Expliquez à l'aide d'exemples précis cette pensée de Julien Green : « Un livre est une fenêtre par laquelle on s'évade ». ?
Publié le 17/06/2009
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INTRODUCTION. - Dès que son gardien a verrouillé la porte, après un rapide coup d'œil à sa cellule, le prisonnier se dirige vers la fenêtre on vers l'ouverture qui en tient lieu. C'est par là en effet qu'il songerait tout d'abord, s'il avait des idées d'évasion, à retrouver la liberté. De plus, serait-il résigné à subir sa peine jusqu'au bout, celle-ci lui paraîtrait bien moins longue si sa fenêtre s'ouvrait sur la campagne, sur la rue ou même sur une cour intérieure où il suivrait le va-et-vient du personnel de la prison et des détenus. Cette remarque nous suggère qu'il est diverses façons de s'évader et nous prépare à mieux comprendre ce mot de Julien GREEN : « Un livre est une fenêtre par laquelle on s'évade. « (Journal). I. -- IL Y A LIVRE ET LIVRE L'écolier éprouve souvent beaucoup de peine à se fixer sur le manuel dans lequel il apprend sa leçon. Pour lui, ce livre n'est pas une fenêtre par laquelle il peut s'évader et la salle d'étude avec ses pupitres bondés de livres scolaires ferait plutôt figure de prison : l'évasion, ce sont d'abord les vacances durant lesquelles ces livres sont remisés, le retour chez soi au soir d'une journée de classes, les intermèdes des récréations; ensuite les moments de rêverie durant lesquels il bâtit des châteaux en Espagne. Il lui arrive cependant, lorsqu'il sait bien lire, de s'évader dans des livres que, par opposition aux livres de classe, il appelle des « livres de lecture «; récits d'aventures et romans policiers qui fournissent à l'imagination des jeunes adolescents une nourriture excitante et que bien des adultes ne méprisent pas; puis, romans d'amour qui font pénétrer dans les mystères du coeur humain. Les contemporains lisent surtout des romans. Aussi, pour atteindre la masse, les idées revêtent-elles fréquemment la forme romanesque.
«
forestière qui serpente vers les bois de sapin, ou lorsque j'observe les gestes de deux commères qui jasent sur lepas de leur porte, je ne me sens plus enfermé dans les murs de ma chambre : dans une certaine mesure, je suis là-haut, sur la montagne ou là-bas, sur la place.
Je me suis évadé, non pas physiquement, mais moralement.Ces évasions morales se présentent à des degrés bien différents.
D'ordinaire l'homme occupé se contente d'unregard qui, de temps en temps, lui sert de détente.
Mais parfois aussi, lorsque sa besogne ne l'intéresse pas, ils'attarde à observer les choses et les gens.
Il est enfin des personnes qui, assises à leur fenêtre devant leurcorbeille ou ouvrage, ne détournent guère le regard du va-et-vient de la rue et semblent ne chercher dans letricotage ou la couture qu'une contenance.
Par la lecture.
Inutile de le dire, un livre ne peut être l'instrument que d'une évasion morale; mais il ne faut pas généraliser et ilconvient de distinguer diverses façons de s'évader moralement par la lecture.L'expérience nous le montre, dans certains cas, la lecture n'aboutit qu'à des évasions manquées.
Par exemple, celuiqui, l'horizon bouché par un grand deuil, s'attarde avec complaisance à des récits mélancoliques, ne verra pas le ciels'éclaircir : au contraire, cette occupation alimentera le mal qui le mine.
Il arrive même qu'ayant entrepris unelecture l'esprit dégagé, nous sommes « captivés », non pas au sens usuel mais au sens étymologique, c'est-à-direréduits à une sorte d'esclavage, obsédés par ce que nous lisons : certains romans d'intrigue produisent souvent ceteffet en sorte que l'évasion consiste plutôt à revenir à la vie réelle ou à ses études.
Mais certains livres sont aussil'instrument d'évasions réussies.
L'obsession qui s'empare du lecteur d'aventures dramatiques n'est pas toujoursnéfaste : elle peut lui permettre d'écarter un souvenir trop déprimant.
Toute lecture intéressante repose l'espritqu'un effort constant risquerait de nouer.Pour s'en tenir aux livres dont on peut espérer la détente nécessaire, il faut de l'énergie.
