Est-il raisonnable de vouloir prévoir l'avenir ?
Publié le 21/10/2011
Extrait du document
Afin d’organiser leur vie selon leurs désirs, sans crainte de voir leurs projets sabotés subitement par un coup du sort, les hommes cherchent depuis longtemps à prévoir l’avenir. Ce peut être d’une façon irrationnelle, comme dans l’astrologie, ou d’une manière rationnelle, comme en science ou dans la planification de la vie en société. Les sciences expérimentales - et notamment la physique - dégagent de l’observation du réel des lois, c’est à dire une certaine régularité dans les phénomènes qui les rend prévisibles (exemple : météorologie, prédiction des éclipses, etc.)
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2.
“Temps spatialisé” et “durée réelle”
Selon Bergson, nous avons tendance à nous représenter le temps comme de l’espace,
c’est à dire comme quelque chose de stable, comme un ensemble de parties juxtaposées.
Cette
représentation a un intérêt pratique : elle nous permet de planifier notre vie, en la découpant
en tronçons identiques et bien définis (les jours, les heures, les minutes, etc.) Mais d’un point
de vue théorique, cette représentation est une erreur.
Le temps réel, qui ne se réduit pas au
schémas mathématiques qu’on s’en fait, est un changement continu, l’apparition de réalités
toujours nouvelles.
Aucun jour ne ressemble à un autre jour, aucune seconde n’est identique à
une autre seconde.
C’est dire que l’avenir est imprévisible, surtout en ce qui concerne le
monde de la vie, et surtout le monde de l’esprit, où la liberté et la création priment sur la
répétition.
Ainsi, alors que les phénomènes purement physiques (comme la rotation des
planètes) sont très réguliers et répétitifs, les phénomènes historiques et humains sont
beaucoup plus imprévisibles - la liberté humaine refusant de s’assujettir à des règles trop
strictes.
B.
Argument pratique
Epicure, dans la Lettre à Ménécée , montre les conséquences pratiques des illusions
concernant l’avenir : lorsqu’on cherche à maîtriser le temps, en se projetant sans arrêt dans
l’avenir, on en oublie de profiter de la réalité présente - c’est à dire de la réalité tout court.
Surtout, on en vient à souffrir d’angoisses et de craintes : par exemple, la peur de la mort, ou
la peur d’être châtié par les dieux.
Cependant, la position d’Epicure est plus complexe : si une trop grande confiance dans
nos prévisions peut nous causer de douloureuses désillusions, il n’en est pas moins vrai
qu’une insouciance complète de l’avenir peut entraîner des souffrances tout aussi grandes.
Se
laisser aller sans retenue aux désirs du moment, sans penser aux conséquences, peut nous
valoir des indigestions, des maladies, de la prison, etc.
Ces deux positions extrêmes sont
d’ailleurs tout aussi fausses que nuisibles : l’avenir ne nous échappe pas complètement (il y a
une certaine régularité dans la nature), mais il ne nous appartient pas complètement non plus
(il y a toujours des imprévus.) Il semblerait donc qu’il faille nuancer notre première thèse : la
volonté de prévoir l’avenir est raisonnable dans une certaine mesure.
II.
Nécessité pratique des prévisions
Il serait trop long et difficile de répondre ici en détail à l’argument théorique inspiré par
Hume et Leibnitz (cf I - A.) Disons donc que, s’il n’est sans doute pas raisonnable d’avoir la
certitude absolue que le soleil se lèvera demain, du moins n’est-il pas absurde d’estimer cet
événement hautement probable.
Ajoutons que nous sommes obligés, pour des raisons
pratiques, de supposer qu’il y a dans la nature et la société des lois, des régularités, qui
rendent l’avenir prévisible dans une certaine mesure.
Sans quoi, en effet, il nous serait
absolument impossible de faire le moindre projet - même à court terme - donc d’agir.
Nous
nous laisserions conduire passivement par une sensibilité instinctive au lieu d’organiser notre
vie rationnellement.
Donc, d’un point de vue pratique au moins, il est raisonnable de chercher
à prévoir l’avenir : si aucune prévision n’était possible, notre raison pratique (= liberté) ne
pourrait pas du tout s’exercer.
Mais cet argument, malgré les apparences, n’est pas en contradiction avec ceux tirés
d’Epicure ou de Bergson.
Comme on l’a vu, un minimum de prévoyance est nécessaire, selon
Epicure, pour vivre heureux.
Se projeter sans cesse dans l’avenir nous empêche de jouir du
présent, sans doute ; mais la prudence véritable, loin d’avoir cet effet désastreux, nous donne
cette tranquillité d’âme sans laquelle notre jouissance du présent serait troublée par l’angoisse..
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