ETUDE DE LA DEUXIÈME PARTIE: LA PENSÉE UNIDIMENSIONNELLE (Marcuse - L'homme unidimensionnel)
Publié le 03/05/2011
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La philosophie et la logique traditionnelles opposaient ainsi, d'une façon ou d'une autre, l'être véritable à ce qui paraît être, l'essence à l'apparence, la théorie à la pratique. Ces deux domaines, en constituant deux degrés de réalité, deux régions antagonistes, semblaient interdire de considérer la réalité donnée comme une totalité achevée et sans défaut. Au contraire, la recherche de la vérité supposait la possibilité de dépasser sans cesse la réalité immédiatement présente pour aller au-delà d'elle vers une réalité plus authentique. L'idée d'un « monde bidimensionnel « était le grand stimulant de la pensée. Par ailleurs, aussi bien les Grecs que toutes les civilisations pré-technologiques accordaient au travail une valeur péjorative : le travail était le signe d'une condition inférieure et servile, il était considéré comme une activité incompatible avec la connaissance, toujours associée avec la contemplation et le loisir.
«
puissent être étendus également à l'homme, réduit au rôle d'instrument à l'intérieur du système global d'exploitation.« L'homme et la nature deviennent des objets d'organisation interchangeables » : le caractère universel de la raisonexige que le rôle de l'homme soit défini et exploité aussi objectivement que celui de telle ou telle force naturelle àl'intérieur de ce projet.
Les organisateurs eux-mêmes doivent se soumettre à ce système d'exploitation qui lesdépasse et les détermine.Il n'est pas étonnant si dans cette « administration totale » toute dimension différente, toute conception desrelations entre l'homme et la nature non fondée sur la recherche de la domination, se trouvent éliminées.
Désormaisla raison se réduit à deux aspects : d'un côté, un « formalisme pur » qui forge l'outil logique et mathématiquepermettant de maîtriser tout objet, naturel ou humain, afin de l'intégrer dans le processus de production, de l'autrecôté, un « empirisme total » qui, sur le plan philosophique, considère les comportements et les discours les plususuels dans la société actuelle comme l'unique vérité et l'unique positivité.
Ce second aspect, étudié dans lechapitre suivant, renvoie à une forme très particulière d'empirisme (philosophie de l'expérience), l'école anglo-saxonne contemporaine d'analyse du langage ordinaire (aussi appelée « philosophie analytique »).
• Le triomphe de la pensée positive : la philosophie unidimensionnelle
Ainsi la société industrielle ne reconnaît plus que deux types de vérité : soit la vérité axiomatique, de type logiqueet mathématique, qui se définit de façon purement formelle par la cohérence interne d'un système; soit la véritéempirique qui repose sur la conformité au langage et au comportement courants dans l'expérience quotidienne.Le but avoué de cette philosophie anglo-saxonne (Wittgenstein, Austin, Ryle) est de purifier et d'expurger lelangage de tous les mots dits « métaphysiques », qui ne désignent rien de concret dans le monde de tous les jours.Son rôle, qui est comparable à celui que joue la sociologie industrielle, est d'éliminer tout écart, toute tension etfinalement toute contradiction sérieuse vis- à-vis de la réalité établie.
En considérant comme la référence unique etla base de toute vérité l'usage habituel des mots, elle se place à l'opposé de la tradition critique de la philosophie etconduit au conformisme le plus plat.
En ridiculisant tout point de vue non intégré dans les faits ou supposant despossibilités non réalisées, cette pensée fournit en effet une justification de l'ordre social existant.
Elle tombe dansles illusions du positivisme par sa prétention à ne se fonder que sur des faits et par sa croyance que la seule réalitéest celle qui résulte du progrès scientifique et technique.Car peut-on, comme le demandent les philosophes analytiques, s'enfermer complètement dans l'usage ordinaire desmots et se limiter au sens banal du langage? Il faudrait, suivant Wittgenstein, utiliser les mots philosophiques,comme vérité, expérience, monde, aussi « simplement » que les mots table, porte, chaise.
