Faire régner la justice, est-ce seulement appliquer le droit ?
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
Il faut également se demander quelles sont les occasions d'appliquer le droit: "appliquer", comme "faire régner", suggère une attitude active, volontariste. On applique le droit pour le rétablir en cas d'infraction, pour l'expliciter en cas de litige, pour l'affirmer en cas de plainte. On fait appliquer le droit lorsqu'on fait valoir ses droits. On peut alors de demander s'il est toujours conforme à la justice de toujours faire valoir tous ses droits.
Peut-on réduire la justice au seul souci d'appliquer le droit ? Faut-il renoncer à une justice qui serait au-delà des lois existantes ? C'est-à-dire peut-on et faut-il renoncer à juger le droit au nom d'une exigence, d'un idéal transcendant ?
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I.
La justice suppose le droit ...
Les rapports entre les hommes et la rareté des biens étant ce qu'ils sont, on ne peut imaginer une société au sein de laquelle règnespontanément la justice sans qu'une structure juridique soit là pour la garantir.
• La justice ne peut régner sans une structure juridique.
L'institution judiciaire s'appuie en effet sur un ensemble de codes dont les règles tracent le cadre normal de la vie sociale.
Les lois sont lesmêmes pour tous et sont rendues publiques après avoir été discutées : ces conditions essentielles garantissent les citoyens contrel'arbitraire et la violence.
• L'application du droit peut redresser les injustices.
La présence de lois stables, valables pour tous et connues de tous est une condition primordiale; mais leur simple existence ne suffit pas: le droit doit être appliqué pour que soient évitées ou réparées les injustices.
La connaissance des lois ne suffit en effet pas toujours, soitque leur interprétation soit épineuse, soit que leur transgression soit tentante.
Faire régner la justice implique donc effectivement que ledroit puisse être appliqué et soit donc épaulé par une force publique elle-même soumise au droit.
• Mais peut-elle faire régner la justice ?
Est-il toutefois plausible que l'application du droit permette d'établir véritablement le règne de la justice? Sans doute que non.
Outre qu'unsystème juridique n'est jamais parfait, il ne fait qu'encadrer la conduite extérieure des individus sans prétendre régenter leurs intentionsintérieures.
Or, le règne de la justice ne suppose-t-il pas la disposition de chacun à contribuer à ce règne?
II....
mais la seule application du droit ne peut suffire.
Détaillons donc les raisons qui rendent insuffisante la seule application du droit.
• Le droit ne peut être appliqué que s'il est sollicité.
La première raison est que le droit doit être sollicité pour être appliqué.
Or bien des injustices sont commises sans que les victimes aientrecours à la force de la loi, soit par ignorance, soit parce qu'elles en sont empêchées.
Or un État qui prétend détecter la moindre injusticepour la sanctionner devient vite un État policier qui étouffe toute liberté : ce qui n'est guère favorable à un règne de la justice.
• Le recours systématique au droit risque de nuire à la vertu de justice.
En outre, la vertu de justice comporte une disposition à renoncer parfois à faire valoir son droit, par exemple pour ne pas affaiblirdavantage une personne dans une situation déjà précaire.
L'homme juste ne s'acharne pas sur un adversaire et ne tente pas de tirerprofit de toute situation juridique avantageuse : cela constituerait un détournement de l'esprit des lois.
• D'autant plus que le droit lui-même n'est pas toujours juste.
Il faut enfin rappeler qu'aucun système juridique n'est parfaitement juste, non pas parce que les lois sont forcément mauvaises maisparce qu'il faut souvent trancher entre plusieurs demandes toutes légitimes mais incompatibles entre elles.
Tout système juridique estplus favorable à certains individus qu'à d'autres.
Ouvrer au règne de la justice implique par conséquent non seulement d'appliquer le droitmais aussi de travailler à le réformer lui-même.
III.
Faire régner la justice ou favoriser son règne ?
L'application du droit est par conséquent une condition nécessaire mais non suffisante pour qu'advienne le règne de la justice.
Faut-ilconsidérer cet idéal comme trop élevé?
• Doit-on alors se replier sur la vertu individuelle?
On pourrait alors être tenté de se contenter de pratiquer la justice en quelque sorte de façon privée, en se disant que seule la vertu dechacun contribue efficacement bien que discrètement au règne de la justice.
• Lutter pour la justice ...
Cette pratique privée ne peut cependant être cohérente si elle ne s'accompagne pas d'un engagement social et politique, car la justicen'est pas seulement une question de rapports entre deux individus, il s'agit aussi de la qualité du « vivre - ensemble » dans la société.
• ...
en respectant la liberté d'autrui.
Il faut enfin rappeler qu'on ne peut décider à soi seul de « faire régner la justice » comme un caïd peut « faire régner la terreur » dans unquartier l'établissement de la justice ne relève pas d'une action isolée aussi volontaire soit-elle.
Certes, l'exemple de ceux que la traditionjuive nomme « les justes » est important, mais la justice se vit à plusieurs, et je ne puis contraindre autrui à vivre de façon juste.
Conclusion
L'application du droit semble donc être l'exigence minimale pour établir l'esquisse d'un règne de la justice.
Le système du droit trace leprogramme de ce que doivent être les rapports justes entre les citoyens; mais la justice effective ne peut être qu'un horizon idéal oùconvergeraient le droit et la morale.
Le plus accessible concrètement est peut-être le travail pour que le système du droit se rapproche leplus possible des exigences de la justice..
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