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Expliquez et commentez cette formule de Jules Lagneau : « L'espace est la marque de notre puissance, le temps, celle de notre impuissance. » ?

Publié le 16/06/2009

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INTRODUCTION. - L'espace et le temps encadrent notre existence et par là même la limitent. Aussi situons-nous Dieu hors de l'espace et hors du temps, caractéristiques de la finitude. Il n'en est pas moins vrai que c'est grâce à notre temporalité et à notre spatialité que nous sommes ce que nous sommes, limités sans doute, mais néanmoins réels. La question peut toutefois se poser de la valeur respective de l'espace et du temps. Des deux, quel est celui qui nous limite le plus, quel est celui qui nous laisse le plus d'être ? A cette question Jules LAGNEAU a fait la réponse suivante : « L'espace est la marque de notre puissance, le temps, celle de notre impuissance. «, Nous tâcherons d'abord d'expliquer cette assertion et tâchant dans les vues de l'auteur. Nous verrons ensuite s'il n'y a pas quelque réserve à faire.

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« L'homme devant l'espace. — Élément essentiel des choses, l'espace se présente à nous comme une chose que l'on s'approprie à la manière d'une richesse et qui, par là même, est marque de puissance.

Une propriété, au sensconcret du mot, c'est avant tout une certaine étendue de territoire.

Nous pouvons faire une remarque analogue àpropos de la patrie qui implique une patrie terra, un espace de terre déterminé; on peut rappeler aussi les requêtesdes peuples à l'étroit dans leurs frontières et qui réclament leur espace vital.

Sur l'échiquier politique comme dans lahiérarchie sociale, les « grands » sont en définitive ceux qui possèdent de grands espaces.

Là est la source de leurpuissance.Dans l'espace, en effet, on se meut librement et celui qui en dispose peut transformer à son avantage tout ce qu'ilcontient.A l'inflexible irréversibilité du temps s'oppose la possibilité d'inversion indéfinie de nos déplacements dans l'espace :m'étant rendu de Paris à Strasbourg, je puis revenir à Paris ou prendre la direction de mon choix.

Si le voyage aucentre de la terre ou dans le monde des astres offre plus de difficultés, celles-ci ne viennent pas de l'espace qui estpartout le même.

Nulle part je ne le rencontre devant moi comme un obstacle.

Il s'offre toujours comme le lieu d'uneaction possible, rappel de ma puissance.On peut donc le reconnaître : LAGNEAU était fondé à dire que « l'espace est la marque de notre puissance, le tempscelle de notre impuissance ». II.

— COMMENTAIRE. Après notre effort systématique pour entrer en quelque sorte dans la pensée de LAGNEAU et la mieux comprendre, ilconvient de nous en dégager pour observer si son point de vue est le seul possible. Essai d'antithèse. Pour cela, voyons si nous ne pourrions pas prendre l'exact contre.

pied de ce qu'il affirme.L'espace, marque de notre impuissance.

— Il semble bien que les vues pessimistes sur le temps qui, pour les vivants,aboutit à la mort, sont dues à l'action de la philosophie existentielle.

Si le poète et le bourgeois cultivé qui, dans leurdésoeuvrement, se replient sur eux-mêmes, butent à l'obstacle du temps, il n'en est pas de même de la masse destravailleurs dont la peine est due principalement à l'espace.

Peine physique qui résulte des déplacements de diversessortes : marches épuisantes, transport de matériel...

Peine morale de l'éloignement des siens.

Par l'espace, noussommes en quelque sorte attachés à une petite région d'où il nous est difficile de nous écarter et dans laquelle noussommes pratiquement comme prisonniers.

Les techniques modernes ont remporté de grandes victoires sur l'espace :le cercle de nos possibilités s'est élargi.

Mais il reste toujours devant nous ces « espaces infinis » qui effrayaientPASCAL et devant lesquels nous sentons notre ridicule petitesse.Qu'on ne nous objecte pas que l'infinité du temps donnerait lieu à des réflexions analogues.

En effet, si le passé etl'avenir se donnent comme infinis, ils n'existent pas à la manière de l'espace, puisque le passé n'est plus et quel'avenir n'est pas encore.

On ne saurait donc se heurter à eux et leur irréalité même nous donne bien des possibilitésà leur égard. Le temps, marque de notre puissance. — Nous pouvons plus que le caillou qui pave la route et même que le chêne dont nous contemplons la haute cime.

Pourquoi ? Parce que, au lieu que la chose matérielle n'est, suivant lacélèbre expression de LEIBNIZ, qu'une mens mumentanea (un esprit ou une pensée qui n'existe que dans l'instant),nous sommes un esprit qui dure, qui se prolonge dans le temps.Nous avons supposé, pour mieux comprendre l'affirmation de LAGNEAU, que nous n'existions et n'agissions qu'auprésent.

A l'appui de cette affirmation on peut apporter des raisonnements subtils : elle est contraire aux faits quinous montrent au contraire que nous utilisons constamment le passé et l'avenir, et que de là vient notre puissance. 1.

Le passé fut ce qu'il fut et nous ne pouvons pas le changer en lui-même.

Mais cela dit, combien est malléablel'idée que nous nous en faisons et combien précieuse la connaissance que nous en avons!Le même passé objectif est bien différent suivant les perspectives de celui qui l'évoque.

Dans l'image que nous nousfaisons de notre passé personnel lui-même, il se produit des changements plus radicaux que ceux qui résultent d'undépaysement sur la planète.

Le passé n'est donc pas pour nous ce livre achevé d'imprimer auquel on ne sauraitajouter une lettre.

C'est un livre constamment récrit, et il reste toujours au pouvoir de chacun de donner unenouvelle édition de son histoire.Ces rééditions, il est vrai, se font d'ordinaire sans que nous l'ayons décidé, sous l'influence des sentiments quidominent en nous, en sorte que ce n'est pas par là que se manifeste notre vraie puissance.

Celle-ci résulte de lapossibilité d'utiliser pour l'action notre connaissance du passé; elle est faite d'expérience et de savoir.

Or,l'expérience et le savoir qui font, aujourd'hui plus que jamais, la valeur de ces techniciens qui organisent la planèteen attendant d'aller coloniser au-delà, supposent l'existence temporelle qui est l'apanage de l'homme et la capacitéde survoler le temps. 2.

Ce survol s'étend aussi à l'avenir qui se présente comme une suite du passé.

Grâce à ce rapport, lesconstructions de l'esprit relatives à des époques encore éloignées ne sont pas chimériques.

Elles préparent lesconstructions réelles et le travail dans le présent n'est efficace que grâce à une longue élaboration antérieure.Quelle serait notre impuissance si nous étions réduits au présent ! 3.

Enfin, le présent lui-même qu'une analyse mathématique réduit à une ligne dépourvue de toute épaisseur, ne seréduit pas à l'instant : ce n'est pas en juxtaposant des unités de cet ordre que pourrait se constituer le temps.

Telqu'il se donne à nous, le présent lui-même est une partie du temps; il a une certaine durée.

C'est précisément grâce. »

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