Est il absurde de désirer l'impossible ?
Publié le 04/01/2013
Extrait du document
«
On comprend alors, en pensant à la souffrance voire à la folie de l'homme désirant l'impossible, le projet commun
à l'épicurisme et au stoïcisme : apprendre aux hommes à ne plus désirer ce qui fait leur malheur.
Épicure propose de réorienter notre désir vers ce qui est naturel et nécessaire, vers des objets du désir qu'il est
possible de satisfaire dans le cadre que la nature a prévu.
D'où sa distinction entre les désirs naturels et
nécessaires (boire, manger...) et les autres (pouvoir, honneurs, éternité...), desquels je dois apprend re à me
détourner car ils ne me promettent que souff rance.
Ne plus désirer l'impossible est alors la condition d'un bonheur
se confondant avec la sagesse, défini comme ataraxie, soit l'absence de troubles physiques et psychiques .
« // est également à considérer que certains d'entre les désirs sont naturels, d'autres vains, et que si certains
des désirs naturels sont nécessaires, d'autres ne sont seulem ent que naturels.
Parmi les désirs nécessaires,
certains sont nécessaires au bonheur, d'autres à la tranquillité durabl e du corps, d' aut res à la vi e même.
Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix, et tout rejet à la santé du corps et à la
sérénité de l'âme, puisque tel est le but de la vie bienheureuse.
C'est sous son influence que nous faisons
toute chose, dans la perspective d'éviter la souffrance et l'angoisse.
Quand une bonne fois cette influence
a établi sur nous son empire, toute tempête de l'âme se dissipe, le vivant n'ayant plus à courir comme
après l'objet d'un manque, ni à rechercher cet autre par quoi le bien, de l'âme et du corps, serait comblé.
»
ÉPICURE , Lettre à Ménécée
« À ces questions, et à toutes celles qui s'y rattachent, réfléchis jour et nuit pour toi-même et pour qui est
semb lable à toi, et jamais tu ne seras troublé ni dans la veille ni dans tes rêves, mais tu vivras comme un
dieu parmi les humains.
Car il n'a rien de commun avec un animal mortel, l'homme vivant parmi des
biens immortels.
»
ÉPICURE , Lettre à Ménécée
On retrouve la nécessité d'une telle pédagogie du désir dans le stoïcisme.
Ici, il faut apprendre à désirer les
objets dont la satisfaction dépend de moi, dont je suis donc sûr qu'il est possible de les satisfaire.
Pour les
stoïciens, mon bonheur dépend de ma capacité à cesser de m'acharner pour essayer d'obt enir « ce qui ne dépend
pas de moi ».
Grâce au pouvoir de ma raison et de ma volonté, je peux donc apprendre à ne plus désirer
l'impossible qui ne dépend pas de moi, fait souffrir, et à désirer le possible qui peut me rendre sage, me procurer -
ici aussi - l'ataraxie.
Il est donc en effet absurde, pour des stoïciens comme Marc Aurèle ou Épictète, de désirer
l'impossible : ce serait s'assurer une vie de souffrance ; s'interdire le bonheur.
Et si nous avons des dési rs
impossibl es à sati sf aire, alors mieux vaut « changer ses désirs que l'ordre du monde », comme l'écrira
Descartes avec des accents nettement stoïciens.
En effet, on trouve chez les stoïciens l'idée que l'ordre du monde
obéit à un Destin et qu'il est vain d'essayer de le changer pour le conformer à ses désirs les plus fous.
Reste alors
à désirer ce monde tel qu'il est, le seul monde possible et même nécessaire, et à accepter l'ordre des choses.
Et ce
n'est qu'une question de volonté.
« Puisque l'homme libre est celui à qui tout arrive comme il le désire, me dit un fou, je veux, aussi que
tout m'arrive comme il me plaît.
- [...].
Non, mon ami : la liberté consiste à vouloir que les choses arrivent,
non comme il te plaît, mais comme elles arrivent.
»
ÉPICTÈTE , Entretiens, livre I, XXXV
« Ce qui dépend de toi, c'est d'accepter ou non ce qui ne dépend pas de toi.
»
MARC AURÈLE
Transition
Mais que reste-t-il du désir humain et de sa beauté si nous suivons les préceptes des épicuriens ou des
stoïciens.
Ne risque-t-on pas en suivant Epicure et les stoïciens de réduire le désir au simple besoin ? voire de ne
plus désirer du tout ?
Autrement dit, avons-nous vraiment envie de devenir cette sorte de sages ?
Autre question : la souff rance doit-elle être à ce point évitée ? Un désir subsistant est-il si absurde que cela ? Et
si elle nous en apprenait sur nous-mêmes plus que le bonheur ? Pensons de nouveau à cet homme qui souffre
parce qu'il lui est impossible de vivre un amour : peut-on vraiment dénier tout sens à son désir persévérant ?
II.
Mais est-ce si absurde que cela ?
A.
Et si l'impossible devenait possible ?
Pour que « désirer l'impossible » apparaisse vraiment comme absurde, il faudrait, d'une part, que toute.
»
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