiration qui nous traverse à partir d'un sujet, pour incarner cettemanière, cette pensée virtuelle en une réalité palpable & travaillable, réalité que les mots que nous écrivons luidonnent.Il s'agit là, pour la pensée, d'une véritable épreuve, de l'épreuve de ce que Hegel appelait le « négatif » : pourdevenir ce qu'elle est, la pensée doit en passer par ce qui n'est pas elle : le langage.

Dans cette épreuve parlaquelle elle devient ce qu'elle est, la pensée fait donc face à d'apparents périls qui peuvent nous faireprendre le langage pour un inconvénient.

Au premier rang de ces périls, celui qui apparemment menace ce quenous pourrions appeler la subjectivité, notre singularité : ne risquons-nous pas, en incarnant notre intérioritédans une forme objective, d'en perdre irrémédiablement ce qui en elle nous appartient le plus ? Le mot peut,ainsi, être perçu comme commun et galvaudable : nous savons bien que chacun peut transformer nos parolescomme il l'entend, que les « je t'aime » que nous prononçons ont été cent fois, mille fois, prononcés etentendus, que nos pensées dans nos paroles deviennent anonymes comme une rumeur sourde.

Puisque « toutest dit depuis huit mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent » (La Bruyère), le refus des mots ne serait-ilpas le dernier refuge de l'intériorité ? Ce sont ces appréhensions que la pensée hégélienne entend conjureravec la dernière énergie.Le présupposé qui est ici en jeu a quelque chose à voir avec la question de la propriété de la parole.Ce dialogue constant de la pensée avec le langage, cette lutte entre l'ineffable et les mots, bref ce passage,pour la pensée, du non-être à l'être prend donc évidemment, comme on l'a vu, un sens particulièrement aiguen littérature et spécialement en poésie.

Si le passage par la parole marque la vraie naissance de la pensée,. »

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