Excès et limites de la raison
Publié le 05/01/2020
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Excès et limites de la raison
Qu’est-ce qui vient limiter les pouvoirs de la raison ? Qu'est-ce qui lui résiste, s'oppose à elle, la conteste ou même la détruit? La passion, l'inconscient, la foi, le surnaturel, la folie? Concentrons-nous sur cette dernière forme de déraison, peut-être nous permettra-t-elle d'aborder les autres.
De l'Antiquité à la Renaissance, la folie a pu être considérée comme une manifestation divine, en tous cas comme l'expression d'une révélation inaccessible à la raison. Platon ironise plus d'une fois sur l'incapacité où est la raison discursive de rendre raison d'elle-même, et ne semble pas dédaigner le secours d'une inspiration divine. Le christianisme exalte la « folie de la croix » totalement étrangère à la sagesse du monde. « Alors, dit Saint Paul, que les Juifs réclament les signes du Messie, et que le monde grec recherche une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les peuples païens » (Corinthiens, 1, 22-23). Erasme composera dans ce sens un Éloge de la folie (1509); concluant, avec Eschyle, que « souvent même un fou parle à propos ».
L'avènement du rationalisme classique s'accompagne, d'après Foucault, d'un grand renfermement. La folie est alors présentée comme une menace, traitée comme une déficience : elle devient déraison, elle n'est tout au plus « que le vain simulacre de la raison ». « Désormais la folie est exilée. Si l'homme peut toujours être fou, la pensée, comme exercice de souveraineté d'un sujet qui se met en devoir de percevoir le vrai, ne peut pas être insensée. Une ligne de partage est tracée qui va bientôt rendre impossible l'expérience si familière à la Renaissance d'une Raison déraisonnable, d'une raisonnable déraison » (Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972, p. 202). Seul peut-être Pascal se montrera sensible à l'imposture d'une raison qui voudrait tout régir. La folie, ou au moins la déraison, appartiennent à l'homme. Prétendre changer sa condition,
Pascal, la raison ne surmonte totalement l'imagination, mais le contraire est ordinaire » (Pensées, 44). « L'imagination dispose de tout » : elle produit, amplifie ou suspend les impressions immédiates, nous remplit de frayeur ou nous comble de plaisir. La raison, au contraire, ne dispense ni l'un ni l'autre : « La raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux choses ». Ainsi s'expliquent les réactions irrationnelles que présente si souvent le comportement humain : le vertige malgré l'assurance de ne pas tomber, la peur d'animaux inoffensifs pour l'homme, la perte de contrôle de soi en présence de certains bruits (écrasement d'un charbon, dit Pascal : nous parlerions plutôt du crissement de la craie ou des craquements d'articulations osseuses). Les raisonnements pèsent bien peu dans de telles circonstances.
De cette manière, l'imagination rallume à tout moment « la guerre qui est entre les sens et la raison ». Elle introduit une disproportion entre les impressions des sens et leurs causes.
Mais Pascal ne se contente pas d'une critique de l'imagination. Il en tire Une sagesse pratique : « Qui voudrait ne suivre que la raison serait fou prouvé ». L'homme n'est que rarement conduit par la seule raison. Notamment dans ses relations avec le pouvoir politique : « Il faudrait avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le grand seigneur environné dans son superbe sérail de quarante mille janissaires ». Il faut donc compter avec les prestiges de l'imagination. Et au besoin, savoir les utiliser. Contre un rationalisme trop sûr de soi, Pascal prône un bon usage des puissances trompeuses de l'imagination.
«
c'est peut-être lui faitre courir un risque plus grand encore :
« les hommes sont si nécessairement fous que ce serait
être fou par un autre tour de folie de n'être pas fou » (Pen
sées, Lafuma, 412).
« L'homme, dit encore Pascal, n'agit
point par la raison qui fait son être » (id., 491 ).
« L'homme
n'est ni ange ni bête [ni pure raison ni pur instinct] et le
malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête».
Là
encore, trop de raison tue la raison.
L'.histoire ne l'a que
trop montré : les tentatives de rationalisation intégrale du
comportement humain, réduit à sa fonction d'agent écono
mique de production, peuvent se révéler des entreprises
de destruction de l'humanité.
C'est ainsi que la planifica
tion exhaustive des besoins et des ressources écono
miques de l'homme en Union soviétique (1917-1990)
n'aura pas été moins catastrophique que l'exaltation irra
tionnelle de la bête de proie, membre de la « race supé
rieure», dans l'Allemagne nazie (1933-1945).
En sornme, l'idolâtrie de la raison est tout aussi désas
treuse que son mépris.
Anatole France, peu suspect d'irra
tionalisme, écrivait dans ce sens : « J'ai l'amour de la rai
son, je n'en ai pas le fanatisme; la raison nous guide et
nous éclaire; quand vous en aurez fait une divinité, elle
vous aveuglera et vous persuadera des crimes » (Les dieux
ont soif, p.
87).
Rien de plus périlleux, par conséquent, que
d'ériger la raison humaine en juge infaillible et absolu de
toutes choses.
C'est peut-être pourquoi le Prologue de
/'Évangile de Saint-Jean : « Au commencement était le
Logos » ne place pas la raison humaine au principe de
toutes choses, mais une raison divine, au dessein de
laquelle chacun doit pouvoir librement répondre.
Quant à
savoir si un Verbe divin peut s'incarner dans un visage
d'homme, c'est plutôt l'affaire de témoins qui prétendent
l'avoir rencontré, que d'une déduction de la raison.
Même
si l'on peut toujours raisonner, comme le fait Pascal, sur la
probabilité des prophéties et des témoignages..
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