Eternel retour Nietzsche Par-delà bonheur et malheur
Publié le 23/03/2015
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Il y avait là justement un portail, nous y fîmes halte.
« Vois ce portail, nain ! continuais-je, il a deux faces, deux chemins se rencontrent ici, [...}. Ce long chemin en arrière dure une éternité. Et cette longue voie étroite en avant dure une autre éternité. [...]. Le nom du portail est gravé en haut : « Instant «.
Mais pour qui continuerait à avancer plus loin toujours plus loin, crois-tu, nain, que ces chemins se contrediraient toujours ? «
« Tout ce qui est droit ment — murmura le nain dédaigneusement —toute vérité est courbée, le temps lui-même est un cercle. «
« Esprit de pesanteur ! — dis-je, irrité, ne te rends pas les choses trop faciles [...]
[...] — De ce portail « Instant « court en arrière une longue et éternelle voie étroite ; derrière nous s'étend une éternité. Ne faut-il pas que tout ce qui peut courir ait déjà une fois parcouru cette voie étroite ? Ne faut-il pas que tout ce qui peut advenir soit déjà une fois advenu, ait déjà été fait, se soit déjà passé ?
Et si tout a déjà été, que penses-tu qu'il en soit de cet instant, nain ? Ne faut-il pas que ce portail ait lui aussi déjà été ?
Et toutes choses ne sont-elles pas ainsi fermement liées de sorte que cet instant entraîne derrière lui toutes les choses à venir, et par conséquent lui-même aussi ? Car tout ce qui peut courir, doit aussi courir encore une fois sur cette voie étroite qui va vers l'avant !
Et cette lente araignée qui rampe au clair de lune, et ce clair de lune lui-même, et moi et toi, chuchotant ensemble sous ce portail à propos de choses éternelles — ne faut-il pas que tous nous ayons déjà existé ; — et revenions et courions dans cette autre étroite voie qui va devant.
[...]
Mais un homme gisait là ! [...] Je vis un jeune berger qui se tordait, étouffant, tressaillant, le visage convulsé ; un gros serpent noir lui pendait de la bouche. Ai-je jamais vu autant de dégoût et de blême épouvante sur un visage ? [...]. Alors un cri sortit de ma bouche : « Mords, mords donc ! La tête, coupe lui la tête d'un coup de dents «.
[...] Mais le berger mordit, comme mon cri le lui conseillait ; il mordit d'une bonne morsure ! II cracha bien loin la tête du serpent : et se leva d'un bond. Plus ni berger, ni homme, — mais métamorphosé, illuminé et qui riait ! Jamais sur terre un homme n'a ri comme il riait. Oh ! mes frères, j'entendis un rire qui n'était pas un rire d'homme, — et main-tenant une soif me consume, un désir qui ne s'apaisera jamais. Mon désir de ce rire me consume. Oh ! comment puis-je encore supporter de vivre ! Et comment supporterai-je de mourir maintenant ! «
Ainsi parlait Zarathoustra, III, 2. De la vision et de l'énigme.
Quand le soleil fut au midi Zarathoustra tourna son regard interrogateur vers le ciel car il entendait au-dessus de lui le cri strident d'un oiseau. Et voici qu'un aigle traçait de vastes cercles dans l'air et un serpent était accroché à lui, non comme une proie mais comme un ami : car il se tenait enroulé autour de son cou.
« Ce sont mes bêtes « — dit Zarathoustra, se réjouissant de tout coeur. « L'animal le plus fier qu'il y ait sous le soleil et l'animal le plus malin qu'il y ait sous le soleil sont venus aux nouvelles. «
Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue, § 10.
