ETUDE TEXTE ROUSSEAU: Je crois (…) qu’en devenant homme civil j’ai contracté une dette immense avec le genre humain
Publié le 01/11/2023
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«
ETUDE TEXTE ROUSSEAU
« Je crois (…) qu’en devenant homme civil j’ai contracté une dette immense avec le genre humain,
que ma vie et toutes ses commodités que je tiens de lui doivent être consacrées à son service ; je
vois de plus que si je puis me procurer une sorte de bien-être exclusif et quelques plaisirs douteux
en sacrifiant tout à moi seul, je ne pourrais m’assurer un état de paix et une félicité durable que
dans une société bien ordonnée ; je vois que si je ne respecte pas en autrui les droits que je veux
qu’on respecte en moi, je me rends le commun ennemi de tous et n’ai d’autre sécurité, dans l’inique
possession de mes biens, que celle des brigands qui dévorent dans leurs cavernes les dépouilles des
infortunés.
Ce devoir sacré que la raison m’oblige à reconnaître n’est point proprement un devoir
de particulier à particulier, mais il est général et commun comme le droit qui me l’impose.
Car les
individus à qui je dois la vie, et ceux qui m’ont fourni le nécessaire, et ceux qui ont cultivé mon
âme, et ceux qui m’ont communiqué leurs talents peuvent n’être plus ; mais les lois qui protégèrent
mon enfance ne meurent point ; les bonnes mœurs dont j’ai reçu l’heureuse habitude, les secours
que j’ai trouvés prêts au besoin, la liberté civile dont j’ai joui, tous les biens que j’ai acquis, tous
les plaisirs que j’ai goûtés, je les dois à cette police universelle qui dirige les soins publics à
l’avantage de tous les hommes, qui prévoyait mes besoins avant ma naissance, et qui fera respecter
mes cendres après ma mort.
Ainsi mes bienfaiteurs peuvent mourir, mais, tant qu’il y a des hommes,
je suis obligé de rendre à l’humanité les bienfaits que j’ai reçus d’elle.
» Jean-Jacques Rousseau,
Lettre sur vertu (1757), Mille et une nuits, 2012, pages 19-20
À quelques très rares exceptions près, et qui confirment la règle, tous les hommes vivent en
société politique, c’est-à-dire un regroupement d’individus dans un territoire donné, obéissant à des
règles et des lois qu’ils se sont donnés et partageant une culture commune.
Les obligations qu’ils se
donnent pourraient, en apparence, leur coûter, être un obstacle à leur liberté ou leur bonheur.
Cependant, il n’en est rien, tout au contraire.
Pourquoi serions-nous tenus d’obéir aux lois et de
respecter les droits d’autrui ? Dans le texte ici proposé à l’explication, Rousseau soutient justement
la thèse selon laquelle c’est par le respect de la loi et le devoir qu’il implique vis à vis d’autrui en
société que seuls les individus peuvent connaître, paix, bonheur et liberté.
À cet égard, l’homme
civil a donc contracté une « dette immense » vis à vis de ses congénères avec lesquels il fait société.
Les étapes du raisonnement de Rousseau et de sa démonstration tiennent en trois moments.
Dans un
premier temps (l.1-8), il va montrer comment la renonciation à la liberté naturelle et à l’intérêt
personnel par l’entrée en société est une nécessité pour qui souhaite un bonheur stable et assuré.
Ensuite (l.8-10), il est montré que le respect des lois relève d’un devoir sacré et universel.
Pour finir,
Rousseau rend hommage à ceux qui l’ont précédé et fait une fois encore l’apologie de la réciprocité
morale, des lois et de la société qui les rend possible.
« Je crois donc qu’en devenant homme civil j’ai contracté une dette immense avec le genre
humain… ».
D’emblée, Rousseau souligne une reconnaissance envers le genre humain et la société
qui peut, au premier abord, étonner.
