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être soi même

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

Dans Moins que zéro, Brett Easton Ellis dépeint des jeunes gens nantis et séduisants mais aussi pathétiques, déshumanisés jusqu'à paraître monstrueux tant leur existence se fond dans le moule d'une classe sociale. Il expose avec cruauté, et non sans mélancolie, le désarroi des êtres incapables de donner sens à leurs actes, de s'engager dans leur existence, de vivre selon un désir qui les singularise : leur vie n'est que pantomime, mascarade sinistre. Cependant, comment éviter une telle errance ? Fuir la standardisation des modes de vie impliquée par notre appartenance à un groupe social donné nous permet-t-il de conquérir une vie intérieure donnant sens à nos actes ? Pour être soi-même, il suffirait ainsi d'être différent. Pour vivre selon une nécessité intérieure, pour que nos actes soient la traduction fidèle de notre pensée, de nos convictions et de nos vocations, pour que notre vie ne soit pas le théâtre où nous nous contentons de répéter une pièce dont nous ne sommes pas l'auteur, il suffirait d'être en rupture de ban, de tourner le dos à tout modèle, d'éviter la moindre influence, de refuser tout legs venant d'autrui ?

« le refus d'être tenu en laisse par les conventions sociales.

Virulence et refus de perdre son âme, provocation etdésir de rester critique, lucide, passent par la mise en cause énergique d'un mode de vie compassé et bourgeois.Toutefois, à rentrer dans un schéma de pensée qui lui dicte ses opinions et ses comportements, à être conformiste,c'est-à-dire à se soumettre aux diktats du groupe, l'homme n'est pas seulement infidèle à sa propre approche de lavie, à sa vocation, et il n'est pas seulement passif, bâillonné, tenu en laisse : il perd de surcroît son identité.

N'êtrequ'une coquille vide, une apparence creuse, jouer un rôle en permanence et n'avoir que l'épaisseur du costume quel'on revêt pour dissimuler l'indigence de notre vie intérieure, tel est le cauchemar qu'hurle la peinture de Magritteintitulée Golconde.

L'absence d'expression de ces visages, la réduction de la personne humaine à un costumes-trois-pièces surplombés d'un chapeau melon, pleuvant sur la ville, dénonce la dépersonnalisation dont pâtit celui quiaccepte que toute son existence soit régie par des codes qu'il ne choisit pas.

Les hommes au chapeau melon deMagritte flottent dans l'air, en apesanteur : ils ne sont pas lestés, ils n'ont pas plus de substance que des ballons debaudruche.

Leur posture est identique : ils sont figés, comme s'ils n'étaient pas animés, comme s'ils n'étaient pashabités par un principe intérieur d'animation.

Comble de l'angoisse, c'est le vide qui enserre ces êtres engoncés dansleur apparence convenable, dépourvus de toute intériorité et de tout dynamisme.

Si l'on accepte d'effacer nosdifférences, n'allons-nous pas être ensevelis par la monotonie du quotidien et perdre toute personnalité ? Pour êtresoi-même et manifester ce qui nous anime, il ne faut donc pas redouter d'être différent.

De plus, la soumissionsystématique au conformisme social met aussi en question notre humanité.

A mener une existence standardisée, àdevenir un échantillon d'une classe sociale, un exemplaire interchangeable menant la même vie que l'exemplairevoisin, l'homme perd son individualité et ainsi son humanité, si l'on admet que l'humanité comprend des individus,c'est-à-dire des êtres particuliers dont les différences ne sont pas accessoires mais essentielles.

Dans AmericanPsycho, Brett Easton Ellis provoque son lecteur et l'amène à se demander si le trader Patrick Bateman est inhumainparce qu'il commet des actes effroyablement cruels et pervers ou bien si cette monstruosité n'est pas une forme deréaction à la standardisation extrême du mode de vie du personnage et ainsi un antidote pervers à ladéshumanisation accompagnant l'anonymat et la standardisation de la vie.

Car Patrick Bateman n'est qu'unéchantillon d'une classe sociale, il est vide de toute subjectivité, de tout affect.

Sa pensée ne lui sert qu'à calculerdes dividendes.

Ne récupère-t-il pas une unicité, une particularité lorsqu'il devient « monstrueux »,incommensurable, irréductible à toute classification, imprévisible ? Cette monstruosité n'est-elle pas alors unemanière de reconquérir une individualité dissoute dans le conformisme béat de sa vie de nabab ? Pour rester un peu« humain », unique en son genre, irréductible à toute classification, ce personnage alors, paradoxalement,deviendrait « inhumain », c'est-à-dire monstrueux.

