Explication de texte: Rousseau, Lettre à C. de Beaumont
Publié le 09/09/2018
Extrait du document
Expliquer le texte suivant :
Vous supposez [ ... ] que l’homme apporte avec lui sa raison toute formée, et qu'il ne s’agit que de la mettre en œuvre. Or cela n’est pas vrai ; car l’une des acquisitions de l’homme, et même des plus lentes, est la raison. L’homme apprend à voir des yeux de l'esprit ainsi que des yeux du corps ; mais le premier apprentissage est bien plus long que l’autre, parce que les rapports des objets intellectuels ne se mesurant pas comme l’étendue, ne se trouvent que par estimation, et que nos premiers besoins, nos besoins physiques, ne nous rendent pas l’examen de ces mêmes objets si intéressant. Il faut apprendre à voir deux objets à la fois ; il faut apprendre à les comparer entre eux ; il faut apprendre à comparer les objets en grand nombre, à remonter par degrés aux causes, à les suivre dans leurs effets ; il faut avoir combiné des infinités de rapports pour acquérir des idées de convenance, de proportion, d’harmonie et d'ordre. L’homme qui, privé du secours de ses semblables et sans cesse occupé de pourvoir à ses besoins, est réduit en toute chose à la seule marche de ses propres idées, fait un progrès bien lent de ce côté-là : il vieillit et meurt avant d’être sorti de l’enfance de la raison.
Rousseau, Lettre à C. de Beaumont
Si C. de Beaumont suppose « que l'homme apporte avec lui sa raison toute formée », il n'est pas seul dans ce cas. La raison, dans la tradition de la philosophie, est en effet affirmée comme une fonction présente dans l'homme par nature. Ni Platon ni Aristote ni leurs successeurs antiques ne s'interrogent sur son éventuelle formation.Tout au plus considèrent-ils qu'elle ne devient totalement performante qu'après une certaine maturation. Il suffit de la laisser croître, puis de l'orienter convenablement.
On se préoccupe davantage de son usage correct (comme le fait Aristote avec son Organon) que d'une interrogation sur son
A. Elle est aussi nécessaire que celle de la vision
Puisqu'il est nécessaire (tout le monde peut le constater) d'apprendre à voir << des yeux du corps >>, il doit être facile de comprendre qu'un apprentissage des << yeux de l'esprit >> est également obligatoire.
Et de même que la vision d'un nouveau-né est extrêmement faible, ne se précisant que grâce à sa maturation physiologique et à son expérience, on doit admettre que son esprit, initialement dépourvu d'idées, devra
évoluer par apprentissage. L'hypothèse d'un esprit tout formé est d'autant moins vraisemblable qu'elle attribue à l'esprit une plénitude originelle dont le corps est privé, et que l'on voit mal ce qui justifierait ce privilège de l'esprit sur le corps : s'il est possible de concevoir un corps sans esprit, on voit mal ce que pourrait être un esprit sans corps, sinon Dieu. Or l'homme est, non pas Dieu, mais bien sa créature.
«
Les
clés pour réussir
Bien comprendr e le texte
Plan du texte
• Les deux premières phrases posent imméd iatement l'op position entre
les deux thèses.
• Comparaison entre les « yeux de l'esprit » et les « yeux du corps >>, et
ins istance sur le rôle des besoins premier s (physiques) qui ne favorisent
pas l'appar ition de la raison.
• Multipl ication des expériences nécessaires à l'app arition de noti ons
rat ion nelles fondamentales (« convenanc e, proportion, harmon ie, ordre >>).
• Ta nt que l'homm e reste seul, il se préoccupe en prio rité de ses pre
mi ers besoi ns, et sa raison reste dans l'en fance.
Analyse du texte
Thèse soutenue par l'aut eur : au contra ire des théoriciens qui consi
dèrent que la raison est innée dans l'hom me, Roussea u affirme qu'elle
résulte d'une lente acquisition.
• Opposition entre deux conceptions de l'homme : l'une (de trad ition
chré tienne ou cartési enne) admet qu'il dépend d'une définition essen
tielle , do nt la raison fait partie; l'a utre (celle de Rouss eau) pense qu'il se
construit à travers son histoire.
• Po ur acq uérir sa raison, l'homm e a beso in de « ses sembla bles>>, ce qui
imp lique le passa ge historiq ue d'un état de solitude initial à un état social.
Utiliser ses connaissances
Notions concernées : la raison, l'histoire, la société.
• !:inné ité de la raison est sup posée aussi bien par le christ ianisme que
par Desca rtes : Rousseau est ici anticar tésien autant que répréhensible
au plan théologique.
• Rapp elez l'histoire de l'hum anité telle que la propose Rousseau dans
le Discours sur l'origine de l'inéga lité.
• !:Émile montr e de son côté qu'il existe bien un lent dév elopp ement
des facultés chez l'enfant.
Les pièges à éviter
• Inutile de réciter tout ce que vous pouvez savoir sur Rousseau (hors
sujet) : n'utilis ez que ce qui concerne le ca ractère acquis de la raison et
le déve loppement de l'homme dans son histoire.
• N'oubliez pas de préciser à quell es tradi tions peut appar tenir C.
de
Beaumont : quels philosophe s adme ttent l'inn éité de la raison ?
• La raison ici évoquée n'est pas (ou pas encore) celle qui développe
un savoir scientifique : inu tile de reco urir à Bac helar d po ur en préciser
l'év olution..
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