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Est il absurde de désirer l'impossible ?

Publié le 04/01/2013

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« Est-il absurde de désirer l'impossible ? « Introduction Que penser de cet homme qui persévère dans son désir de vivre l'amour avec une femme qui ne veut pas de lui. Est-ce absurde ? Oui, si l'on pense qu'il va souffrir pour ne rien obtenir. Son comportement illogique et contre-productif ferait de cet homme un perdant. Mais si l'absurde renvoie à ce qui n'a absolument aucun sens, ne va dans aucune direction, cet amour à sens unique n'est pas complètement insensé. Il va permettre à cet homme d'apprendre sur lui-même, lui permettre de développer des facultés - une sensibilité, une imagination... - qu'il n'aurait pas développées s'il lui avait été possible de vivre l'objet de son désir. La question du sujet nous oblige donc à en poser d'autres. Qu'est-ce qui est important dans le désir ? Est-ce la satisfaction effective ou le fait même de désirer? L'impossibilité est-elle objective et définitive ? Ce qui est impossible aujourd'hui le sera-t-il demain, surtout en un temps d'accélération inouï du progrès technique ? Enfin, l'impossible renvoie-t-il à une utopie destructrice, ou à un idéal qui pourrait être positif ? Faut-il donc, au nom de la souffrance ou de la folie qualifier d'absurde ou d'irrationnel un tel désir ou au contraire refuser un tel qualificatif en songeant à tout ce que ce désir d'impossible peut avoir de proprement humain, même et peut-être surtout lorsqu'il ne peut pas être satisfait ? I. Il semble en effet absurde de désirer l'impossible... A. C'est absurde... Si nous pensons que le désir vise à être satisfait, et même que c'est d'envisager cette satisfaction qui remplit de vie l'homme désirant, alors il est absurde de désirer l'impossible : c'est en effet l'assurance de l'insatisfaction, de la frustration, de la déception et de la souffrance. L'absurdité renvoie ici à l'irrationalité d'un comportement qui, par définition, ne peut pas atteindre ce qu'il vise. On peut dire qu'un tel comportement est insensé, que c'est un calcul absurde, puisque je ne peux rien espérer en échange de mon désir. Ainsi cet homme désirant vivre un amour avec une femme inaccessible se comporte-t-il d'une manière absurde, il risque de s'épuiser, tout en ratant d'autres occasions de vivre un amour possible, de passer à côté de sa vie parce qu'il n'est pas capable de réorienter son désir vers des objets possibles. La dimension insensée d'un tel comportement peut aussi relever d'une forme de masochisme, puisque la satisfaction du désir est ici interdite. Si donc nous pensons que satisfaire ses désirs est un des buts de l'existence, alors il est absurde de désirer l'impossible. B. ...et même dangereux Plus encore qu'absurde, une telle attitude peut être dangereuse. Sur un plan individuel, l'homme attaché à l'objet de son impossible amour risque, à force d'insatisfaction, de sombrer dans la folie, la violence contre les autres (le meurtre) ou contre lui-même (le suicide), à l'instar de Gérard de Nerval mettant fin à ses jours pour fuir les refus de Jenny Colon. Sur un plan politique, c'est souvent lorsque les régimes politiques ont visé l'impossible (l'égalité parfaite pour les staliniens, la fondation d'une humanité nouvelle pour les Khmers rouges de Pol Pot au Cambodge...) qu'ils ont été les plus meurtriers. L'impossible prend ici le visage d'une idéologie utopique et dévastatrice. Puisque l'impossible se situe par définition hors de la réalité, le danger réside précisément dans une déconnexion avec le réel qui peut engendrer les pires crimes. C'est parce que les Khmers rouges, dans leur désir fou de réinventer l'humain, visaient l'impossible, qu'ils en sont venus à tuer des milliers d'hommes comme une prétendue condition à la réalisation de leur désir. C'est aussi parce que Staline désirait l'impossible qu'il en est venu à éliminer ou à déporter au Goulag ceux qui s'opposaient à son projet fou « Une idéologie est précisément ce que son nom indique : elle est la logique d'une idée... L'émancipation de la pensée à l'égard de l'expérience. « Hannah arendt, Le Système totalitaire, Le Seuil, 1972. C. La pédagogie du désir. Les sagesses antiques pour apprendre à ne plus désirer l'impossible On comprend alors, en pensant à la souffrance voire à la folie de l'homme désirant l'impossible, le projet commun à l'épicurisme et au stoïcisme : apprendre aux hommes à ne plus désirer ce qui fait leur malheur. Épicure propose de réorienter notre désir vers ce qui est naturel et nécessaire, vers des objets du d&eacut...

