Est il juste d'affirmer que l'activité technique dévalorise l'homme ?
Publié le 18/06/2005
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On ne peut pas dire que l'activité technique dévalorise l'homme. On ne peut dire non plus que toutes les tâches techniques se valent et que certaines sont plus pénibles que d'autres mais qu'en vérité il reste encore beaucoup de travaux techniques dévalorisants à réformer et à moderniser. Des progrès ont été faits pour réduire l'aliénation au travail et le mal-être. On ne peut dresser le portrait d'une technique aussi avilissante comme il en a existé au 19e siècle et jusqu'à récemment. La nuance sur ce sujet est de rigueur pour ne pas tomber dans une haine de la technique.
«
activité ne différerait pas de l'activité animale.
Or, le travail humain est un effort volontaire, conscient et réfléchi.L'homme, au lieu d'être dominé par l'instinct, sait concevoir et appliquer un plan.
C'est dans la mesure où il est unêtre rationnel que l'homme peut acquérir un véritable savoir-faire technique.
Bien sûr, certains animaux produisentquelques objets, mais la différence entre l'homme et l'animal n'est pas dans le résultat de leur activité ; voicicomment Marx fait la différence entre activité animale et activité humaine :
« Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l'homme et la nature.
L'homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d'une puissance naturelle.
Les forces dont son corps est doué, braset jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s'assimiler des matières en leur donnant uneforme utile à sa vie.
En même temps qu'il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, ilmodifie sa propre nature, et développe des facultés qui y sommeillent.
Nous ne nous arrêterons pas àcet état primordial du travail, où il n'a pas encore dépouillé son mode purement instinctif.
Notre point de départ, c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l'homme.
Une araignée fait desopérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellulesl'habileté de plus d'un architecte.
Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeillela plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche.
Lerésultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur.
Ce n'est pas qu'ilopère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit subordonnersa volonté. » K.
Marx , Le Capital , I, 3 (1867)
L'homme pense son œuvre avant de la réaliser par le travail.
La technique est ce qui définit l'homme.
Nous avons donc vu que le travail, en tant qu'il consiste à transformer la nature, ne peut se passer de la technique,ensemble des procédés dont l'homme se sert pour agir sur les choses et les transformer pour les adapter à sesbesoins.
Le premier outil technique, c'est la main.
Aristote affirme, au contraire d'Anaxagore (premier philosopheathénien), que c'est parce qu'il est intelligent que l'homme a des mains :
La nature aurait donné l'outil le plus utile, la main, à l'être le plus intelligent et donc le plus capable d'acquérir ungrand nombre de techniques.
L'homme est donc voué à utiliser des outils.Nous pouvons alors aller jusqu'à affirmer, avec Bergson que l'intelligence humaine est essentiellement pragmatique(c'est-à-dire tournée principalement vers l'action) :
« Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si, pour définir notre espèce, nous nous en tenionsstrictement à ce que l'histoire et la préhistoire nous présentent comme la caractéristique constante del'homme et de l'intelligence, nous ne dirions peut-être pas Homo sapiens , mais Homo faber .
En définitive, l'intelligence, envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer desobjets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d'en varier indéfiniment la fabrication .
»
H.
Bergson , L'évolution créatrice (1907)
L'homme, en tant que fabricateur d'outil, parvient à mettre la matière inorganique au service de la vie.
Il serait doncavant tout homo faber , utilisateur et producteur d'outils, et c'est la possibilité d'un tel rapport médiat au monde (c'est-à-dire non immédiat, mais qui fait intervenir la réflexion puis l'outil) qui lui permettrait de se le représenterrationnellement et de se l'approprier.
Le travail pourrait alors se présenter comme un moyen pour l'homme de se comprendre lui-même dans son rapport àla nature.
En transformant la nature par son travail, l'homme semble pouvoir non seulement se l'approprier, s'en fairecomme « maître et possesseur », mais aussi et surtout se reconnaître en elle La technique valorise l'homme.
L'homme peut prendre conscience de lui-même en contemplant les produits de son activité pratique ; la capacité à transformer le monde est en effet l'expression de son essence, car seul un être doué de conscience possède desintentions, c'est-à-dire peut penser le monde autrement qu'il est et le modifier en fonction de cette pensée.
Dèslors, le travail, parce qu'il est justement activité de production, permet à l'homme non seulement de mettre enœuvre son essence en transformant le monde par ses intentions, mais aussi de se faire pour-soi , c'est-à-dire de prendre conscience de son essence d'être doué de conscience.
Hegel écrit que « c'est par la médiation du travailque la conscience vient à soi-même ».Dans la Phénoménologie de l'esprit , Hegel développe ce que l'on appelle la dialectique du maître et de l'esclave , qui décrit l'évolution des rapports de maîtrise et de servitude entre deux individus.
L'esclave, en travaillant, donne formeau monde, aux objets ; cette activité transformatrice est une aptitude à se libérer du monde, puisqu'on peut le nier.Or, le maître, lui, n'acquiert pas cette capacité, puisqu'il ne travaille pas.
Hegel en déduit donc que l'esclavedépasse le maître, qu'il devient maître du maître, et le maître, esclave de l'esclave : - d'une part, car l'esclave acquiert cette maîtrise de la nature, dont le maître a besoin mais dont il est.
»
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