Autant, chacun d’entre nous, nous sommes susceptibles
d’éprouver de la reconnaissance pour quelques individus en particulier, autant, il ne nous apparaît
pas nettement que nous devrions quoique ce soit au genre humain tout entier ! Pour comprendre ce
que veut signifier Rousseau, il faut se demander dans un premier temps ce que signifie devenir «
homme civil ».
D’abord, si on le devient, cela implique qu’on ne l’a pas toujours été.
Si l’enfant
devient homme, il est une enfance de l’humanité qui a précédé l’entrée en société civile : l’état de
nature.
Cette hypothèse largement répandue chez les philosophes politiques des XVIIème et
XVIIIème siècle, et partagée par Rousseau, implique qu’avant de « devenir homme civil », c’est-àdire d’entrer en société, les hommes ont d’abord vécu dans la nature, en n’étant soumis qu’aux lois
naturelles et y jouissant d’une liberté naturelle et totale.
Le passage à l’état civil est devenu
nécessaire au fil du temps et des événements, et il apparaît dans ce texte qu’il a sans doute été un
fait heureux pour l’homme.
En devenant citoyen, c’est-à-dire en s’associant avec les autres (le «
genre humain »), l’homme s’est engagé (pacte/contrat social) en même temps que tous à respecter
les règles de la cité.
À cet égard, cet engagement vaut « dette », une « dette immense » même mais
que Rousseau ne semble pas regretter d’avoir à acquitter, tout au contraire.
Qu’est-ce qui le justifie
? Il est d’abord question des « commodités » que la société procure à l’homme, lesquelles étaient
sans doute absentes de l’état de nature.
Quelles seraient-elles ? C’est ce que la suite du texte
s’efforce de montrer en établissant la distinction entre une vie hors de la société civile et de ses
règles et une vie de citoyen.
Ainsi, « je vois (…) que si je puis me procurer une sorte de bien-être
exclusif et quelques plaisirs douteux en sacrifiant tout à moi seul, je ne pourrais m’assurer un état de
paix et une félicité durable que dans une société bien ordonnée » écrit l’auteur.
Cela signifie ici
qu’un homme qui n’écouterait que son instinct égoïste de recherche de plaisir et de satisfaction, en
somme un être qui ne laisserait parler que ses pulsions naturelles et s’abandonnerait à son désir,
serait incapable de s’insérer en société ni de profiter de ses « commodités » : « un état de paix et
une félicité durable ».
En effet, celui qui n’écoute que lui et parvient à des satisfactions immédiates
mais dérisoires puisqu’elles ne durent pas, celui-ci ne respecte pas ceux avec qui il s’est pourtant
engagé en entrant en société, devient un obstacle au bon fonctionnement du groupe ; il le
désordonne en même temps qu’il ne se soumet pas à ses règles.
Hors-la-loi, désengagé du contrat
social qui le lie aux autres par ses agissements, il ne saurait connaître, au fond, que le conflit
(contraire de la paix) et le malheur qui lui est associé (contraire de la félicité durable).
Il risque non
seulement son bonheur et sa liberté, mais également l’exclusion du groupe, le rejet hors de la
société.
Rousseau va alors approfondir son propos : « je vois que si je ne respecte pas en autrui les
droits que je veux qu’on respecte en moi, je me rends le commun ennemi de tous et n’ai d’autre
sécurité, dans l’inique possession de mes biens, que celle des brigands qui dévorent dans leurs
cavernes les dépouilles des infortunés ».
Devenir « homme civil », c’est donc s’obliger à respecter
autrui comme un égal.
Ce que j’exige pour moi, je dois aussi l’exiger pour autrui, donc respecter les
mêmes droits en autrui pourrait-on dire à la manière de Kant.
Ne pas s’y engager, ne pas respecter
cet engagement, c’est n’être rien d’autre qu’un « brigand » dans une « caverne ».
Cette dernière
peut symboliser l’écart par rapport au monde civil (l’ermite....
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