Etude de texte: Aristote, Ethique à Nicomaque, V, 8, 1133 a 15-30 (philo)
Publié le 02/09/2009
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Car ce n'est pas entre deux médecins que se forme une communauté d'intérêts, mais entre un médecin et un agriculteur, c'est-à-dire, plus généralement, entre des personnes différentes et qui ne sont pas égales, mais qu'il faut mettre sur pied d'égalité.
C'est pourquoi il faut que soient en quelque façon commensurables toutes les choses qui s'échangent. Et c'est à cette fin qu'a été introduite la monnaie, qui devient une sorte de moyen terme, puisqu'elle constitue la mesure de toutes choses, et par suite l'excès et le défaut, par exemple combien de chaussures équivalent à une maison ou à de la nourriture.
Il doit donc y avoir entre un architecte et un cordonnier le même rapport qu'entre un nombre déterminé de chaussures et une maison( ou telle quantité de nourriture), faute de quoi il n'y aura ni échange, ni communauté d'intérêts ; et ce rapport ne pourra être établi que si entre les biens à échanger il existe une certaine égalité. Il est donc indispendable que tous les biens soient mesurés au moyen d'un unique étalon, comme nous l'avons dit plus haut. Et cet étalon n'est autre, en réalité, que le besoin, qui est le lien universel( car si les hommes n'avaient besoin de rien, ou si leurs besoins n'étaient pas pareils, il n'y aurait plus d'échange du tout, ou les échanges seraient différents) ; mais la monnaie est devenue une sorte de substitut du besoin et cela par convention, et c'est d'ailleurs pour cette raison que la monnaie reçoit le nom de « monnaie «[ en grec : nomisma], parce qu'elle existe non pas par nature, mais en vertu de la loi[ nomos], et qu'il est en notre pouvoir de la changer et de la rendre inutilisable.
Aristote, Ethique à Nicomaque, V, 8, 1133 a 15-30
Nous vivons dans un monde où l'argent est une donnée première et fondamentale. Il nous est impossible, nous semble-t-il, aujourd'hui d'imaginer pouvoir nous en passer mais son origine et la compréhension de son rôle dans les échanges où il intervient nous échappent. Il représente aujourd'hui en grande partie des conditions de vie plus ou moins favorables. Nietzsche dans le Gai savoir remarquait déjà que l'argent devenait l'un des principales aiguillons de notre existence, "Dans les pays de la civilisation, presque tous les hommes se ressemblent maintenant en ceci qu'ils cherchent du travail à cause du salaire." Le travail est donc intimement lié avec l'argent. Mais à l'origine, ce lien n'est pas celui auquel nous pensons aujourd'hui. Certes, de nos jours, nous travaillons pour avoir de l'argent et pour pouvoir acheter. Mais, l'argent est d'abord lié aux échanges. C'est grâce à la monnaie que nous pouvons acheter et vendre, c'est-à-dire de rentrer en relation avec autrui pour ce qui est des marchandises et biens. Aristote dans ce texte, reprend les analyses déjà présentes dans l'ouvrage La politique. Il tente de mettre à la lumière les origines de l'échange. Pourquoi l'homme est-il dans la nécessité d'échanger? Si l'échange met en relation des personnes, quelles conditions doivent-elles être réunies pour que l'échange soit possible ? Quel rôle a l'argent dans ces échanges ?
«
sauraient entrer en relation.
Pour qu'il y ait transaction, il faut que les produits soient commensurables, c'est-à-direqu'ils puissent entrer dans un même système de mesure et donc être mesurées.
Ce qui va faire entrer les chosesdans un même sytème, c'est bien entendu l'argent.
Mais comment fixer l'égalité des choses à travers l'argent ?
2.
Le besoin comme étalon
Certes, la monnaie permet de mesurer, d'introduire un système commun.
Je peux ainsi exprimer une baguette et unemaison à travers un prix en euros bien que les choses soient très différentes.
L'argent est donc un moyen terme, unintermédiaire dans l'échange.
Une maison équivaudra alors à autant de baguettes.
Les choses elles-mêmes nesauraient être équivalentes : un carré ne saurait être équivalent à un cercle,...
Il s'agit donc d'une égalitéquantitative.
Mais comment savoir combien d'argent vaut une maison, une baguette ? Or, il y a une double inégalité: inégalité des contractants et inégalités des produits.
