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Épictète, Entretiens, traduit par J. Souilhé et A. Jagu, livre I, chap. 12, Éd. Les Belles Lettres.

Publié le 19/03/2014

Extrait du document

« Puisque l'homme libre est celui à qui tout arrive comme il le désire, me dit un fou, je veux aussi que tout m'arrive comme il me plaît. — Eh ! mon ami, la folie et la liberté ne se trouvent jamais ensemble. La liberté est une chose non seulement très belle, mais très raisonnable et il n'y a rien de plus absurde ni de plus déraisonnable que de former des désirs téméraires et de vouloir que les choses arrivent comme nous les avons pensées. Quand j'ai le nom de Dion à écrire, il faut que je l'écrive, non pas comme je veux, mais tel qu'il est, sans y changer une seule lettre. Il en est de même dans tous les arts et dans toutes les sciences. Et tu veux que sur la plus grande et la plus importante de toutes les choses, je veux dire la liberté, on voie régner le caprice et la fantaisie. Non, mon ami : la liberté consiste à vou-loir que les choses arrivent, non comme il te plaît, mais comme elles arrivent. «

Épictète, Entretiens, traduit par J. Souilhé et A. Jagu, livre I, chap. 12, Éd. Les Belles Lettres.

La liberté n'est pas la licence

L'opinion commune identifie la liberté à la libre sponta¬néité. Or d'emblée Épictète disqualifie une telle conception en l'attribuant à un « fou «, c'est-à-dire à un être déraison¬nable. L'homme libre, en effet, n'est pas celui à qui tout advient selon sa volonté. Est-ce que je puis transgresser les lois physiques ? Si personne ne peut m'empêcher de faire 

« 1 L'homme libre veut que les choses arrivent comme elles arrivent Mais s'il est vrai que la liberté n'est pas la fantaisie, ne peut-on pas, parfois, faire en sorte que les choses arrivent comme nous le voulons? Si je désire la santé, ne puis-je pas, par un régime approprié, la conserver? C'est oublier que, pour Épictète et le stoïcisme, une Providence sage a tout organisé selon des lois inexorables.

Et lorsque Épictète affirme que « la liberté consiste à vouloir que les choses arri­ vent comme elles arrivent », cela signifie que la liberté est la conformité à la nécessité ou qu'être libre, c'est être capable de comprendre et vouloir l'ordre rationnel du cosmos.

S'il est donné à l'homme de « vouloir que les choses arrivent comme elles arrivent », il lui est surtout donné de faire que tout événement lui apparaisse comme il le veut.

La connais­ sance et la volonté libre n'orientent-elles pas l'homme à l'intérieur de lui-même vers la sagesse, dans l'indifférence à ce qui se passe à l'extérieur? 1 La véritable liberté n'est pas dans l'acceptation de ce qui est Il est difficile d'admettre que tout ce qui arrive a un caractère nécessaire.

Comme le montre Hegel, le stoïcien est, au fond, l'esclave qui se libère du maître en le niant et, avec lui, le monde extérieur .

Épictète n'est-il pas lui-même un ancien esclave, disgracieux et boiteux, qui a trouvé dans la philosophie la libération véritable et le moyen de rivaliser avec les dieux? En même temps ne dévoile-t-il pas au maître le secret de la liberté qui consiste à se dominer soi-même, au lieu de dominer l'esclave? Mais cette synthèse, souligne Hegel, reste abstraite : elle ne résout la contradiction qu'en idée.

Faute de pouvoir changer l'ordre du monde, le stoï­ cien se réfugie dans « la pure universalité de la pensée ».

Sa liberté n'est qu'une liberté négative contre le monde et les hommes.

C'est aussi une liberté abstraite, car le stoïcien pense mais n'agit pas.

Il s'oppose au monde, se retire dans la pensée mais ne lutte pas contre ce monde, contre le maître, pour se faire reconnaître comme libre, en risquant sa vie.

C'est un homme libre mais abstrait, car il n'est libre que par et dans la pensée, plus précisément dans sa pensée.

La véritable liberté n'est-elle pas volonté de transformer ce qui est? • 67. »

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