Marcuse montre qu'un telusage des mots abstraits est impossible.
Si en effet une phrase du langage ordinaire telle quele balai est dans le coin » peut remplir exactement et complètement sa fonction de désignation, une propositionphilosophique telle que « l'homme est aliéné » invite à dépasser la situation actuelle.
Elle vise à la fois cettesituation et un autre état, où l'homme pourrait ne pas être aliéné.
Il est nécessaire de faire une différence entre lelangage philosophique et le langage ordinaire sous peine de se priver non seulement de toute attitude critique, maismême de toute compréhension.
Car comprendre n'est-ce pas placer dans un contexte, donc dépasser la choseimmédiatement donnée? La philosophie analytique se ferme au fait que les phrases du langage ordinaire renvoient àun contexte social déterminé.
D'ailleurs, le langage qui décrit le langage ordinaire n'est-il pas nécessairementdifférent du langage qu'il décrit? Il y a un jargon particulier à la philosophie analytique, qui est tout aussi artificielque le langage métaphysique : elle parle de « réduction », de « dénotations », etc...En réalité, cette philosophie, en critiquant les concepts métaphysiques comme non réels, exprime sa peur de sortirdu monde familier et son désir de protéger le statu quo contre toute perturbation.
Mais qui croira que les mots «liberté » et « gouvernement » sont aussi « simples », c'est-à-dire univoques, que les mots « balai » et « ananas » ?Le monde du langage ordinaire auquel la pensée positive veut se tenir est un monde artificiellement limité, morcelé,réduit aux comportements les plus anodins.La véritable référence est la totalité du contexte social.
Mais pour montrer comment les comportements partielss'insèrent dans le tout de la société, il faut faire appel à une théorie.
Or une théorie n'est jamais un fait donné.
Sil'analyse ne tient pas compte des rapports que les faits particuliers, en l'occurrence les phrases quotidiennes,entretiennent avec le tout, il n'y a aucune erreur ou contradiction apparentes, mais la vérité et le sens de cesphrases ne sont pas démasqués.
Certaines ne sont « parlantes » que relativement à d'autres.
Lorsqu'on isole unephrase, on oublie que cette phrase est l'expression d'un individu en situation et que cet individu fait partie d'ungroupe qui tient tel ou tel langage.
La parole de chacun résulte d'un certain remaniement d'une masse designifications disponibles au sein de la société, telles que les informations reçues par la radio, la télévision, lesjournaux.
Le langage n'est rien de privé, rien d'individuel.
Le matériel linguistique est un » matériel social ».
Uneanalyse linguistique critique replacerait les phrases quotidiennes dans l'ensemble des discours qui se tiennent dansune société.
C'est alors qu'elle montrerait les formes de domination et de manipulation auxquelles les individus sontsoumis, et peut-être leur marge de liberté.
Elle montrerait que toute expression particulière correspond d'abord àune circonstance particulière, qu'elle représente une prise de position (adhésion ou refus) par rapport à un systèmedonné de valeurs et d'idées.
Si l'on considère par exemple un article dans un journal, il représente une expressionindividuelle, mais aussi l'attitude d'un groupe (politique, professionnel, intellectuel...).
Il faudrait donc replacer lacommunication individuelle dans ses rapports complexes avec le groupe et avec la société.Au contraire, que fait l'analyse linguistique? Elle s'interdit toute référence au système social, elle fabriqueartificiellement un faux « langage ordinaire », simple parce qu'expurgé, aseptisé, stérilisé.
« La signification perdtoute dimension sociale explosive.
» Le langage normalement multidimensionnel (dimensions de l'individu, desgroupes, de la société) est ramené à un langage unidimensionnel.
Le choix de l'analyse linguistique se porteprécisément sur les énoncés les plus pauvres comme « ce dessert a un goût d'ananas », « ceci me paraît rouge »,.
»
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