Est-ce un devoir de rechercher le bonheur ?
Publié le 21/07/2005
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Le stoïcien laisse ainsi toute la place à la volonté. Or, si le bien ne réside que dans la volonté, le mal n'existe pas dans le monde et les dieux ne doivent pas être accusés mais aimés.Comme le sage comprend et aime, dit Marc-Aurèle, «l'intelligence très bonne« qui a disposé toutes choses, il comprend et admire le monde même, oeuvre visible de cette intelligence invisible. Et puisque tout est lié dans ce monde, puisque chaque chose «est dans un harmonieux concert avec l'ensemble «, il approuve et aime ce qui arrive. Le sage va au devant du destin et s'offre à lui, il se dévoue au tout. S'il pouvait, dit Épictète, embrasser l'avenir, il «travaillerait lui-même à sa maladie, à sa mort, à sa mutilation, sachant que l'ordre du tout le veut ainsi«. Bien plus, il y travaillerait gaiement, car le monde est une grande fête, et il faut s'associer à sa joie. Et Marc-Aurèle s'écrie de même : «Je dis au monde : j'aime ce que tu aimes, donne-moi ce que tu veux, reprends-moi ce que tu veux. Tout ce qui t'accommode, ô monde, m'accommode moi-même [...].
L’homme est heureux quand ses désirs sont comblés. En revanche Le devoir se présente sous le forme d'une obligation contraignante. Dès lors, comment penser que la moralité consiste à rechercher le bonheur ? Le devoir ne s'oppose-t-il pas à la jouissance ? Faire son devoir n'est-ce pas aller contre ses désirs égoïstes ? Comme le dite Kant « la majesté du devoir n’a rien à faire avec la jouissance de la vie «. Dans ce cas, comment la recherche du bonheur pourrait-elle être un devoir ?
«
§ 2.
Bonheur et souverain bien dans la philosophie moderne.
Les métaphysiciens de l'époque classique ne s'expriment guère autrement.
Descartes, très proche du stoïcisme,pose comme règle de sa morale par provision', qu'il vaut mieux changer ses désirs que l'ordre du monde et, dans seslettres à Élisabeth, il distingue entre l'heur, «qui ne dépend que des choses qui sont hors de nous» et la béatitude,qui consiste «en un parfait contentement d'esprit et une satisfaction intérieure que n'ont pas ordinairement ceux quisont les plus favorisés de la fortune, et que les sages acquièrent sans elle ».
Malebranche écrit que « les devoirsque chacun se doit à soi-même peuvent se réduire en général à travailler à notre bonheur et à notre perfection », lebonheur résidant dans « la jouissance de plaisirs capables de contenter un esprit fait pour le souverain bien ».Leibniz considère que « la nature a mis dans tous les hommes l'envie d'être heureux et que cette tendance innéecoïncide avec l'inclination vers le bien.
On connaît enfin la célèbre proposition de Spinoza : «La béatitude n'est pasla récompense de la vertu, c'est la vertu elle-même»: conception du bonheur qui n'a rien d'empirique, car il s'agit decet idéal du sage qui a réalisé son essence.
« La béatitude ne consiste en rien d'autre qu'en l'amour intellectuel deDieu.
§ 3.
Bonheur et moralité chez Kant.
C'est avec le christianisme qu'est apparue la distinction, voire l'opposition,entre la vertu et le bonheur, du moins le bonheur terrestre.
Certes, ditPascal.
malgré les misères de la vie humaine, l'homme « veut être heureux, etne veut i qu'être heureux, et ne peut ne vouloir pas l'être », mais c'est illusionde croire qu'il peut «être réjoui par le divertissement», car le bonheur «vientd'ailleurs î et de dehors, et, ainsi, il est dépendant, et, partant, sujet à êtretroublé par mille accidents, qui font les afflictions inévitables ».
Et, avanttout.
comment pourrait-on mettre en balance, comme il est dit dans lefameux pari, des «plaisirs empestés» et «une infinité de vie infinimentheureuse»?Mais c'est Kant qui, sur le plan philosophique et de façon systématique, afondamentalement dissocié du bonheur la moralité.