S'évader n'est pasnécessairement l'équivalent de fuir et il est des évasions courageuses : les prisonniers de guerre nous en fournissentun exemple.
Il faut aussi, parfois, un certain courage pour s'évader dans la lecture : d'abord pour s'arracher àl'envoûtement de l'idée fixe ou à l'inertie dans laquelle jette une profonde déception et prendre un livre; ensuite pourse libérer des lectures faciles et s'attaquer à des ouvrages plus sérieux.
Mais les livres sont plus souvent le moyend'évasions paresseuses : que de fois n'avons-nous pas sacrifié le devoir scolaire à la lecture de quelque romanenfantin! Bien plus, c'est souvent par défaut de courage que, préparant une dissertation, nous nous attardons àchercher dans les livres des idées qu'il serait bien préférable de trouver par nous-mêmes en réfléchissant sur laquestion posée.
Comme le dit le P.
SERTILLANGES, il est une « ivresse de lecture qui est un alibi ».On s'évade de la médiocrité vers le mieux : le livre permet de mener, en marge d'une vie réelle dont la banalitéaccable, une existence imaginaire qui compense et peut communiquer à la vie réelle quelque chose de sa ferveur.Mais souvent aussi l'évasion s'effectue en sens contraire, vers le pire : la destinée de la masse des hommes estremplie de ces devoirs ennuyeux et faciles » dont l'accomplissement fidèle est le meilleur moyen d'ascension morale;malheureusement certains éprouvent le besoin d'oublier les mesquines préoccupations quotidiennes dans des romansqui satisfont leurs instincts les plus bas.La psychologie de l'évasion est, on le voit, polymorphe : le héros d'un roman policier rêve surtout de narguer par unbon tour la police avec laquelle, avant sa capture, il a joué longtemps à cache-cache; un général GIRAUD, dans laforteresse où il est interné, ne songe qu'aux moyens de reprendre le combat; le pensionnaire fait une fugue pourretrouver sa maman...
De même le but auquel, plus ou moins consciemment, on vise en prenant un livre, diffèreavec chacun.
Il est des liseurs qui, semblables au prisonnier, s'évadent, dans l'espoir de ne jamais revenir, c'est-à-dire de ne pas retomber dans l'état qu'ils fuient en recourant aux livres.
Ainsi celui que ronge le souvenir de la perted'une personne très chère, cherche parfois l'oubli dans la littérature romanesque ou dans des ouvrages quil'intéressent : c'est à ce genre d'évasion que se rapporte ce mot célèbre de MONTESQUIEU : « Il n'est pas de peinequ'une heure de lecture ne m'ait ôté.
» De même, pour vaincre l'ennui des camps, les prisonniers de guerredemandaient des livres dans lesquels ils trouvaient une évasion morale.
Mais d'autres s'évadent avec l'idée derevenir plus dispos à leur tâche : telle est l'évasion des vacances ou des récréations et, en ce qui concerne leslectures, celle que l'homme absorbé par les soucis de sa profession, demande le soir à un roman où à des études quile recréent.
CONCLUSION. - On ne peut donc pas dire que le livre, tout livre, soit une fenêtre par où l'on s'évade.
C'est du livre, au contraire, que, bien souvent, je cherche à m'évader dans le monde du rêve, dans le jeu ou dans les ruesqui grouillent.
Sans doute, il m'arrive aussi de m'évader d'un livre dans un autre; mais lorsque je travaille la chimie,ce n'est guère un ouvrage de physique qui me procure l'évasion dont j'éprouve bientôt le besoin; je prends plutôt unroman et un roman d'aventures de préférence à un roman d'idées.Aussi bien Julien GREEN emploie-t-il l'article indéfini, un livre et par la laisse indéterminé le genre d'ouvrage quiprocure l'évasion cherchée.
Ce genre dépend du tempérament de chacun et de son état d'âme actuel.
Certainstrouvent plus divertissante la lecture d'un recueil de récréations mathématiques que celle d'un roman policier etd'autres s'évadent en revenant à une étude qui est leur violon d'Ingres.L'affirmation de Julien GREEN, exactement explicitée, pourrait donc se traduire ainsi : un livre qui nous distrait opèreà la façon d'une fenêtre par laquelle on s'évade..
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