Ne pas être prisonnier d'un genre, c'est affirmer son individualité.Cela suppose alors que l'humanité d'un homme désigne non pas sa valeur morale mais son caractère impensable,imprévisible, inattendu.

Nous serions humains lorsque nous échappons à la programmation sociale, lorsque nos actessurprennent, créent du nouveau, restent inédits.

Sinon, nous ne sommes que des cas validant les lois statistiques.Si l'homme n'est pas un numéro, un matricule, c'est parce qu'il est unique en son genre donc imprévisible.

Etre soi-même ce serait être humain en ce sens-là, et cela exige ainsi d'être unique.

Mais être soi-même, c'est aussi êtrehumain en un autre sens : en répondant à la voix morale en soi.

Or, répondre à l'appel de notre conscience moraleexige bien souvent de « ne pas suivre le mouvement », d'aller « à contre-courant », de ne pas se conformer auxopinions de la majorité.

En effet, le vocabulaire du conformisme souligne la souplesse des prises de positions etl'élasticité va de pair avec l'absence de convictions.

On « se plie » à des desiderata qui ne sont pas les nôtres, onfait « des courbettes », on « plie l'échine », on se « conforme ».

A l'inverse, quelqu'un qui a des principes et qui ytient est dit « rigide ».

Pour désigner l'intégrité morale, on parle de « droiture ».

Le suivisme est donc pensé commeune forme d'adaptabilité aux caprices des circonstances et des préjugés dominants.

La conscience morale qui refusede négocier avec la tyrannie du grand nombre est donc seule et pourtant elle spécifie l'humanité de l'homme.

C'esten refusant de rentrer dans le moule du conformisme que l'homme est lui-même, véritablement humain.

Lecomportement grégaire avilit l'homme.

Dans Le Quart-Livre, Rabelais représente toute l'absurdité de la trajectoiredes suivistes, qui abandonnent leurs différences et leur liberté en se noyant dans la masse, grâce aux fameux «moutons de Panurge » qui imitent la tête du troupeau jusqu'à se jeter la tête la première dans la mer.

Lesexpressions comme « singer » ou « hurler avec les loups » nous invitent également à déceler une déshumanisationet un abrutissement de l'homme derrière les comportements collectifs gommant les différences de pensée deshommes.

Faire comme tout le monde, c'est donc déchoir.

Mais faire comme tout le monde et abolir sa consciencecritique, son individualité et son humanité, c'est aussi s'exposer à être manipulé par des forces politiquesréactionnaires considérant l'homme comme un fragment d'une foule au service d'un chef.

Dans Le Conformiste,Alberto Moravia ne dépeint-il pas la dépersonnalisation d'un homme obsédé par l'idée d'être « comme tout le monde» et qui n'a que l'ambition de grossir les rangs des courants dominants ? Sous Mussolini, il devient donc fasciste.

Laplasticité des esprits prêts à se conformer par crainte d'affirmer une différence d'opinions permet en effet aux partispolitiques autoritaires, extrémistes, de triompher.

Pour que les libertés civiles soient protégées, il faut cultiverl'habitude de la discussion et faire entendre son caractère, son avis.

L'affirmation des différences d'opinions, lapluralité des points de vue et des modes de vie est nécessaire pour empêcher la sclérose de la vie politique, latransformation des citoyens en spectateurs passifs de décisions politiques qui leur sont confisquées.

Pour être soi-même et non un homme paralysé par la peur d'un pouvoir politique écrasant, il faut nourrir l'espace public de débatset de points de vue novateurs, différents.

L'indifférence, l'apathie fait le lit de l'abjection et de la terreur.

Lesdissonances sont vectrices de remises en question, de questionnements qui évitent l'assoupissement de la vigilancecritique des citoyens et leur transformation en suivistes intimidés.

Être soi-même, c'est alors résister aux sentimentsd'impuissance et de crainte qui gagnent les hommes lorsqu'un peuple se transforme en masse indistincte où neprédomine qu'un chef.

Ne plus être soi, c'est baisser les bras, renoncer à lutter contre l'irrationalité des mouvementsde foule.

Le Soi, dès lors, renvoie à la raison, au pouvoir de lier selon l'ordre de la logique, qui est menacé, enchaque homme, par la force des passions, des peurs et le débordement des émotions.

L'affirmation des différences,l'opposition, la provocation, la revendication du caractère unique de chaque personne permettent à celui qui signaleaux autres l'incommensurabilité de sa personnalité de ne pas vivre en désaccord avec lui-même et de ne pas trahir. »

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