Existe-t-il des vérités morales universelles ?
Publié le 17/02/2004
Extrait du document
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B.
— Il va de soi que, dans une telle conception, la moindre variation dans les jugements de la conscience ou lesprescriptions des règles morales constitue une fissure dans le bloc rigide de la moralité et peut être exploité contreelle.
"Sur quoi [le souverain] la fondera-t-il,l'économie du monde qu'il veut gouverner ?Sera-ce sur le caprice de chaque particulier ?Quelle confusion ! Sera-ce sur la justice ? Ill'ignore.Certainement, s'il la connaissait, il n'aurait pasétabli cette maxime, la plus générale de toutescelles qui sont parmi les hommes, que chacunsuive les moeurs de son pays ; l'éclat de lavéritable équité qui aurait assujetti tous lespeuples, et les législateurs n'auraient pas prispour modèle, au lieu de cette justiceconstante, les fantaisies et les caprices desPerses et Allemands.
On la verrait plantée partous les États du monde et dans tous lestemps, au lieu qu'on ne voit rien de juste oud'injuste qui ne change de qualité en changeantde climat [...].Plaisante justice qu'une rivière borne ! Véritéau-deçà des Pyrénées, erreur au-delà.De cette confusion arrive que l'un dit quel'essence de la justice est l'autorité du législateur, l'autre la commodité du souverain,l'autre la coutume présente ; et c'est le plus sûr : rien, suivant la seule raison, n'estjuste de soi ; tout branle avec le temps.
La coutume fait toute l'équité, par cetteseule raison qu'elle est reçue ; c'est le fondement mystique de son autorité.
Qui laramène à son principe, l'anéantit." Blaise Pascal, Pensées (1670).
Ce que défend ce texte:
Ce texte de Pascal s'ouvre sur une question qui s'adresse à tout gouvernant d'unÉtat : sur quel principe celui-ci doit-il fonder l'organisation (« l'économie ») de lasociété qu'il veut gouverner ?S'agit-il de fonder le droit sur « le caprice de chaque particulier» ? Pascal rejettecette solution qui ne peut aboutir qu'à une confusion, celle qui résulte des désirschangeants et contradictoires de chacun, où nul gouvernement ne peut trouver sacohérence.S'agit-il de le fonder sur l'idée de la justice et de régler les lois sur ses exigences ?Or, pour Pascal, les princes ignorent ce qu'est la justice universelle, et c'est cettethèse qu'il va tenter de démontrer dans ce texte.S'ils connaissaient une telle justice, en effet, ils n'auraient pas établi cette règle, « laplus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes », qui consiste à affirmerque « chacun suive les moeurs de son pays » et la conception de la justice que lestraditions développent chacune en particulier.
Descartes lui-même, dans le Discoursde la méthode, reprendra à son compte une telle règle, lorsqu'il adoptera une «morale provisoire » pour accompagner l'épreuve du doute : suivre les moeurs de sonpays et les valeurs qu'elles établissent.Une telle règle, si communément admise, prouve que nul n'a pu déterminer la justiceuniverselle, celle qui se serait imposée à tous les peuples avec l'évidence de la vérité.Si une telle vérité existait, elle aurait soumis tous les peuples, non par la contraintequ'imposent les guerres, mais par la seule force de la reconnaissance « de la véritableéquité ».
Celle-ci se serait imposée d'elle-même, enracinée (« plantée ») dans lecoeur des hommes et dans leurs États, en tout lieu et en tout temps.Or, l'histoire nous montre une « relativité » des conceptions du juste et de l'injustequi parle d'elle-même.
Ce qui est juste ici est considéré comme blâmable là etréciproquement.
Ce qui est le bien en France (au-deçà des Pyrénées) est une erreurou un vice en Espagne (au-delà des Pyrénées).
Nous ne pouvons que nous moqueralors d'une justice qui « change de qualité en changeant de climat », justice qui doitêtre davantage objet de plaisanterie (« plaisante justice ») que de respect.
Ce à quoi s'oppose cet extrait:.
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