Faut-il bien connaître autrui pour l'aimer ?
Publié le 05/04/2004
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- « Je n'existe que dans la mesure où j'existe pour autrui, et, à la limite : être, c'est aimer. « Emmanuel Mounier, Le Personnalisme, 1949.
- « Celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté l'aime-t-il ? Non, car la petite vérole qui tuera la beauté sans tuer la personne fera qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on moi? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même (...). On n'aime personne que pour des qualités empruntées.
L'amour est l'affirmation de la puissance du désir de l'autre. Il est élection, mise à part etc. Autrui est celui qui m'est étranger : il est ce moi qui n'est pas moi et qui me ressemble ; il est mon alter ego. Or comment peut-on connaître autrui ? L'amour pour autrui est ce qui me rapproche le plus de lui, mais est-ce bien par ce sentiment que je peux avoir une connaissance de lui. Si la haine envers autrui semble incompatible avec une connaissance objective de ce dernier, qu'en est-il de l'amour ? Mais alors nous devons faire face à deux problèmes celui de la valeur de cette connaissance et de son extension. En effet quelle est la fécondité cognitive de l'amour ? L'amour produit la cristallisation d'autrui, et en ce sens l'amour est bel et bien aveugle : comment produire alors une connaissance valable, c'est-à-dire objective ou au moins réelle ? Bien plus s'il fallait autrui pour le connaître ne serait-on pas limité dans l'extension de la connaissance ? Cependant, il y a sans doute une solution si l'on suppose que cette amour fait référence à l'humanité en chaque homme. Mais alors il ne s'agit plus tant d' amour que de respect.
«
de saisir objectivement la nature d'autrui la passion, dés le départ, biaise notre rapport à lui.
Nous aurons alorstendance à ne le considérer que subjectivement et nous nous empêcherons de véritablement le connaître.
Deuxième partie : Pour connaître autrui il faut vouloir le connaître, le fait d'aimer peut alors être compris comme adjuvant dans la mesure où il nourrit cette volonté.
2.1 Amour comme aiguillon de la connaissance.
Connaître signifie saisir la nature bonne ou mauvaise de quelqu'un ou de quelque chose, aimer signifie tendre vers.
Autrui devient objet de connaissance parce que notreâme est portée vers lui.
« Nous ne voulons, n'appétons ni ne désirons aucune chose, parce que nous la jugeons bonne ; mais au contraire, nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons etdésirons.
» SPINOZA, Ethique, III 9 scolie.
2.2 L'homme est porté à connaître ce qui lui est proche.
Autrui objet d'amour est alors pris dans un sens restreint de familier ou de proche.
L'amour dont il est question est alors l'amour de bienveillance.
« De là les contradictions apparentes qu'on voit entre les pères des nations : tant de naturel et tant d'inhumanité, des moeurs si féroces et des coeurs si tendres, tant d'amour pour leur famille et d'aversion pour leurespèce.
Tous leurs sentiments concentrés entre leurs proches en avaient plus d'énergie.
Tout ce qu'ils connaissaient leur était cher .
Ennemis du reste du monde, qu'ils ne voyaient point et qu'ils ignoraient, ils ne haïssaient que ce qu'ils ne pouvaient connaître. » ROUSSEAU, Essai sur l'origine des langues.
« Amour de bienveillance, c'est-à-dire qui incite à vouloir du bien à ce qu'on aime.
» DESCARTES, Les Passions de l'âme, art.81.
Transition : Introduire la volonté dans le processus de connaissance nous permet d'élever le fait d'aimer au rang de condition de la connaissance d'autrui.
Pour autant il semble délicat de tenir jusqu'au bout l'identification dela connaissance au jugement (cf.
citation de Spinoza).
En effet au lieu de penser la possibilité du jugement et de laconnaissance comme découlant du fait d'aimer il vaut mieux repenser le statut de la connaissance et envisager sonantériorité à la fois quant au jugement et quand à l'amour.
D'autre part si aimer autrui suppose qu'il soit un procheque ferons-nous de cette tendance à nous interroger sur la nature de ce qui nous est inconnu qui est la conditiondu progrès de notre connaissance ?
Troisième partie : Aimer autrui ne nous invite pas à le connaître puisque pour l'aimer il faut déjà le connaître.
3.1 Nous devons avoir une connaissance minimale de l'objet de notre amour.
« Lorsqu'une chose nous est représentée comme bonne à notre égard, c'est-à-dire comme nous étant convenable, cela nous fait avoir pour elle de l'amour.
» DESCARTES, Les Passions de l'âme, art.
56.
Ce n'est pas l'amour d'autrui qui est la source de la connaissance mais la connaissance d'autrui qui nous pousse à l'aimer.
« Personne ne peut aimer ce qu'il ne connaît pas.
» SAINT AUGUSTIN, De la Trinité, X 15.
3.2 L'amour ne doit plus alors être compris comme passion mais comme union.
Autrui prend également un sens particulier, il est identifié à Dieu.
L'approche spinoziste nous permet de penser la possibilité d'un amourintellectuel qui récuse donc l'opposition initiale entre sensibilité et connaissance.
« Du troisième genre de connaissance naît nécessairement un Amour intellectuel de Dieu. Car de ce troisième genre de connaissance naît une Joie qu'accompagne comme cause l'idée de Dieu, c'est-à-dire l'Amour deDieu, non en tant que nous l'imaginons comme présent, mais en tant que nous concevons que Dieu est éternel, etc'est là ce que j'appelle Amour intellectuel de Dieu.
» SPINOZA, Ethique, V 33 corollaire.
CONCLUSION
Le fait d'aimer autrui ne peut être la condition de sa connaissance parce que l'homme passionné n'est pas disposé à connaître, son entendement loin d'être éclairé par la passion est désorienté par elle.
Mais si aimer signifieêtre bienveillant envers autrui alors l'amour de bienveillance génère un intérêt, une attention, qui nous porte àvouloir connaître autrui.
Cependant cette solution est insatisfaisante dans la mesure où la relation entre le faitd'aimer et de connaître autrui est mal comprise.
Dans le texte de Rousseau ce qui est décisif et source de laconnaissance et de l'amour est la nature d'autrui, le fait qu'il soit un familier.
Le fait d'aimer autrui ne conditionnedonc pas le fait de le connaître mais c'est parce qu'autrui est un proche que nous sommes déterminés à le connaîtreet à l'aimer.
Le problème reste encore non résolu puisqu'il semble ne plus y avoir un rapport de condition àconditionné mais une coïncidence entre ces deux actions « aimer » et « connaître » toutes les deux prenant leursource dans la nature d'autrui.
Ce que Rousseau veut indiquer dans ce texte est la limitation que les premiershommes s'imposaient en ne portant leur amour et leur connaissance que sur ce qui leur était familier.
Ils se privaient.
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