Kant commence parreconnaître que le bonheur est une fin réelle visée effectivement par tous leshommes en vertu d'une nécessité naturelle, parce qu'ils ont une sensibilité,c'est-à-dire des inclinations qui aspirent à se satisfaire.
Pour l'atteindre, laraison intervient pour le choix des moyens qui doivent nous conduire à notreplus grand bien-être.
Ainsi l'action est ici commandée, non pas absolument,mais seulement comme moyen pour un autre but.
En d'autres termes,l'impératif du bonheur est toujours hypothétique, alors que l'impératif dudevoir est catégorique et commande absolument, par la seule considération de «l'intention, quelles que soient les conséquences», même contraires au bonheur.Or, dans la recherche du bonheur, non seulement la raison lui est subordonnée, mais le concept du bonheur est siindéterminé qu'aucun homme ne peut avec précision dire ce qu'il désire et ce qu'il veut.
C'est que les éléments dece concept sont empiriques.
Veut-il la richesse ? beaucoup de connaissances et de lumières? une longue vie? lasanté? Dans tous ces cas, il est incapable de déterminer avec certitude, d'après un principe, ce qui le rendraiteffectivement heureux.
L'expérience ne nous enseigne que des conseils, non des commandements, et « le bonheurest un idéal, non de la raison, mais de l'imagination ».De plus et surtout, des principes empiriques sont toujours impropres à servir de fondement à la loi morale, qui doitvaloir pour tout être raisonnable, parce qu'ils sont dérivés à la fois «de la constitution particulière de la naturehumaine et des circonstances contingentes dans lesquelles elle est placée ».
Le principe du bonheur personnel necontribue donc en rien à fonder la moralité, car «c'est tout autre chose de rendre un homme heureux que de lerendre vertueux, de le rendre prudent et perspicace pour son intérêt que de le rendre vertueux ».
Le calcul del'intérêt peut aussi bien pousser au vice qu'à la vertu et « l'expérience contredit la supposition que le bien-être serègle toujours sur le bien-faire ».Il est donc radicalement faux et funeste d'ériger la recherche du bonheur en loi morale.
Est-ce à dire que le bonheurdoive être absolument exclu de la conduite morale ? Certainement non, à la condition, comme Kant ne cesse de lerépéter, que l'action proprement morale n'aura jamais pour principe le bonheur.D'abord, au pur mobile de la raison pratique, peuvent fort bien s'associer des charmes et agréments de la vie.
« Ilpeut même être utile de lier cette perspective d'une jouissance agréable de la vie avec le mobile suprême et déjàpar lui-même déterminant, mais seulement pour contrebalancer les séductions que le vice ne manque pas de fairemiroiter du côté opposé, ou pour y placer la puissance proprement motrice, même au moindre degré, quand il s'agitdu devoir.
»Ensuite, parce que « de même que grâce à la liberté, la volonté humaine peut être immédiatement déterminée par laloi morale, l'exercice fréquent, en conformité avec ce principe déterminant » peut « produire subjectivement unsentiment de contentement de soi-même » et « c'est un devoir d'établir et de cultiver ce sentiment, qui seul mérited'être appelé le sentiment moral ; mais le concept du devoir ne peut en être dérivé ».Enfin, et c'est sans doute par cette analyse que Kant tempère le plus son rigorisme, « cette distinction du principedu bonheur et du principe de la moralité n'est pas pour cela une opposition et la raison pure pratique ne veut pasqu'on renonce à toute prétention au bonheur, mais seulement, qu'aussitôt qu'il s'agit du devoir, on ne le prenne pasdu tout en considération.
Ce peut même, à certains égards, être un devoir de prendre soin de son bonheur : d'unepart, parce que le bonheur (auquel se rapporte l'habileté, la santé, la richesse) fournit des moyens de remplir sondevoir, d'autre part, parce que la privation du bonheur (par exemple la pauvreté) amène avec elle des tentations de.
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