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Est-il exact de considérer l'attention comme un « état anormal, en contradiction avec la condition fondamentale de la vie psychologique ?

Publié le 21/02/2011

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I. — Notre pensée peut être dans deux attitudes différentes : ou bien elle passe d'une représentation à une autre, de celle-ci à une autre encore, dans une sorte de mouvement continu ; ou bien elle se fixe sur un objet particulier et, pendant un temps plus ou moins long, demeure concentrée sur lui : on dit alors qu'elle fait attention. Peu importe d'ailleurs que cette attention porte sur des sensations ou sur des idées, qu'elle soit aussi « spontanée «, produite par un intérêt naturel ou qu'elle soit « volontaire « et résulte d'un effort intérieur : la situation de l'intelligence reste la même ; elle est pour ainsi dire stabilisée. Mais quel est le sens d'un tel état ? Comment convient-il de le situer dans la vie ordinaire de la conscience ? Quel rapport soutient-il avec cette dernière ? Est-il en quelque sorte dans sa direction naturelle ? Exprime-t-il autre chose qu'une forme supérieure de son activité essentielle ? N'est-il pas au contraire directement en opposition avec elle et ne faut-il pas y voir un état anormal ?

« peut arriver à cette connaissance qu'en projetant sur l'inconnu les connaissances qu'elle a déjà en sa possession,en éclairant l'obscur par les lumières dont elle dispose au préalable.

Ainsi qu'on l'a montré, elle commence parsupposer ce que la chose peut être, par émettre diverses hypothèses sur sa nature et ses qualités ; elle construitun schème et, lançant un appel à la mémoire, pénétrant comme en des plans de conscience de plus en plusprofonds, elle fait sortir toutes les richesses virtuellement contenues en elle, les projette sur ce qui est encoreobscur, et cela jusqu'au moment ou le schème se convertit en une idée nette.

Il s'établit ainsi entre le sujet etl'objet à' connaître un va-et-vient qui se continue, un circuit qui reste ouvert tant que l'un n'a pas fait la conquêtede l'autre et n'est pas parvenu à se l'assimiler. IV.

— Mais ceci même le prouve : si, en un sens, l'attention est un « monoidéisme », c'est, à un autre point de vue,un « polyidéisme ou plutôt par suite du travail et du dynamisme de la pensée, le« monoidéisme » se résout en un « polyidéisme ».

Sans doute avec l'attention il n'y a plus dans la pensée qu'unobjet unique et tous les autres sont refoulés, contenus hors de l'esprit.

Et c'est là une nécessité.

Suivantl'expression du philosophe Hamelin, nous ne disposons que d'un« petit capital de conscience »; nous ne pouvons l'utiliser pour connaître une chose qu'à la condition de laisser decôté tout le reste des objets différents : seule une intelligence infinie serait capable de posséder une attentionassez large-pour embrasser simultanément toute la réalité.

Mais précisément par suite du travail auquel l'esprit selivre sur la chose qu'il a ainsi séparée de toutes les autres, l'objet unique devient multiple , il devient multiple parceque la pensée elle-même le multiplie, voit en lui tout un monde d'éléments, c'est-à-dire le convertit en un systèmecomplexe d'objets différents, système d'autant plus complexe que la force de l'attention est plus considérable etcomporte moins d'oscillations.

C'est ainsi que quand l'entomologiste observe curieusement un insecte nouveau qu'ilvient de rencontrer, il arrive à discerner une foule de choses qui d'abord lui échappaient, à se donner la vision d'untas de détails primitivement confondus dans la perception ; devant son regard et par son regard, l'objet prolifère enquelque sorte ; il bourgeonne, il grossit, bref se développe en une multitude d'objets différents.

N'est-ce encore cequi se passe quand au lieu d'être « sensorielle » l'attention se fait « intellectuelle » ? Nous arrive-t-il, par exemple,de réfléchir à une pensée que nous avons rencontrée dans un auteur, qui nous a frappés ou surpris ? Aussitôt c'esttout un univers d'idées qui s'éveille et se presse dans notre conscience ; nous découvrons des points de vue quid'abord se dérobaient, nous opérons des rapprochements et des comparaisons auxquels nous n'avions pas songé,nous apercevons des beautés, une vérité, des conséquences que nous n'avions pas soupçonnées, nous faisons desréserves, des critiques, des appréciations dont primitivement nous ne voyions pas la légitimité.

Ce n'est plus unepensée unique que nous avons devant nous, mais toute une masse globale de pensées qui gravitent autour de lapremière et qui en jaillissent en l'épanouissant.

Bref, le « monoidéisme » est devenu un « polyidéisme ».

Il ne fautdonc pas dire que l'attention est un appauvrissement du champ de la conscience ; c'en est au contraire unmagnifique enrichissement ; nous voyons plus et nous voyons mieux ou plutôt nous voyons plus parce que nousvoyons mieux.

L'attention consiste dans « la chasse aux idées » ou plutôt elle produit une surabondance d'idées,une puissante effloraison de représentations organisées entre elles dans le but que la pensée poursuit et qui est deconquérir une connaissance nouvelle.

Ribot nous parle d'un spectateur à l'Opéra qui se tient immobile dans sonfauteuil et qui est ainsi attentif parce que cette attitude corporelle vient se refléter dans sa conscience : l'attitudede la conscience serait la conscience de l'attitude du corps.

C'est oublier que cette dernière s'explique seulementpar une attitude d'un autre ordre qui se trouve par-dessous elle, à laquelle elle est adaptée, savoir une attitudementale constituée par le travail de l'esprit auquel le spectateur se livre et qui fait qu'en lui les idées affluent, secompliquent parce qu'il cherche à mieux apprécier et à mieux sentir ce qui lui est immédiatement présenté. V.

Nous pouvons maintenant conclure.

Que l'attention soit en même temps un « arrêt » et un « monoidéisme »,c'est ce qu'il faut admettre ; qu'elle soit en opposition directe avec la loi fondamentale de la conscience, c'est cequ'il n'est plus permis de reconnaître.

D'une part en effet, cet « arrêt » n'est pour la pensée que le point de départd'un « mouvement » ; d'autre part le « monoidéisme » se change en un « polyidéisme ».

Si donc il est vrai de direque le « mouvement » et le « polyidéisme » constituent l'état normal de la conscience, il n'est plus exact de voirdans l'attention un « état anormal » de cette même conscience.

Ne convient-il pas plutôt de la considérer commeen étant le prolongement direct, comme sa continuation naturelle ? En effet il ne faut pas le méconnaître : laconscience est loin d'être cette capacité inerte, cette « table rase » imaginée par d'empirisme; bien loin de secontenter de subir passivement les impressions des choses, elle est avant tout une puissance de réaction contreelles, une faculté de dissociation, de sélection ; toujours elle se manifeste par le choix, choix indispensable à la vieparce que sans lui cette dernière n'est plus possible ou se trouve à chaque instant compromise ; elle n'est pas ce «phénomène accessoire », ce « luxe inutile » dont parle le matérialisme ; elle est une nécessité.

Or qu'est-ce quel'attention, sinon un choix dans le choix spontané et immédiat qui atteste sa réalité, choix nouveau qui n'est qu'unepreuve nouvelle de son activité essentielle, puisque par elle la pensée arrive à débrouiller les choses, à les dominer,à se les adapter d'une façon plus lumineuse et par suite plus solide ?. »

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