L'égalité des premiers devra être réalisée par l'égalité desseconds.
La question de l'égalité dans l'échange est aussi une question de justice.
Comme le disait Alain dansPropos sur les pouvoirs , pour qu'un échange soit juste et que donc il soit valable, il faut qu'il y ait égalité : « enferme quelque inégalité, vous soupçonnez aussitôt que ce contrat viole le droit » et droit et égalité sont liés.« Qu'est-ce que le droit ? C'est l'égalité.
»
Il est nécessaire que le rapport se fonde sur l'égalité telle que la justice d'Aristote la décrit.
Sans cette égalité, lescontractants se sentiraient lésés et aucun échange ne pourrait s'établir.
Pour réussir à comprendre comment fixerles valeurs et le taux d'échange, Aristote introduit une distinction entre la valeur d'échange et la valeur d'usage,bien avant Marx.
La valeur d'usage est la valeur propre de l'objet en tant qu'il peut être utilisé.
La valeur d'échangeest sa possibilité à valoir contre un autre objet dans un échange.
Pour fixer la valeur d'échange, il est nécessaired'avoir un étalon, une même mesure de référence interne à l'objet.
Cet étalon ne peut être l'argent, qui sertuniquement à l'échange et qui reste extérieur aux choses.
Mais ce sera le besoin.
Il y a échange parce qu'il n'y a pas d'auto-suffisance.
La thèse d'Aristote présuppose que le besoin est identiquechez tous les hommes : besoin de nourriture, de logement,...
Le besoin est donc conçu comme naturel.
De fait, lebesoin pourrait servir pour être étalon puisque que chaque objet aurait la même valeur d'usage pour tous.
Chacunayant les mêmes besoins d'avoir telle chose, le besoin est un étalon universel.
3.
Critique du fondement de la valeur sur le besoin
Il y a cependant quelques problèmes qui découlent de ces hypothèses :
si la valeur d'échange est calculée en fonction du besoin et donc de la valeur d'usage, il y aurait unepropotionnalité des deux valeurs, voire même une coïncidence.
Les produits dont on aurait le plus besoincouteraient les plus cher et les produits superflus ne couterait quasiment rien.
Il est assez flagrant que cela nese passe pas ainsi dans le monde.
La valeur d'échange de l'eau devrait être très élevée puisque qu'elle faitpartie des besoins vitaux quotidiens et la valeur d'échange du diamant devrait être quasiment nulle face ausuperflu qu'il représente.
Pourtant, nous assitons à l'inverse.
De fait, les analyses marxistes semblent être plusaptes à expliquer ces différences des valeurs d'échange.
Pour Marx, ce n'est absolument pas le besoin quipermet de fixer les valeurs d'échange mais bien dans le travail.
En effet, l'eau bue dans la nature à une sourcene coûte rien mais dès qu'il s'agit de l'acheter en bouteille ou de la filtrer, du travail humain entre en compte.Ce qui a de commun entre l'eau et le diamant, c'est le travail humain nécessaire à leur production ou à leurconditionnement.
Marx écrit ainsi dans le capital , livre I, première section, chapitre 3 : « ce n'est pas la monnaie qui rend les marchandises commensurables.
C'est parce que les marchandises en tant que valeurssont du travail matérialisé, et par suite commensurables entre elles, qu'elles peuvent mesurer toutes ensembleleurs valeurs dans une marchandise spéciale, et transformer cette dernière en monnaire.
» Mais comment letravail peut-il être lui aussi mesuré ? En heures de travail, non pas en heures de travail effectives mais en tantde travail social moyen nécessaire.
Une autre objection vient de la qualification des besoins comme étalon commun.
Les besoins ont un caractèretrès subjectif et chacun n'a pas les mêmes besoins que les autres.
Certes, cela peut être vrai pour ce qui estdes besoins vitaux.
Nous avons tous besoin de manger, de boire et pourtant, nous n'avons peut-être pas tousbesoin de manger et de boire la même quantité pour vivre.
De plus, les besoins sont modulés selon les moeurset les cultures.
Ils sont démultipliés par la socité.
Platon, dans la république, le passage déjà cité, Platon sedemande pourquoi les métiers sont si nombreux si les besoins fondamentaux ne requierent que quatre ou cinq.
»
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