Faut-il être sans trouble ?
Publié le 27/02/2008
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De quelle nature est le bonheur ? Faut-il le concevoir comme un état de repos, ou au contraire comme un état dynamique ? Peut-on imaginer atteindre, comme le voulaient les sagesses antiques, en particulier stoïciennes, épicuriennes et sceptiques, un état d’ataraxie, c’est-à-dire de maîtrise sur soi conduisant à l’absence de troubles et par conséquent au bonheur ? Ou doit-on opposer à cet idéal du sage une autre forme d’éthique ?
«
que sans cesse de nouvelles « Pensées », trouvées ici ou là, sont ajoutées ? Les éditions successives n'enfinissent pas de donner chacune leur interprétation, « les mêmes pensées formant un autre corps de discourspar une disposition différente » comme l'indiqua, de manière prémonitoire, Pascal lui-même.D'où la table de concordance que l'on trouve maintenant dans chaque édition et qui permet de navigueraisément de l'une à l'autre de ces neufs cents et quelques pensées : ainsi cette pensée, classé 172 dansl'édition de Brunschvicg, est le numéro 45 dans l'édition Tourneur & Anzieu.
Quant au texte il s'insère dans lepassage suivant : « Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l'avenir.Nous ne pensons presque point au présent ; et si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pourdisposer de l'avenir.
Le présent n'est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenirest notre fin.
Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à êtreheureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.
»Pascal, selon l'habitude de son temps, s'est sans cesse nourri de la pensée de ses devanciers.
C'est un lecteurinfatigable, et Montaigne est l'un de ses auteurs favoris, dont il reprend souvent le texte sceptique pourl'utiliser aux fins de l'apologétique chrétienne.
C'est ici le cas.
Pascal s'est souvenu expressément d'un passagede l'édition de 1588 des « Essais » : « Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà.
Lacrainte, le désir, l'espérance nous élancent toujours vers l'avenir, et nous dérobent le sentiment et laconsidération de ce qui est, pour nous amuser de ce qui sera, voire quand nous ne serons plus.
» (Livre 1,chapitre 3).Ceci est d'ailleurs un thème cher aux moralistes de l'Antiquité, que Montaigne ne se fait pas faute de citer, à lasuite de ce passage : l'épître 98 du philosophe latin Sénèque (« Malheureux l'esprit tourmenté de l'avenir ») etÉpicure (« Épicure dispense son sage de la prévoyance et de la sollicitude de l'avenir »).Cette thématique, qui dénonce l'impossibilité où est l'homme de se fixer au présent, est aussi celle desécrivains de la période classique.
On trouve ainsi une expression assez semblable chez le moraliste La Bruyère :« La vie est courte et ennuyeuse ; elle se passe toute à désirer.
On remet à l'avenir son repos et ses joies, àcet âge souvent où les meilleurs ont disparu, la santé et la jeunesse.
Ce temps arrive, qui nous surprendencore dans les désirs : on en est là, quand la fièvre nous saisit et nous éteint » (« De l'homme »).Cependant ce qui, chez l'un ou l'autre, est notation strictement psychologique, prend chez Pascal une autredimension, beaucoup plus philosophique.
Car c'est d'une conception de l'homme, et de son rapport à Dieu, qu‘ils'agit.
Pascal est très explicite sur ce point : l'homme, en s'intéressant à son passé ou à son avenir, chercheen réalité à échapper au présent qui est pourtant le seul temps qui soit véritablement à nous.
Ici, il n'y a passeulement le témoignage d'une « pensée » écrite à la hâte, mais l'expression réfléchie d'une lettre rédigée endécembre 1656 par Pascal à l'intention de Mlle de Rouanez, au moment où elle souhaite entrer en religion : « Lepassé ne doit pas nous embarrasser, puisque nous n'avons qu'à avoir regret de nos fautes ; mais l'avenir nousdoit encore moins toucher, puisqu'il n'est point du tout à notre égard, et que nous n'y arriverons peut-êtrejamais.
Le présent est le seul temps qui est véritablement à nous, et dont nous devons user selon Dieu.
»Et pourtant Pascal le sait bien (Pensée 139), tout nous montre le contraire.
Les hommes ne cessent des'agiter, de se jeter dans le monde, d'aimer le jeu, la conversation des femmes, de courir les emplois.
En unmot, ils ne cherchent qu'une chose : le DIVERTISSEMENT.
Frénésie de l'action qui ne vise, en sortant sanscesse de soi, qu'à s'oublier soi-même.
Aussi, si l'on en cherche plus finement les raisons , on les trouve dans lanature même de l'homme.
Ce dernier n'a pas tort et a le juste pressentiment de son malheur.
Il y a un «malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsquenous y pensons de près.
» De là vient, continue Pascal, « que les hommes aiment tant le bruit et le remuement; de là vient que la prison est un supplice si horrible ; de là vient que le plaisir de la solitude est une choseincompréhensible ».Pascal nous invite à accepter, sans effroi, notre humaine condition, qui est de n'être rien, certes, face àl'infinité de Dieu mais d'être quelque chose avec son secours, en trouvant auprès de lui l'éternelle consolationdont nous avons besoin.
Telle est l'articulation centrale de la réflexion Pascalienne (Pensée 60) : MISERE DEL'HOMME SANS DIEU (parce que la nature est corrompue) ; FELICITE DE L'HOMME AVEC DIEU (parce qu'il y aun réparateur).
Dans sa situation de misère, loin de Dieu, l'homme s'étourdit de son passé et plus encore deson avenir supposé, mais ne peut, en réalité, jamais d'être heureux.
Dans la situation de félicité, au moment oùil a retrouvé Dieu, l'homme peut parvenir au bonheur, à condition de se détourner du monde et de sesdivertissements impuissants.
Aussi Pascal, contre l'éparpillement de soi, plaide-t-il en faveur de la méditation.
Ilfaut se « ramasser en soi-même » pour se consacrer à ce Dieu « que nous connaissons sans savoir qui il est »(Pensée 233).Ainsi une vie heureuse serait définie par l'accord de l'homme avec Dieu.
Belle définition, sans doute.
Dieu estbien caché ou lointain.
Le transcendant a disparu de notre horizon, nous laissant en ce vide que décrit si bienPascal.
Inutile d'inventer de nouveaux dieux.
Tentons plus simplement de trouver une vie heureuse dansl'accord, sinon avec le monde, du moins avec nous-mêmes.
Seconde partie - Le bonheur semble ainsi mis hors de portée de l'homme.
Reprenant, d'une certaine manière, cette critique ducaractère par essence insatisfait du désir, qui n'existe que dans sa dynamique même, Schopenhauer propose auphilosophe de rejeter à la fois l'ennui et le divertissement par l'extinction du vouloir lui-même ( Le monde comme volonté et comme représentation , IV, §57).
Seule la suppression du désir lui-même permettrai à l'homme d'atteindre l'absence de trouble et d'éviter le malheur..
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