« Celui qui, poussé par quelque énigmatique curiosité, s'est comme moi longuement appliqué à penser le pessimisme en profondeur et à le délivrer de l'étroitesse et de la naïveté mi-chrétiennes mi-allemandes avec lesquelles il est apparu récemment en ce siècle, je veux dire sous la figure de la philosophie schopenhauerienne ; celui qui a vraiment une fois, scruté jusqu'à son fond, d'un regard asiatique et plus qu'asiatique, l'intérieur de la pensée la plus radicalement négatrice qu'il y ait au monde — par-delà bien et mal, et non plus, comme Bouddha et Schopenhauer, sous le charme de la morale et de son illusion —, celui-là aura peut-être, sans le vouloir, ouvert les yeux sur l'idéal contraire : celui de l'homme le plus exubérant, le plus vivant et le plus affirmateur du monde, qui ne se contente pas d'avoir appris à admettre et supporter la réalité telle qu'elle fut et telle qu'elle est, mais qui veut la revoir telle qu'elle fut et telle qu'elle est, pour toute l'éternité, qui crie insatiablement « da capo en s'adressant non pas seulement à lui-même, mais à la pièce et au spectacle tout entier, et non seulement au spectacle, mais au fond à celui qui a besoin de ce spectacle et le rend nécessaire ; parce qu'il a toujours besoin de soi-même et se rend nécessaire... Comment ? Ne serait-ce pas là — un circulus vitiosus deus ?
Par-delà bien et mal, § 56
«
Textes commentés
Quand le soleil fut au midi Zarathoustra tourna son regard
interrogateur vers le ciel car il entendait au-dessus de lui le cri strident
d'un oiseau.
Et voici qu'un aigle traçait
de vastes cercles dans l'air et un
serpent était accroché à lui, non comme une proie mais comme un ami : car il se tenait enroulé autour de son cou.
" Ce sont mes bêtes » - dit Zarathoustra, se réjouissant de tout
cœur.
" L'animal le plus fier qu'il y ait sous le soleil et l'animal le plus
malin qu'il y ait sous le soleil sont venus aux nouvelles.
»
Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue, § 10.
" Celui qui, poussé par quelque énigmatique curiosité, s'est comme
moi longuement appliqué à penser
le pessimisme en profondeur et à le
délivrer
de l'étroitesse et de la naïveté mi-chrétiennes mi-allemandes
avec lesquelles
il est apparu récemment en ce siècle, je veux dire sous
la figure de la philosophie schopenhauerienne ; celui qui a vraiment une
fois, scruté jusqu'à son fond, d'un regard asiatique et
plus qu'asiatique,
l'intérieur de
la pensée la plus radicalement négatrice qu'il y ait au
monde -par-delà bien et mal, et non
plus, comme Bouddha et
Schopenhauer, sous
le charme de la morale et de son illusion -, celui
là aura peut-être, sans le vouloir, ouvert les yeux sur l'idéal contraire : celui de l'homme le plus exubérant, le plus vivant et le plus affirmateur
du monde, qui ne se contente pas d'avoir appris à admettre et
supporter la réalité telle qu'elle fut et telle qu'elle est, mais qui veut la
revoir
telle qu'elle fut et telle qu'elle est, pour toute l'éternité, qui crie
insatiablement
" da capo ,., en s'adressant non pas seulement à lui
même, mais à
la pièce et au spectacle tout entier, et non seulement au
spectacle, mais au fond à celui qui a besoin de ce spectacle et le rend
nécessaire ; parce qu'il a toujours besoin de soi-même et se rend
nécessaire ...
Comment? Ne serait-ce pas là - un circulus vitiosus
deus?
Par-delà bien et mal, § 56
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Trois passages relatifs à l'éternel retour en développent progressivement les
significations métaphysiques et morales.
Le cercle
Tout ce qui est a été une infinité de fois et recommencera une infinité de fois.
Éternellement, tout,
« cette lente araignée qui rampe au clair de lune, et ce clair
de lune lui-même, et moi et toi
...
», s'est répété et se répétera jusque dans les
moindres détails.
C'est là la première chose que nous saisissons.
Et le nain qui
accompagne ici Zarathoustra,
« esprit de pesanteur», esprit lourd qui ne sait
s'élever plus haut et gène ceux qui tentent de le faire, a au moins compris cela..
»
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