« On comprend alors, en pensant à la souffrance voire à la folie de l'homme désirant l'impossible, le projet commun à l'épicurisme et au stoïcisme : apprendre aux hommes à ne plus désirer ce qui fait leur malheur. Épicure propose de réorienter notre désir vers ce qui est naturel et nécessaire, vers des objets du désir qu'il est possible de satisfaire dans le cadre que la nature a prévu.

D'où sa distinction entre les désirs naturels et nécessaires (boire, manger...) et les autres (pouvoir, honneurs, éternité...), desquels je dois apprend re à me détourner car ils ne me promettent que souff rance.

Ne plus désirer l'impossible est alors la condition d'un bonheur se confondant avec la sagesse, défini comme ataraxie, soit l'absence de troubles physiques et psychiques . « // est également à considérer que certains d'entre les désirs sont naturels, d'autres vains, et que si certains des désirs naturels sont nécessaires, d'autres ne sont seulem ent que naturels.

Parmi les désirs nécessaires, certains sont nécessaires au bonheur, d'autres à la tranquillité durabl e du corps, d' aut res à la vi e même.

Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix, et tout rejet à la santé du corps et à la sérénité de l'âme, puisque tel est le but de la vie bienheureuse.

C'est sous son influence que nous faisons toute chose, dans la perspective d'éviter la souffrance et l'angoisse.

Quand une bonne fois cette influence a établi sur nous son empire, toute tempête de l'âme se dissipe, le vivant n'ayant plus à courir comme après l'objet d'un manque, ni à rechercher cet autre par quoi le bien, de l'âme et du corps, serait comblé.

» ÉPICURE , Lettre à Ménécée « À ces questions, et à toutes celles qui s'y rattachent, réfléchis jour et nuit pour toi-même et pour qui est semb lable à toi, et jamais tu ne seras troublé ni dans la veille ni dans tes rêves, mais tu vivras comme un dieu parmi les humains.

Car il n'a rien de commun avec un animal mortel, l'homme vivant parmi des biens immortels.

» ÉPICURE , Lettre à Ménécée On retrouve la nécessité d'une telle pédagogie du désir dans le stoïcisme.

Ici, il faut apprendre à désirer les objets dont la satisfaction dépend de moi, dont je suis donc sûr qu'il est possible de les satisfaire.

Pour les stoïciens, mon bonheur dépend de ma capacité à cesser de m'acharner pour essayer d'obt enir « ce qui ne dépend pas de moi ».

Grâce au pouvoir de ma raison et de ma volonté, je peux donc apprendre à ne plus désirer l'impossible qui ne dépend pas de moi, fait souffrir, et à désirer le possible qui peut me rendre sage, me procurer - ici aussi - l'ataraxie.

Il est donc en effet absurde, pour des stoïciens comme Marc Aurèle ou Épictète, de désirer l'impossible : ce serait s'assurer une vie de souffrance ; s'interdire le bonheur.

Et si nous avons des dési rs impossibl es à sati sf aire, alors mieux vaut « changer ses désirs que l'ordre du monde », comme l'écrira Descartes avec des accents nettement stoïciens.

En effet, on trouve chez les stoïciens l'idée que l'ordre du monde obéit à un Destin et qu'il est vain d'essayer de le changer pour le conformer à ses désirs les plus fous.

Reste alors à désirer ce monde tel qu'il est, le seul monde possible et même nécessaire, et à accepter l'ordre des choses.

Et ce n'est qu'une question de volonté. « Puisque l'homme libre est celui à qui tout arrive comme il le désire, me dit un fou, je veux, aussi que tout m'arrive comme il me plaît.

- [...].

Non, mon ami : la liberté consiste à vouloir que les choses arrivent, non comme il te plaît, mais comme elles arrivent.

» ÉPICTÈTE , Entretiens, livre I, XXXV « Ce qui dépend de toi, c'est d'accepter ou non ce qui ne dépend pas de toi.

» MARC AURÈLE Transition Mais que reste-t-il du désir humain et de sa beauté si nous suivons les préceptes des épicuriens ou des stoïciens.

Ne risque-t-on pas en suivant Epicure et les stoïciens de réduire le désir au simple besoin ? voire de ne plus désirer du tout ? Autrement dit, avons-nous vraiment envie de devenir cette sorte de sages ? Autre question : la souff rance doit-elle être à ce point évitée ? Un désir subsistant est-il si absurde que cela ? Et si elle nous en apprenait sur nous-mêmes plus que le bonheur ? Pensons de nouveau à cet homme qui souffre parce qu'il lui est impossible de vivre un amour : peut-on vraiment dénier tout sens à son désir persévérant ? II.

Mais est-ce si absurde que cela ? A.

Et si l'impossible devenait possible ? Pour que « désirer l'impossible » apparaisse vraiment comme absurde, il faudrait, d'une part, que toute. »

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