Expliquez et justifiez (ou critiquez) ces deux propositions de Delacroix : « Le mot est nécessaire à l'intelligence de la phrase. » et « La phrase est nécessaire à l'intelligence du mot. » ?
Publié le 16/06/2009
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INTRODUCTION. - Il est deux méthodes pour apprendre les langues la méthode analytique et la méthode synthétique connue sous le nom de méthode globale. Le processus analytique, le plus usuel dans les écoles, consiste à aller du simple au complexe, des lettres aux mots, des mots à la proposition, etc. Dans la méthode globale, au contraire, on est mis d'emblée devant le complexe, et c'est une analyse ultérieure qui fait prendre conscience des éléments : l'élève doit deviner le sens des phrases complètes avant de connaître celui des mots dont ces phrases sont composées. Or, des deux réflexions du grand psychologue que fut Henri DELACROIX, il semble résulter que ces deux méthodes sont l'une et l'autre impossibles : — la méthode globale, parce que, dit notre auteur, « le mot est nécessaire à l'intelligence de la phrase «; — la méthode analytique, parce que, affirme-t-il d'autre part, la phrase est nécessaire à l'intelligence du mot. Comme, à s'en tenir à ces affirmations, il serait vain de chercher à apprendre une langue et que, en fait, les langues s'apprennent comme autre chose, nous savons bien d'avance qu'il doit être possible d'accorder les deux propositions antithétiques. Mais, avant de chercher à faire leur synthèse, il faut développer l'antithèse.
«
A.
— Chez l'enfant.
Une des principales acquisitions de cet âge est celle du langage.
Plus tard, à un certain stade de la période scolaire,il faudra ajouter à la connaissance de la langue maternelle celle d'antres langues, vivantes ou mortes.
Comme il estfacile de le voir, c'est parce que mots et phrases sont donnés dans un tout qu'ils deviennent intelligibles.
1.
Observons d'abord comment s'effectue l'apprentissage de la langue maternelle.
Les discours que la mère tient àson bébé ne se réduisent pas à des mots et à des phrases.
Ils s'accompagnent d'un comportement fort complexe —activités diverses, mimiques, gestes indicatifs — grâce auquel est facilement rompu le cercle dans lequel nousenfermait la stricte interprétation de la seconde pensée de DELACROIX.D'une part, pas besoin de phrases pour expliquer le sens des mots : les choses elles-mêmes l'indiquentsuffisamment.
Ainsi, la mère n'a pas à expliquer à son poupon que ce liquide blanc enfermé dans son biberon porte lenom de « lait » ou de « lolo » : après avoir souvent entendu articuler ces sons à l'heure de la tétée, il établira lui-même le lien.D'autre part et de même, il ne lui est pas nécessaire, pour comprendre une phrase, de pouvoir la décomposer enmots dont le sens lui soit préalablement connu grâce au comportement qui sert de contexte, la phrase lui devientintelligible prise dans son ensemble, quoi qu'il soit incapable de préciser le sens des divers éléments qui laconstituent.
2.
Avec la langue maternelle dont l'enfant a appris l'essentiel au cours de ses premières années le maître disposed'un outil pour l'apprentissage d'une autre langue : le plus souvent en effet, il procède en établissant deséquivalences entre la langue déjà connue et celle qu'il s'agit d'apprendre.
Il utilise alors la méthode analytique : ilcommence par la morphologie, faisant le tour des différentes espèces de mots, puis il passe à la syntaxe et apprendà ses élèves à construire des phrases.Mais certains préfèrent d'autres méthodes.
Soit la méthode globale, simple systématisation des processus naturelspar lesquels s'apprend la langue maternelle.
Soit ces derniers processus eux-mêmes, sans aucune organisationsystématique : c'est ainsi que l'on plonge un enfant dans un milieu qui parle exclusivement la langue à apprendre; là,grâce au comportement dont elles s'accompagnent, les paroles qu'on lui adresse sont vite devinées; puis, sefondant sur le peu qu'il sait, il interprète les données verbales qu'il comprend encore mal, tout comme l'adulte, dontil reste à analyser l'activité intellectuelle dans l'interprétation d'une phrase quelque peu difficile.
B.
— Chez l'adulte.
Observons un élève de Première qui reçoit le texte d'une version latine ou grecque, allemande ou anglaise.
S'il estinintelligent, il aura aussitôt recours à son dictionnaire pour chercher, sinon le premier mot — car il est possible qu'ilen connaisse le sens — du moins le premier des mots devant lesquels il bute, ne les comprenant pas : comme s'ilpouvait déterminer avec certitude le sens d'un mot sans le situer dans son contexte ! A l'opposé, un candidatintelligent et intuitif, mais paresseux, commencera par lire l'ensemble du texte, devinant en gros ce qu'il exprime;ensuite, sans s'attarder à compulser son dictionnaire, il tâchera de dire en français mais en se tenant le plus prèspossible de l'original, ce qu'il a entrevu : comme s'il pouvait bien traduire s'il n'est pas capable de donner unetraduction exacte de tous les mots ! Celui qui réunit l'intelligence et l'ardeur au travail utilise tour à tour les deuxprocédés : il commence, lui aussi, par lire attentivement le texte de sa version, en prenant une vue synthétique;mais ensuite un examen analytique précise et contrôle cette première donnée non seulement pour l'ensemble de laversion, mais encore pour chacune de ses phrases; le sens entrevu permet alors, pour les mots qui font obstacle,de choisir entre les diverses acceptions fournies par le dictionnaire, et les mots ainsi expliqués donnent une meilleureintelligence de leur contexte.
Ou plutôt le travail d'intellection s'effectue par un constant va-et-vient des élémentsau tout et du tout aux éléments, des mots à la phrase et de la phrase aux mots.Nous avons pris l'exemple de la version parce que le recours matériel au dictionnaire rend sensible le travail d'analysequi est ailleurs moins apparent.
Mais quant à l'essentiel, les processus sont les mêmes lorsqu'un candidat cherche àcomprendre ce que demande exactement le libellé d'un sujet de dissertation ou lorsque je lis un alinéa desMéditations de DESCARTES.
L'attention se transporte des mots à la phrase et de la phrase aux mots.
Ou, plusexactement, dans la donnée globale l'esprit fixe parfois l'élément plutôt que le tout et parfois le tout plutôt quel'élément, mais jamais l'un sans l'autre.On voit dès lors comment on peut affirmer sans contradiction : « Le mot est nécessaire pour l'intelligence de laphrase » et « la phrase est nécessaire pour l'intelligence du mot ».
CONCLUSION.
- L'affirmation successive des deux faits signalés par DELACROIX n'est paradoxale que pour celui qui raisonne dans l'abstrait, Un retour au concret dissipe le paradoxe, car si les grammaires et les dictionnaires nousfournissent des mots en dehors de toute phrase, il n'en est pas de même dans l'usage réel de la parole : mêmelorsque nous n'entendons ou ne prononçons qu'un mot, les circonstances dans lesquelles il est prononcé luiconstituent une sorte de contexte qui explicite son sens.D'ailleurs, ainsi que l'a montré l'école de la Forme, ce ne sont pas seulement les mots qui nous sont donnés intégrésdans un tout.
Toute perception, quel que soit son objet, est globale et les éléments sont perçus dans le tout.
Ainsi,nous pouvons dire, généralisant les affirmations de DELACROIX : l'élément est nécessaire à la perception du tout; letout est nécessaire à la perception de l'élément..
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