Faut-il être libre pour être heureux ?
Publié le 14/10/2019
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Le libre-arbitre divin est pouvoir de création ex nihilo. Mais est-il possible d'assimiler la liberté d'indifférence, quand
bien même elle serait chez l'homme le plus bas degré de la liberté, à un commencement absolu à partir de rien ?
Si la liberté d'indifférence est totalement indéterminée, d'o ù la volonté reçoit-elle
La liberté d'indifférence n'est donc pas le fondement métaphysique indispensable à l'idée de liberté. Une volonté se
détermine en dernière instance toujours en fonction de quelque chose, que ce soit le vrai, le bien, ou un ensemble
de pulsions restées inconscientes. Mettre en cause la liberté d'indifférence n'est cependant pas mettre en péril
l'idée de liberté, puisque celle-ci peut se laisser penser en relation avec J'idée de nécessité. Il reste que la capacité
qu'a l'âme de penser le déterminisme la place dans une position de recul par rapport à lui et semble du même coup
en faire le lieu d'une liberté privilégiée. Si dans la connaissance des causes, l'âme comprend et avance selon ses
propres lois, et est ainsi source de ses pensées, il semble qu'elle échappe à l'idée d'une détermination. Enfin,
l'incapacité dans laquelle on se trouve de penser rationnellement le libre-arbitre ne doit peut-être pas entraîner
sa négation, si l'on veut sauvegarder l'idée d'une expérience morale. Les notions de responsabilité, de mérite, de
mal... n'ont de sens qu' à supposer l'existence d'un libre-arbitre, en dépit des déterminations qui orientent pourtant
mes actions. C'est pourquoi l'impossibilité de penser le libre-arbitre dans la sphère théorique n'empêche pas,
comme le montre Kant dans la Critique de la raison pure (« des raisonnements dialectiques de la raison pure »,
chap. II, 9e section, III, PUF, p. 405-406), la nécessité de le postuler dans la
«
l'un ou l'autre des deux contraires, mais plutôt d'autant plus que je penche vers l'un, soit que je connaisse
évidemment que le bien et le vrai s'y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l'intérieur.
de ma pensée, d'autant
plus librement j'en fais le choix et je l'embrasse : et certes la grâce divine et la connaissance naturelle, bien loin de
diminuer ma liberté, l'augmentent plutôt et la fortifient.
De façon que cette indifférence que je sens lorsque je ne
suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d'aucune raison, est le plus bas
degré de la liberté, et fait plutôt paraître un défaut dans la connaissance qu'une perfection dans la volonté; car si je
connaissais toujours clairement ce qui est vrai, et ce qui est bon, je
ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement, et quel choix je devrais faire ; et ainsi je serais entièrement
libre sans jamais être indifférent.
R.
Descartes, Méditations métaphysiques
Ce texte est extrait d'une réponse de Descartes à la lettre d'un de ses correspondants qui l'interrogeait à propos
d'un passage de la quatrième méditation métaphysique dans laquelle il disait : « de façon que cette indifférence
que je sens lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d'aucune raison, est
le plus bas degré de la liberté et fait plutôt paraître un défaut dans la connaissance qu'une perfection dans la
volonté » (Méditations métaphysiques, Pléiade, p.
305).
L'indifférence est cet état dans lequel se trouve la volonté lorsqu'ayant à se décider elle a le choix entre deux
actions et qu'elle n'éprouve aucune inclination, ni ne perçoit de raison de choisir.
Descartes juge que,
concrètement, cet état est celui de la moindre liberté.
Le terme d'indifférence est d'ailleurs un terme négatif qui
désigne un manque d'éléments d'appréciation plutôt qu'une disponibilité quelconque.
Dans un cas d'indifférence
totale je m'en
remets, la plupart du temps, au hasard d'un coup de d é ou du « pile ou face », remplaçant la décision de la
volonté par un événement quelconque du monde.
Inversement ma liberté ne saurait être remise en question sous
prétexte que j'aie des raisons (dûment établies) d'agir comme je le fais.
Si je n'agis pas pour des raisons
conscientes, j'agis pour des causes ce qui est proprement le contraire de la vérité.
Descartes concède toutefois qu'on peut penser l'indifférence (dont il ne nie pas l'existence mais son lien avec la
liberté)également comme une « faculté positive » c'est-à-dire comme la condition purement formelle de la liberté.
Il
faut penser une capacité toujours présente de refuser même ce qu'on juge bon ou vrai, d'affirmer envers et contre
tout une « liberté » qui existe de simplement s'affirmer.
Cette indifférence conçue cette fois positivement ne peut
certes entraîner qu'un comportement irrationnel ou immoral puisqu'elle consiste à ne pas faire ce pour quoi nous
avons des raisons évidentes d'agir, ce qu'est pour Descartes la vraie liberté — « Moralement parlant » c'est-à-dire
raisonnablement il est inadmissible que nous fassions le contraire de ce qui est raisonnablement bon.
C'est «
absolument parlant », c'est-à-dire sans égard à autre chose que le pur concept du libre-arbitre, que nous devons
penser la possibilité d'un choix libre et
irrationnel.
Descartes ne concède donc pas grand chose puisqu'il n'accorde que la possibilité théorique d'une indifférence
positive.
Il est certes possible que nous agissions contre toute raison afin de donner corps à cette indifférence, ou
pour prouver notre liberté, mais agir afin d'établir une affirmation de soi ne pourrait guère conduire qu' à une vie
vide et dénuée de sens.
L'indifférence même conçue comme une volonté positive (et non comme simple absence
de fondement à une décision) est donc bien encore le plus bas degré de la liberté.
Mon indécision (c'est-à-dire la liberté d'indifférence comprise en sa première acception) ne provient en effet que de
mon ignorance à l'égard du meilleur parti à prendre, et ne peut donc se donner à voir comme le plus haut degré de
liberté.
Je suis en effet d'autant plus libre, non quand j'ai la possibilité de faire n'importe quoi, mais quand j'ai le
pouvoir d'accomplir des actions efficaces, ou de ne pas me tromper, c'est-à-dire encore quand je juge en
connaissance de cause.
Descartes, dans la quatrième partie des Méditations, fait pour cette raison de la liberté
d'indifférence entendue comme indécision une liberté par défaut:
Cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que
vers un autre par le poids d'aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et fait
plutôt paraître un défaut dans la connaissance qu'une perfection dans la volonté.
Quant à la liberté d'indifférence comme capacité positive (lettre à Mesland), elle n'est positive que parce qu'elle
s'affirme comme telle.
Sa seule fin consiste dans le fait d'en faire usage.
Aussi, sauf à supposer une volonté qui
choisit le mal afin de faire usage de son libre-arbitre, c'est vers ce qu'on croit être le vrai ou le bien que l'on porte
ses choix.
Une volonté sera donc d'autant plus libre qu'elle se déterminera en fonction de ce qu'elle sait être le vrai
ou le bien, au lieu de l'ignorer et de choisir arbitrairement.
La liberté d'indifférence s'assimile donc davantage à.
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